Régulation des pratiques par l’espace : aménagements fixes et lieux clés

Par Maeva Yersin (1/3)

Les préaux sont des espaces organisés, planifiés et construits par différent·es acteur·ices et services de l’administration municipale et cantonale – l’école relevant de l’échelon cantonal en Suisse. Les mouvements des jeunes sont alors régulés par les aménagements fixes des préaux par les institutions. Cette régulation des pratiques par l’espace détermine plus ou moins fortement quels comportements sont considérés comme spatialement « en dehors » ou « en dedans ». Cela se manifeste par une distinction des pratiques, des performances et des identités, et qui tend généralement à séparer les activités et les lieux (Rönnlund, 2015).

Les premiers résultats de mon travail ont montré que le degré de régulation des pratiques par l’espace varie en fonction des lieux, en raison de leurs caractéristiques spatiales différentes. 

Dans le préau étudié, deux lieux clés ont été identifiés : L’Herbe et Le Terrain , la régulation spatiale du Terrain est supérieure à celle de L’Herbe. Les pratiques sur L’Herbe ne correspondent pas vraiment (correspondance basse) avec les intentions que l’institution a attribuée à ce lieu. Par exemple, à la place de s’asseoir et de discuter, les jeunes jouent au foot sur ce terrain, se battent ou encore sautent depuis un arbre.

Sur Le Terrain, la tendance s’inverse. Les jeunes n’y jouent presque qu’au football pendant la récréation. La correspondance avec les intentions est élevée et la régulation des pratiques par l’espace est forte – ce qui veut dire que l’espace influence grandement les pratiques qui s’y déroulent. 

Les lieux clés sont des espaces compris comme des sites localisables, identifiables et nommables. Ils peuvent se trouver sur l’ensemble de l’espace du préau. Ils sont dotés d’une forte valeur symbolique pour les groupes sociaux qui les utilisent. Ils sont les lieux qui accueillent des événements particuliers, et des rassemblements s’y déroulent régulièrement. Les lieux clés sont des facteurs forts d’identification. Ainsi, dans leur rôle de « cœur d’un lieu », ils contribuent à organiser les territoires des groupes de pairs qui investissent collectivement le préau (Rönnlund, 2015 ; Monnard, 2016).

Comme d’autres recherches le démontrent (Blatchford et al., 1990; Skelton, 2000), les aménagements sportifs fixes semblent être d’importants déterminants dans la régulation des pratiques spatiales. Néanmoins, cette recherche souligne l’effet médiateur des caractéristiques de ces espaces et de leur relation avec le reste du préau. En effet, il est couteux de se déplacer jusqu’au Terrain pendant la récréation, il s’agit de traverser tout le préau. De plus, les terrains de baskets sans paniers de baskets offrent d’autres possibilités pour les pratiques ; bien que certains jouent tout de même au basket ‘pour de faux’. L’usage que les jeunes font des lieux clés ne correspondent donc pas toujours aux intentions de l’institution, ce qui démontre qu’ils et elles sont des agent·es de leurs espaces, qu’ils et elles se l’approprient et y développent des pratiques et cultures internes.

Les différents espaces du préau sont en réalité des lieux auxquels les jeunes attribuent des qualités au contenu matériel et social (Donoghue, 2007). Les jeunes les nomment, ils et elles leurs attribuent des significations et des caractéristiques (« ici, c’est cool », « c’est un endroit un peu nul », « là, il n’y a que les petits »). L’identité donnée à un lieu a également un effet médiateur sur les pratiques spatiales des jeunes, spécifiquement lorsqu’il s’agit de qualifier un espace marqué par des performances de masculinités hégémoniques. 

Agents : les jeunes ne sont pas des objets passifs flottants dans l’espace, exclusivement déterminés par les adultes et les structures qui les entourent. Ils ne sont pas non plus des sujets qui sont dans un processus de maturité biologique et sociale croissants. Ce sont des acteurs et individus qui agissent et réagissent sur et dans l’espace qui les entoure (Evans, 2008). Ils contribuent au développement de cultures enfantines et juvéniles qui leur sont propres, en dehors ou sous le regard des adultes.  

Références

Blatchford, P., Creeser, R., & Mooney, A. (1990). Playground games and playtime : The children’s view. Educational Research (Windsor)32(3), 163-174. https://doi.org/10.1080/0013188900320301 

Donoghue, D. O. (2007). ‘James always hangs out here’ : Making space for place in studying masculinities at school. Visual Studies22(1), 62-73. https://doi.org/10.1080/14725860601167218 

Evans, B. (2008). Geographies of Youth/Young People. Geography Compass2(5), 1659-1680. https://doi.org/10.1111/j.1749-8198.2008.00147.x

Monnard, M. (2016). Occupying and taking one’s place : Power relationships in the schoolyard. Espaces et societes166(3), 127-145.

Rönnlund, M. (2015). Schoolyard stories : Processes of gender identity in a ‘children’s place’. Childhood22(1), 85-100. https://doi.org/10.1177/0907568213512693