Portrait du Professeur Arndt Büssing

Prof. Arndt Büssing

Arndt Büssing est professeur de qualité de vie, de spiritualité et de coping à l’Université Witten/Herdecke, en Allemagne. Ses recherches portent sur les interventions non pharmacologiques et sur l’identification et le soutien des ressources individuelles pour faire face aux maladies chroniques.

Après des études en médecine à la RWTH Aachen et une thèse de doctorat en pédiatrie et génétique humaine, il a travaillé comme assistant au département d’immunologie médicale (RWTH Aachen), puis a été nommé directeur du département d’immunologie appliquée à l’hôpital communautaire de Herdecke. Après son habilitation, il a été chargé de cours au département de théorie médicale et de médecine complémentaire de l’Université de Witten/Herdecke. Depuis 2010, Arndt Büssing est professeur titulaire en qualité de vie, spiritualité et coping à l’Université de Witten/Herdecke.

Il est notamment co-éditeur du Deutsche Zeitschrift für Onkologie et membre du comité de rédaction de deux revues : Religions et Spiritual Care. Il siège également au comité directeur de l’Internationale Gesellschaft Gesundheit und Spiritualität (IGGS) et est universitaire non résident au Centre de recherche sur la spiritualité, la théologie et la santé du Centre universitaire de la santé de la Duke University, aux Etats-Unis, et professeur invité au Centre de spiritualité chrétienne auprès de la Philosophisch-Theologische Hochschule Münster (IUNCTUS).

Ses travaux se caractérisent par de multiples collaborations sur des sujets variés. Mais, à travers ces collaborations, l’intérêt et la méthode d’Arndt Büssing ressortent clairement. Büssing, en effet, cherche à s’appuyer sur les ressources individuelles des malades, c’est-à-dire leur perception de la maladie, afin de lutter contre les maladies chroniques. La méthode employée repose sur la phénoménologie, mais des questionnaires et des outils d’évaluation psychométriques viennent compléter la perception qu’a le patient de son corps. Cette approche est également couplée avec des études statistiques.

Dans certains travaux, on peut voir que Büssing s’attache particulièrement à l’aspect thérapeutique qu’il souhaite multimodal (avec une préférence marquée pour la mindfulness et la méditation en général). Par exemple, une combinaison entre l’éducation au sommeil, la psychoéducation, l’eurythmie thérapeutique et la thérapie par la peinture.

De plus, Büssing cherche systématiquement à démontrer l’efficacité de son approche avec des indicateurs de corrélation entre les réactions physiologiques et la perception subjective des séquelles de la maladie, à savoir le coping, et en particulier les ressources et les besoins spirituels. L’approche mind-body, corps-esprit, chez Büssing repose sur un parallélisme psycho-physique clairement assumé, où l’on voit que Büssing tente de privilégier le travail interdisciplinaire plutôt que la fusion des disciplines.

Son but, finalement, est d’étoffer l’offre de soins pour répondre à ce qu’il identifie – à travers le feed-back des patients – comme des « besoins spirituels ». Il faut comprendre par « besoins spirituels » une volonté des patients de trouver une cohérence face à la maladie. D’où l’importance de l’intégration de la biographie personnelle dans la prise en charge des patients ; ce que les médecins, selon Büssing, doivent reconnaître.

Portrait écrit et traduit par Newman Lao, Dr en philosophie et stagiaire pour la Plateforme MS3.

 

Portrait du Professeur Daniel P. Sulmasy

Prof. Daniel P. Sulmasy

Daniel P. Sulmasy est chercheur au Kennedy Institute of Ethics et occupe conjointement la direction du Centre Edmund D. Pellegrino Center for Clinical Ethics (www.clinicalbioethics.georgetown.edu). Il est notamment le premier titulaire de la chaire Professor-André-Hellegers en éthique biomédicale (https://kennedyinstitute.georgetown.edu/our-people/) et a été nommé en cette qualité dans deux départements de l’Université de Georgetown, à savoir les départements de philosophie et de médecine. Il continue à pratiquer la médecine à temps partiel en qualité de membre du corps professoral de l’Université de Georgetown.

Il était auparavant professeur de médecine et d’éthique au Département de médecine, directeur associé du Centre MacLean pour l’éthique médicale clinique du Département de médecine de la Divinity School de Kilbride-Clinton, ainsi que directeur du programme de Médecine et religion pour cette dernière. En outre, il a occupé des postes de professeur à l’Université de Georgetown et au New York Medical College.

Concernant sa formation, il a obtenu son baccalauréat et son doctorat en médecine à l’Université de Cornell. Il a également achevé son stage postdoctoral en médecine interne générale à l’hôpital de John Hopkins. Et il est titulaire d’un doctorat en philosophie de l’Université de Georgetown. Il a aussi siégé à de nombreux comités consultatifs gouvernementaux et a été nommé par le Président Obama à la Commission présidentielle pour l’étude des questions de bioéthique en 2010.

Ses recherches portent sur les dimensions théoriques et empiriques de l’éthique de la prise de décision en fin de vie, ainsi que sur la formation à l’éthique et à la spiritualité en médecine. Il est l’auteur ou l’éditeur de six ouvrages : The Healer’s Calling (1997), Methods in Medical Ethics (2001), The Rebirth of the Clinic (2006) sur lequel nous reviendrons, A Balm for Gilead (2006), Safe Passage (2013) et Francis le Lépreux : foi, médecine, théologie et science (2014). Il est également le rédacteur en chef de la revue Theoretical Medecine and Bioethics.

Daniel P. Sulmasy marque une étape fondamentale dans la naissance du Spiritual Care américain avec la publication de son livre The Rebirth of the Clinic, paru en 2006. Sulmasy, en effet, peut être considéré comme le père fondateur du Spiritual Care dans le sens où il lui donne une assise théorique avec sa reprise du modèle biopsychosocial du psychiatre George Engel en lui ajoutant la dimension spirituelle.

L’intérêt de la démarche de Sulmasy est de discuter la Naissance de la clinique (1963) du philosophe Michel Foucault auquel il reproche une conception purement technique de la clinique. D’où le titre de l’ouvrage de Sulmasy, qui se veut une réponse à Foucault.

En effet, en ouverture de son ouvrage, Sulmasy dit explicitement ceci : « La clinique de Foucault est morte » (Foucault’s clinic is dead). Son idée principale est que les cliniciens ont pris conscience des limites de la technique médicale notamment par rapport à la question de la mort. D’où la prise en compte de la dimension spirituelle en clinique qui conduit à considérer la personne comme un tout.

L’ouvrage de Sulmasy se veut un texte programmatique qui ne prétend pas traiter exhaustivement la question de l’intégration de la dimension spirituelle en médecine. Il ne fait que poser les axes de recherches à venir qui, selon lui, doivent être explorés. Il est cependant tout à fait au clair en tant qu’éthicien que les recherches empiriques sur l’impact de la spiritualité sur la santé ne doivent pas caractériser cette dimension en médecine. Car, d’après lui, la croyance en la transcendance ne doit pas être considérée d’un point de vue instrumental ou utilitaire. Il s’agit pour lui d’une attitude avant tout, une attitude humaniste qui se situe sur le plan d’une anthropologie philosophique et non pas sur le plan de la recherche empirique, exclusivement, même s’il ne renie pas l’utilité de ces recherches. Cependant, il répète suffisamment que la transcendance ne peut pas être mesurée et, quand bien même on le pourrait, là ne se trouve pas l’intérêt, puisque la prise en compte de la dimension spirituelle en clinique doit dépasser la simple attitude intéressée pour véritablement aller vers la personne. D’où sa critique du complexe médical-industriel, qui enjoint toujours plus les médecins, les infirmières et les autres professionnels de la santé à être « efficaces » (efficacy).

Portrait écrit et traduit par Newman Lao, Dr en philosophie et stagiaire pour la Plateforme MS3.

Spiritual care training in healthcare : Does it really have an impact ?

Spiritual care training in healthcare : Does it really have an impact ? Palliative and Supportive Care, 1-9. Daudt H, d’Archangelo M, Duquette D (2018).


Synthèse par Ysaline Favre, chargée de recherche pour la Plateforme MS3

En 2017, une équipe de l’Hôpital Victoria en Colombie-Britannique (Canada) s’est intéressée aux effets d’une formation en spiritual care[1] sur des soignants en soins palliatifs.

La formation consistait en 64 heures réparties en quatre ateliers de deux jours. Ceux-ci abordaient les thèmes suivants: comprendre ce qu’est la douleur spirituelle (1) ; la diagnostiquer (2) ; la soigner (3) ; la transformer (4).
Les méthodes pédagogiques comprenaient des exercices de réflexion personnels, des expériences pratiques, des présentations multimédia et la pratique concrète de rituels religieux et spirituels issus de diverses traditions. Chaque atelier était suivi par des cercles de discussion mensuels (circles of trust) menés par des facilitateurs expérimentés en spiritual care.

A l’issue de la formation, les participants (N=10) ont fait part d’une amélioration notable de leur ouverture aux autres, de leur acceptation de la diversité culturelle, de leur tolérance à l’ambiguïté et à l’inconfort,
de leur confiance en eux ainsi que dans la confiance inter-collègues. Ils ont émis également le souhait de pouvoir transmettre à leurs collègues les connaissances nouvellement entraînées en formation et de pouvoir avoir accès
à des séances supplémentaires de méditation, des programmes de mentorship et de maintenir les rencontres de partage inter-collègues telles qu’expérimentées dans les « circles of trust ».

Des réactions plus nuancées qualifiées d’impacts négatifs par les auteurs ont également été reportées et ont fait l’objet d’un classement en trois catégories :

– en lien avec la formation en elle-même. La pratique de certains rituels a mis certains participants dans l’inconfort ou dans la gêne. Une personne y a perçu une forme d’instrumentalisation de la spiritualité.
Une autre a dénoncé une tentative de sécularisation du traditionnel religieux de l’établissement.

– conscientisés durant la formation. Des écarts de pratiques entre l’approche idéale promue dans le cours et les réalités de terrain ont été mentionnés, notamment concernant les contraintes de temps.
Parmi les participants, certains se remémoraient « une autre époque », qualifiée de bon vieux temps, lorsqu’il était encore possible par exemple de s’assoir auprès d’un patient pour un échange.
Pour en parler, l’un des soignants évoque « un écart tragique » déclencheur de détresse tant pour le patient que pour le personnel. La surmédicalisation des soins palliatifs également s’est vue critiquée par l’un des participants.

– existants malgré la formation. Certains changements récents dans les styles de management ainsi que l’opacité et l’incertitude liées à certains choix directionnels ont été mentionnés également comme des éléments de tension par quelques participants.

Commentaire :
Les réactions récoltées auprès des participants ainsi que la transparence de leurs restitutions par l’équipe de recherche constituent l’apport majeur de cette étude.

Bien que les résultats restent à interpréter avec précaution vu le petit nombre de participants ayant suivi la formation dans son entier (10 personnes) ils mettent en évidence un constat important.
Dès lors que les valeurs et les pratiques enseignées dans un contexte de formation s’écartent massivement des réalités de terrain et de la culture d’entreprise, cette même formation devient génératrice de tensions pour les participants.

Il est certain toutefois que la direction d’un établissement, par sa posture et ses choix de valoriser ou non les aspects de spiritualité dans ses valeurs directives a non seulement la capacité de promouvoir ou de freiner
la mise en application réelle et effective du spiritual care dans la prise en soins, mais elle influence également l’accès des soignants à des programmes de spiritual care ainsi que de leur satisfaction vis-à-vis de tels programmes.

Souvent présentes dans les enjeux de formation, les questions de follow-up sont primordiales également. « What comes next ? » pour reprendre la formulation des auteurs.
A cette question, les participants plébiscitent en premier lieu le maintien des cercles de parole (circles of trust), ce qui démontre bien la nécessité pour les soignants de pouvoir disposer d’espaces suffisants pour thématiser les aspects de spiritualité dans leurs pratiques.

L’étude rend attentif également aux précautions qu’il s’agit de prendre lorsqu’il s’agit de mobiliser la ou les spiritualités propres des soignants.

[1] Depuis 1996, la clinique propose à l’interne et à l’externe ce type te programme dans le but de promouvoir la dimension spirituelle de la prise en soins.

L’article complet

Spirituality in General Practice : a qualitative evidence synthesis

Spirituality in General Practice : a qualitative evidence synthesis
La spiritualité en médecine générale : Une synthèse des preuves qualitatives

Synthèse par Naomi Edelmann, collaboratrice scientifique de la Plateforme MS3
Dans cet article, la spiritualité est décrite comme une composante fondamentale du soin qui relève d’une exigence éthique.
Pourtant, seule une petite partie de la recherche s’intéresse à la manière d’intégrer la spiritualité dans la pratique quotidienne des équipes multidisciplinaires.
S’il existe peu de littérature sur cette question, il en existe encore moins sur la manière dont les médecins généralistes, à distance des équipes multidisciplinaires et des « spécialistes » du soin spirituel, fournissent ces soins.

Cette revue systématique a pour objectif de synthétiser un ensemble d’études qualitatives anglophones menées sur le point de vue perçu par les médecins généralistes de leur propre rôle à dispenser des soins spirituels, ainsi que sur les facteurs qui facilitent et limitent leur évaluation des besoins spirituels.
Il ressort de ces résultats qu’une majorité de médecins estiment qu’il en va de leur responsabilité de fournir des soins spirituels, de faciliter l’expression des valeurs et des ressources de leurs patients. En pratique, cela implique une attitude positive et authentique de soin, de même qu’une écoute respectueuse de l’intimité du patient.
Concrètement, aborder les questions de spiritualité est facilité par l’attitude authentique, sensible et volontaire du médecin, ainsi que par des techniques de communication liées au langage et au corps.
À l’inverse, la crainte « d’aliéner » le patient, de créer un inconfort, d’utiliser un vocabulaire inapproprié, ainsi que les croyances selon lesquelles la spiritualité se réduit à la religion ou influence peu la santé, suscitent les réticences de certains médecins à traiter des questions spirituelles avec leurs patients.

Les auteurs concluent que, dans une perspective de soin global, tous les professionnels de la santé devraient se soucier des besoins et des ressources spirituelles de leurs patients en utilisant des outils d’évaluations structurés et non-structurés.
Afin de diminuer les réticences de certains, les auteurs suggèrent que les médecins généralistes puissent bénéficier d’une formation solide, qui devra être préalablement évaluée.

L’article complet

Should GPs provide spiritual care ?

Should GPs provide spiritual care ?
Les médecins généralistes devraient-ils prodiguer des soins spirituels ?

Il s’agit d’un article d’opinion, co-écrit par le chercheur Ian J. Hamilton, le Dr. Sara Macdonald
et le Prof. Jillian Morrison, de l’Institut de Santé et de Bien-être de l’Université de Glasgow.

Lien vers l’article

Assessing spirituality : Integrating spirituality into treatment

Assessing spirituality : Integrating spirituality into treatment
Evaluer la spiritualité : Intégrer la spiritualité au traitement

Auteurs
Richard L. Gorsuch, Professeur de Psychologie à l’Institut de recherche comportementale à l’Université chrétienne du Texas (1937-2016).
William R. Miller, PhD, Professeur distingué émérite de Psychologie et Psychiatrie à l’Université de Mexico.

Synthèse par Naomi Edelmann, collaboratrice scientifique de la Plateforme MS3
Evaluer la spiritualité peut sembler absurde, car elle se dérobe à une définition et à une opérationnalisation claire et consensuelle.
Pourtant, de nombreuses disciplines, dont la psychologie de la religion, se sont attelées à développer des outils d’évaluation basés sur les contextes et construits religieux, aboutissant à l’élaboration d’une vaste littérature.
Peu de recherches, cependant, se sont consacrées au développement d’instruments d’évaluation de la spiritualité qui ne soit pas réduite au  domaine religieux.

Dans ce chapitre, les auteurs considèrent le rôle des processus spirituels en tant que variables qui ne se réduisent pas à la dimension religieuse et qui légitiment l’évaluation de la spiritualité en psychologie et en psychothérapie.
En effet, la spiritualité est un prédicteur de santé, et peut se décliner en facteur de risque ou en facteur protecteur.
De plus, elle influence l’intervention. La compréhension du sens  et du contexte de vie du client permettent au thérapeute de mieux percevoir sa situation, ses difficultés et ses ressources.
En outre, elle a une incidence sur le traitement.
Les résultats des interventions peuvent être améliorés en tenant compte de Propst (1980) a montré qu’intégrer des perspectives spirituelles spécifiques au client en thérapie, via les techniques d’imagerie religieuse, augmente les scores d’interaction sociale et diminue les humeurs dépressives chez les patients dépressifs.
Ainsi, le fonctionnement spirituel est un phénomène évolutif qui affecte le traitement en tout temps.
Il nécessite donc d’être évalué à différents moments de l’intervention, notamment avant et après la phase de traitement.

Une vaste littérature décrit les moyens d’évaluer la spiritualité en psychologie, mais seule une petite partie de celle-ci se focalise sur sa mesure.
Cela s’explique, en partie, par la confusion qui règne dans la distinction entre l’évaluation et la mesure ; deux moyens d’aborder la spiritualité, mais de manières et avec des buts différents.

L’évaluation a pour objectif de saisir la spiritualité de son client dans toute sa spécificité, à l’aide d’un entretien semi-structuré et d’une ou deux questions ouvertes,
comme par exemple : « Dites-moi dans quelle mesure la spiritualité ou la religion sont importantes pour vous ? ».
La mesure, quant à elle, renvoie à l’utilisation d’outils psychométriques et d’échelles d’items (Gorsuch, 1984 ; Idler, Musick, Ellison, George, Krause, Ory, … & Williams, 2003).
La mesure  vise à quantifier, objectiver et standardiser les réponses des clients, de manière à situer les individus sur une norme, selon leurs croyances, comportements et expériences spécifiques. Gorsuch et Miller (1999) proposent que la mesure s’établisse en deux temps : quelques items simples sont soumis au client en guise d’introduction à sa spiritualité, avant qu’il ne remplisse un questionnaire plus spécifique.
Les données sont, ensuite, répertoriées sous la forme d’échelles normées comme c’est le cas de l’échelle à 40 items, créée conjointement par l’Institut national sur le vieillissement et l’Institut Fetzer, qui mesure les domaines de la religiosité et de la spiritualité qui sont les plus susceptibles d’affecter les résultats pour la santé (le soutien social religieux, les croyances, les valeurs, etc.) (Idler et al., 2003).

Dans la suite du chapitre, Gorsuch et Miller (1999) présentent un ensemble de travaux d’évaluation et de mesures des phénomènes spirituels les plus étudiés en psychologie : les croyances, la motivation et l’engagement intrinsèque/extrinsèque, les comportements spirituels  et les expériences spirituelles. Leur approche critique met en évidence six implications pour la recherche sur les phénomènes spirituels.

Premièrement, la recherche ne doit pas s’attarder à proposer de nouvelles évaluations « artisanales ». Plutôt que de multiplier les évaluations qualitatives, elle devrait plutôt se consacrer à l’amélioration des échelles psychométriques existantes en

Deuxièmement, le chercheur doit être conscient du fait que la spiritualité peut avoir un effet positif ou négatif selon qu’elle est vécue comme un critère intrinsèque – implique que la spiritualité est vécue en soi et pour soi-même – ou extrinsèque – renvoie aux avantages sociaux de la spiritualité et à sa caractéristique utilitaire.
En effet, l’orientation et l’engagement intrinsèques sont liés à des résultats élevés de santé (Allport, 1950). Gorsuch et McPherson (1989) ont, par ailleurs, développé et normé une échelle de 14 items qui mesure l’orientation intrinsèque ou extrinsèque de la spiritualité.

Troisièmement, la majorité des échelles psychométriques mesurent des variables religieuses qui ont été testées dans des populations estudiantines et  chrétiennes, donnant lieu à des résultats non représentatifs à la population générale.
La recherche doit, par conséquent, développer des échelles de mesure généralisables en évaluant des variables spirituelles exemptes de religiosité et en les testant dans des populations hétérogènes. Par exemple, Mathew, Mathew, Wilson et Georgi (1995) ont développé une échelle interculturelle qui évalue des dimensions plus générales de la spiritualité – comme la croyance en la vie après la mort, les phénomènes paranormaux et les expériences mystiques – qui ne sont pas directement liées à une religion.

Quatrièmement, les résultats d’une évaluation spirituelle diffèrent selon que l’évaluation porte sur le contenu ou la fonction de la spiritualité.
Evaluer le contenu de la spiritualité d’un individu correspond à l’évaluation de son  système de croyances, tandis que la fonction renvoie à sa quête de sens (la motivation de celle-ci, par exemple).
Il s’agit donc de définir dans le plan de recherche ce sur quoi elle porte, car les résultats diffèrent selon le choix du chercheur.
Par exemple, évaluer le fondamentalisme sous l’angle du contenu portera sur la croyance qu’il n’y a qu’une seule religion qui mène à la vérité, tandis que l’évaluer sous l’angle des fonctions reposera plutôt sur la manière dont les individus vivent leur religion au quotidien pour fabriquer du sens  (Kite & Whitley, 2013)

Cinquièmement, il existe des échelles plus ou moins appropriées, selon que l’objectif de recherche porte sur des dimensions spécifiques à une culture ou non.
Les instruments multiculturels mesurent généralement la fonction. Ils ont l’avantage de s’adresser à un large éventail de spiritualités, et présente donc un haut potentiel de généralisation des résultats.

Sixièmement, lorsqu’une variable spirituelle est mesurée  dans un contexte spécifique, alors la spiritualité doit être comprise dans ce contexte-là uniquement.
Les résultats ne peuvent pas être généralisés hors de ce contexte au risque d’atténuer la fiabilité et la validité de l’échelle.
Par exemple, il serait vain d’évaluer l’utilité du modèle AA des Douze Etapes au sein d’un groupe qui ne les expérimente pas.

Critiques de la Plateforme MS3
Ecrit par deux professeurs en psychologie, ce chapitre est une revue de littérature qui a pour objet : l’évaluation de la spiritualité en psychologie.
Il s’inscrit dans un ouvrage collectif dirigé par William R. Miller et co-écrit par des auteurs provenant de différentes approches en psychologie : counseling, psychothérapie, psychiatrie, psychologie des addictions, etc.
Son objectif est d’encourager les thérapeutes à intégrer la spiritualité dans leurs interventions et le traitement de leurs clients.
Ainsi, la recherche vise à soutenir la pratique des thérapeutes cliniciens et à leurs transmettre des clés d’intervention.

La première partie de cet ouvrage explore le lien entre la spiritualité et la santé, l’histoire des rapports entre la psychothérapie et la spiritualité, ainsi que les différentes manières d’évaluer la spiritualité en psychologie.

Un grand nombre de recherches reconnaissent un haut potentiel de prévention, de soutien et de rémission à la spiritualité en cas de maladies physiques et psychiques, graves ou chroniques (George, Larson, Koenig & McCullough, 2000).
La spiritualité est majoritairement considérée comme un facteur de qualité de vie (Simard, 2006).
Néanmoins, d’autres recherches attestent d’un effet biaisé, mitigé, inexistant, voire péjorant, de la religiosité sur la santé des individus (Pargament & Brant, 1998 ; Huguelet et al., 2007 ; Swinton, 2001).
Ainsi, la littérature de ces trente dernières années montre un intérêt croissant dans l’exploration du lien entre la spiritualité et la santé en psychologie.

Malgré la recrudescence d’article psychologique sur la spiritualité, Gorsuch et Miller constatent et s’étonnent de la pauvreté des mesures spirituelles en psychologie.
Pour eux, cette absence serait moins due à l’absence de mesures fiables qu’à la difficulté de rassembler et de réintégrer deux « traditions » – la psychologie et la spiritualité – qui s’intéressent à des phénomènes identiques tels que le sens et les croyances, mais de manière isolée .
D’où provient cette rupture entre la psychologie et la spiritualité, et comment les réunifier ?

Le fossé qui sépare la psychologie de la spiritualité a émergé d’une faille plus profonde ; celle de l’opposition historique entre la science et la religion qui a marqué la psychologie tout au long de son développement.

Durant la Renaissance, les maladies mentales étaient abordées par des approches organicistes, mentalistes et religieuses.
Les symptômes s’expliquaient comme des désordres physiques résultant du péché qui pouvaient être traités par des soins « magico-religieux » (Alexander & Selesnicke, 1997 ).
Progressivement, la médecine aliéniste a relégué les explications religieuses des maladies mentales au second plan, bien que les croyances soient restées des symptômes de la folie.
Au début du XXème siècle, Freud et Watson se sont clairement opposés à l’intégration de  la dimension religieuse à la psychothérapie pour deux raisons.
La première renvoyait à la soumission de l’homme sous le joug de la religion, ainsi que son maintien dans des états de dépendance et de culpabilité.
La seconde, d’ordre méthodologique, considérait que les dimensions spirituelles telles que l’âme, la grâce et la relation au transcendant ne pouvait pas être des objets d’études puisqu’ils échappent à l’observation de ces phénomènes (Lavoie, 2006).
Ainsi, la spiritualité a très vite été considérée par les psychologues comme un objet non-opérationnalisable, immatériel, et, par conséquent, ne pouvant pas faire l’objet de recherche scientifique (Miller & Thoresen, 2003).

Sous l’influence de Jung (1928) et de sa psychothérapie contemplative et spirituelle basée sur la recherche de sens de la vie, et de Frankl (1948/2012) qui a modélisé l’idée d’un inconscient spirituel et développé la logothérapie, la psychologie s’est rapprochée de la spiritualité, lui restituant un certain potentiel en matière d’intervention psychothérapeutique (Lavoie, 2006).
Aussi, malgré un contexte où les figures d’influence se montraient hostiles à l’évaluation des dimensions spirituelles, la spiritualité, d’abord sous l’angle de la religiosité, a progressivement effectué son retour en tant qu’objet de recherche.
William James (1902/1961) a, par ailleurs, consacré un volume à la question de l’expérience religieuse ce qui a influencé une importante tradition de recherche pour l’étude scientifique de la spiritualité (George, Larson, Koenig & McCullough, 2000 ; Larson, Swyers, & McCullough, 1998).

En parallèle, le développement de la psychométrie a  la possibilité d’évaluer scientifiquement des constructions « latentes  » (George, Larson, Koenig & McCullough, 2000) telles que la personnalité ou l’intelligence, ce qui a permis la création d’outils scientifiques et objectivables de la spiritualité, et de valider les effets de la spiritualité sur la santé des clients.

En conséquence, la psychologie s’est intéressée tardivement à la spiritualité, car elle a longtemps été considérée comme un objet non-opérationnalisable, immatériel, faisant obstacle à son étude scientifique.
Aujourd’hui, le développement en psychologie est tel qu’elle a désormais les moyens d’étudier, de fournir des preuves de l utilité et des limites de la spiritualité.
Gorsuch et Miller (1999) insistent sur l’utilisation d’outils psychométriques pour aborder la spiritualité, car, cela a une incidence pour la recherche, mais aussi pour la clinique.
Comme la spiritualité a une incidence sur la santé des clients, l’affirmation d’un effet positif sur la santé d’un patient peut donner lieu à des modifications dans l’intervention et le traitement d’un client en psychothérapie notamment.
Néanmoins, les thérapeutes doivent rester prudents. Ils pourraient être tentés de conclure que les dimensions spirituelles et religieuses doivent être insérées au plan de traitement dès que les recherches empiriques méthodologiquement solides démontrent un effet positif.
Cependant, l’utilisation de ces résultats ne doit pas être faite sans un questionnement éthique préalable en tenant compte des facteurs de risques que peuvent aussi représenter la spiritualité pour la santé et sur l’alliance thérapeutique.
Une question reste, d’ailleurs, en suspend par rapport à cela : est-ce le rôle du psychologue et du psychothérapeute de fournir du spiritual care en thérapie ?


R
éférences
Alexander, F. G., Selesnick, S. T., & Allers, G. (1972). Histoire de la psychiatrie: pensée et pratique psychiatriques de la préhistoire à nos jours. Paris : Armand Collin.

Allport, G. W. (1950). The individual and his religion: Apsychological interpretation. New York: Macmillan.

George, L. K., Larson, D. B., Koenig, H. G., & McCullough, M. E. (2000). Spirituality and health: What we know, what we need to know. Journal of social and clinical psychology, 19(1), 102-116.

Gorsuch, R. L. (1984). Measurement: The boon and bane of investigating religion. American psychologist39(3), 228.

Gorsuch, R. L., & McPherson, S. E. (1989). Intrinsic/extrinsic measurement: I/E-revised and single-item scales. Journal for the Scientific study of Religion, 348-354.

Gorsuch, R. L. & Miller, W. R. (1999). Assessing spirituality. In W. R. Miller (Ed.), Integrating spirituality into treatment (pp. 47-64). Washington DC: American Psychological Association.

Huguelet, P., Mohr, S., Jung, V., Gillieron, C., Brandt, P. Y., & Borras, L. (2007). Effect of religion on suicide attempts in outpatients with schizophrenia or schizo-affective disorders compared with inpatients with non-psychotic disorders. European Psychiatry22(3), 188-194.

Idler, E. L., Musick, M. A., Ellison, C. G., George, L. K., Krause, N., Ory, M. G., … & Williams, D. R. (2003). Measuring multiple dimensions of religion and spirituality for health research: Conceptual background and findings from the 1998 General Social Survey. Research on Aging25(4), 327-365.

Kite, M., & Whitley, B. (2013). Psychologie des préjugés et de la discrimination. Paris : De Boeck Superieur.

Larson, D. B., Swyers, J. P., & McCullough, M. E. (Eds.). (1998). Scientific research on spirituality and health: A report based on the Scientific Progress in Spirituality Conferences. England : National Institute for Healthcare Research.

Lavoie, L.-C. (2006) Psychothérapie et spiritualité : de l’opposition au dialogue interactif. Reflets: Revue ontaroise d’intervention sociale et communautaire, 12(1), 48-73.

Mathew, R. J., Mathew, V. G., Wilson, W. H., & Georgi, J. M. (1995). Measurement of materialism and spiritualism in substance abuse research. Journal of studies on alcohol56(4), 470-475.

Miller, W. R., & Thoresen, C. E. (2003). Spirituality, religion, and health: An emerging research field. American psychologist58(1), 24.

Pargament, K. I., & Brant, C. R. (1998). Religion and coping. In Handbook of religion and mental health (pp. 111-128).

Propst, L. R. (1980). The comparative efficacy of religious and nonreligious imagery for treatment of mild depression in religious individualsCognitive therapy and Research, 4, 167-178.

Simard, N. (2006). Spiritualité et santé. Reflets : Revue ontaroise d’intervention sociale et communautaire, 12(1), 107-126.

Swinton, J. (2001). Spirituality and mental health care: Rediscovering a’forgotten’dimension. Philadelphia : Jessica Kingsley Publishers.

Activités du Professeur Gian Domenico Borasio et de son équipe de recherche

Dès le début de son activité en  médecine palliative, le Professeur Borasio, chef de Service des soins palliatifs et de support, a intégré l’accompagnement spirituel et religieux dans la prise en charge palliative, mobilisant tant les acteurs des institutions de santé que ceux travaillant dans la communauté.

Par ailleurs, le thème de la spiritualité ainsi que nombre de thèmes connexes (sens de la vie, etc) sont au centre de nombreux projets de recherche.

Citons l’élaboration et la validation dans de nombreuses langues du SMiLE (Schedule for Meaning in Life Evaluation) effectués avec Martin Fegg.

Pour en savoir plus sur cet outil

Citons encore le projet effectué sous la direction de Mathieu Bernard, psychologue, dans le cadre du PNR 67 fin de vie.

Titre : « Sens de la vie, spiritualité et valeurs chez les personnes en fin de vie »

La perte du sens de la vie est l’une des principales causes du souhait de mettre fin à ses jours.
Mais que signifie « sens de la vie » pour les personnes se trouvant en fin de vie ?
Nous voulons nous pencher sur cette question dans les trois grandes régions linguistiques de Suisse, à l’aide d’une nouvelle méthode d’entretien.
Pour en savoir plus sur ce projet

Pour en savoir plus sur les publications du Professeur Borasio

 

Projet d’intégration d’un aumônier à l’équipe mobile de soins palliatifs (EMSP) du CHUV

Référent académique : Professeur G. D. Borasio

Le but de ce projet exploratoire est d’obtenir des données cliniques suite à l’intégration d’un aumônier à l’équipe mobile de soins palliatifs (EMSP) du CHUV.
Ce projet est issu d’une demande des Eglises au Professeur Borasio, lequel a sollicité l’aide la Plateforme MS3.

Poster ASSM – EMSP

Le projet a débuté en 2015 et se poursuit en 2016-2017.

 

PNR 67 « désir de mort »

Titre : Comprendre le désir de mort chez les résidents en EMS

Le but du projet est de Comprendre le désir de mort chez les résidents d’EMS au moyen d’une méthode d’investigation mixte. Il se déroule dans les trois régions linguistiques de Suisse.

La première phase de ce projet, conduite par Anne-Véronique Dürst et consistant à valider deux instruments de mesure du désir de mort, a reçu un Prix de la Fondation Leenaards 2011.

La deuxième phase du projet, coordonnée par Anne-Véronique Dürst et consistant à rencontrer des résidents en EMS afin d’évaluer leur désir de mort ainsi que d’autres caractéristiques relatives à leur vécu, s’est terminée en 2016.

La troisième et dernière phase du projet, dont la responsabilité a été confiée aux responsables de la Chaire de soins palliatifs gériatriques, la Dre Eve Rubli et le Prof. Ralf Jox,) et consistant dans la valorisation des données obtenues, a commencé la rédaction de plusieurs publications scientifiques.

Requérante principale : Stéfanie Monod, PD MER

Co-requérants : Prof. Armin Von-Gunten, Prof. Christophe Büla, Prof. Thomas Münzer, Prof.Pierluigi Quadri ; Dre Claudia Mazzocato, PD MER, Brenda Spencer, PHD.