Infolettre no 57, Jurisprudence de JUIN et JUILLET 2024

Dans cette infolettre, 8 arrêts du Tribunal fédéral ont retenu notre attention, qui concernent la qualité pour agir en matière de protection du patrimoine bâti, le principe de concentration du bâti dans le cas du plan d’affectation de la commune de Fully ou encore les activités de lasergame en forêt. S’y ajoutent trois arrêts du Tribunal cantonal vaudois (CDAP).

L’ensemble des Infolettres se trouve sur le site du CEDEAT de l’Université de Lausanne : https://www.unil.ch/droitpublic/home/menuinst/recherche/cedeat/newsletters.html

https://applicationspub.unil.ch/interpub/noauth/php/Un/UnPers.php?PerNum=920394&LanCode=37&menu=pub

Vous pouvez suivre les Infolettres du CEDEAT en vous abonnant au flux RSS sur https://wp.unil.ch/cedeat/

Une installation en zone agricole est contraire aux buts de protection des batraciens

TF 1C_604/2018 du 16 avril 2020

Arrêt destiné à la publication aux ATF

A Kloten (ZH), A. exploite sans autorisation une station de collecte et de recyclage. Il obtient une autorisation de bâtir pour l’extension, la transformation et le changement d’affectation de bâtiments à usage commercial d’une ancienne carrière située en zone agricole. La décision a fait l’objet d’un recours de Pro Natura, admis par la Cour zurichoise en matière de constructions ; l’affaire est renvoyée afin d’approfondir le dossier s’agissant de la protection d’un biotope à batraciens. Un objet de l’inventaire fédéral des sites de reproduction des batraciens d’importance n’a pas suffisamment été pris en compte. Le Tribunal cantonal puis le Tribunal fédéral rejettent le recours de A. La Cour fédérale renonce toutefois à renvoyer l’affaire en première instance ; elle procède immédiatement à l’examen de l’admissibilité du projet au regard des exigences de protection d’une biotope inscrit à l’inventaire des sites de reproduction des batraciens d’importance nationale.

(4) Application des articles 37a LAT et 43 OAT

Dès lors qu’une autorisation de construire est nécessaire, il s’agit d’examiner si celle-ci peut être admise. Le Tribunal fédérale envisage l’application des articles 37a LAT et 43 OAT à propos des constructions et installations à usage commercial sises hors zone à bâtir et non conformes à l’affectation de la zone. Ces dispositions priment, dans leur champ d’application, les articles 24a LAT et 42 OAT.

L’article 43 al. 1 OAT pose certaines conditions au changement d’affectation et à l’agrandissement d’installations contraires à l’affectation de la zone, en particulier aucun nouvel impact sur l’environnement ne doit survenir et la nouvelle utilisation ne doit pas être contraire à une autre loi fédérale. En outre, l’article 43a OAT impose une pesée des intérêts (lit. e).

En l’espèce, la zone de Gwärfi est inscrite dans l’inventaire fédéral des sites de reproduction des batraciens d’importance nationale (objet fixe no ZH506 « Lehmgrube beim Gwerfihölzli » à l’annexe 1 de l’OBat). Certaines parties du sites font également partie d’un inventaire de la protection de la nature et du paysage du canton de Zurich (datant de 1980). Il apparaît que les installations litigieuses sont entièrement incluses dans le secteur A de protection – autrement dit le plan d’eau de reproduction et des surfaces naturelles et quasi naturelles attenantes (art. 2 OBat).

Jusqu’à présent, le Canton de ZH n’a pris aucune mesure afin de délimiter précisément le périmètre de protection, ni pris de mesures d’entretien comme l’exige l’OBat (délai de 7 ans dès l’inscription de l’objet à l’inventaire, selon l’art. 9 OBat). A ce propos, l’article 10 OBat prévoit « que les cantons n’ont pas pris de mesures de protection et d’entretien, ils veillent, par des mesures immédiates appropriées, à ce que l’état des objets fixes ne se détériore pas et à ce que la fonctionnalité des objets itinérants soit conservée » ; l’article 11 OBat ajoute que les « cantons veillent, chaque fois que l’occasion se présente, à ce que les atteintes déjà portées à l’objet soient réparées dans la mesure du possible ».

Dès lors que les installations sont situées dans le périmètre de l’objet protégé tel que défini par la Confédération, même en l’absence de délimitation précise par le canton, il est possible d’examiner sir le projet est compatible avec les objectifs de protection de l’article 6 OBat. En outre, le définit d’entretien par le canton qui n’a jusqu’à présent rien entrepris afin de préserver le biotope est considéré comme une lacune grave ; selon l’OFEV, Il est important d’éviter un nouveau déclin de la qualité du biotope d’importance nationale, avec le risque conséquent de disparition des espèces d’amphibiens rares et très menacées pour lesquelles la zone inventoriée est vitale pour la survie.

Le Tribunal fédéral considère par conséquent que pour préserver le biotope conformément aux objectifs de protection et prévenir tout atteinte à l’objet protégé, il convient de procéder immédiatement à l’examen de l’admissibilité du projet compte tenu des exigences de protection de l’OBat. Attendre que le canton définisse les limites exactes ne serait qu’une perte de temps et irait à l’encontre d’un besoin d’action immédiat ; cela ne remet pas en cause la nécessité pour le canton de définir les limites exactes et les mesures de protection adéquates.

Il convient alors de renoncer, comme le prétend l’instance inférieure, à renvoyer le dossier en première instance pour compléter l’instruction ou attendre la délimitation par le canton.

(5) Conformité du projet à l’article 6 OBat

Le Tribunal fédéral examine si l’installation de recyclage n’est pas en conflit avec des intérêts prépondérants – si elle est compatible avec les objectifs de protection de l’article 6 OBat (ce qui a été mis en doute par l’instance inférieure dans la décision attaquée).

Le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que le projet d’installation de recyclage n’est pas compatible avec la protection du biotope de reproduction des batraciens ; l’autorisation de construire dérogatoire au sens de l’article 37a LAT et 43 OAT doit ainsi être refusée. Le changement d’affectation est contraire aux intérêts supérieurs de la conservation de la nature au sens de l’article 43a lit. e OAT.

Bien plus, la poursuite de l’exploitation en tant qu’installation de recyclage est contraire à la loi fédérale et n’est pas (plus) justifiable, compte tenu également des dommages ou de la dégradation déjà causés à la zone de reproduction des batraciens. Aucun motif dérogatoire au sens de l’article 7 OBat n’est applicable en l’espèce : une installation de recyclage n’est pas imposée par sa destination en dehors de la zone à bâtir et doit être réalisée dans la zone constructible.

Compte tenu de ce qui précède, il appartient à l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation de construire de prononcer les mesures de rétablissement de la situation conforme au droit.

Ce résumé sera publié dans la Newsletter no 12, du mois de juin, de la CEDEAT

ONG Recours contre la mise sur le marché de pesticides

Le Tribunal administratif fédéral confirme le droit du WWF de consulter les dossiers d’autorisation de trois pesticides dans leur intégralité. Il a refusé de faire prévaloir le secret des affaires sur le droit de recours des associations.

En décembre 2018, l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) a invité l’organisation de protection de l’environnement à participer a posteriori à des procédures d’évaluation de pesticides, qui avaient débouché sur des autorisations en mars et novembre 2017. Tenu à l’écart jusque-là, le WWF Suisse obtenait ainsi l’accès aux dossiers.

Trois recours ont été déposés contre les décisions de l’OFAG devant le Tribunal administratif fédéral. Ces procédures visaient en particulier à obtenir que l’une des substances entrant dans la composition des pesticides soit effacée. Voire même que tous les passages faisant allusion à cette substance soient retirés des documents remis au WWF.

Dans trois arrêts publiés mercredi, les juges de Saint-Gall ont rejeté les griefs portant sur la qualité de partie du WWF à la procédure d’autorisation et, partant, sur son droit à consulter les dossiers. Ils ont aussi relevé que la compétence de faire primer le secret des affaires sur le droit de recours des associations appartenait en l’espèce à l’OFAG. Sur ce point, le tribunal n’est donc pas entré en matière.

Arrêt de principe

Ces décisions se fondent sur un arrêt de principe rendu en février 2018 par le Tribunal fédéral. A l’époque, les juges de Mon Repos avaient conclu que le WWF était légitimé à participer à ces procédures d’autorisation en raison du droit de recours des associations.

En 2015, le WWF avait appris sur le site de l’OFAG que ce dernier menait des procédures d’homologation en vue de l’autorisation en Suisse de divers produits phytosanitaires. L’organisation environnementale avait demandé à pouvoir y participer. L’office avait refusé au motif que le droit de recours des associations ne pouvait être exercé que contre des décisions visant un lieu déterminé.

Le Tribunal administratif fédéral avait alors annulé le refus de l’OFAG. Le recours de ce dernier, qui portait sur l’une des substances contestées, n’avait pas non plus abouti devant le Tribunal fédéral en février 2018.

ONG – Qualité pour agir dans la procédure de mise sur le marché de pesticides

TAF B_532, 535 et 556/2019 du 25 octobre 2019

Le Tribunal administratif fédéral confirme le droit du WWF de consulter les dossiers d’autorisation de trois pesticides  dans leur intégralité. Il a refusé de faire prévaloir le secret des affaires sur le droit de recours des associations.

Les faits:

En 2015, le WWF avait appris sur le site de l’OFAG que ce dernier menait des procédures d’homologation en vue du reexamen ou de l’autorisation de mise en circulation de divers produits phytosanitaires, en Suisse. L’organisation environnementale avait demandé à pouvoir y participer. L’Office avait refusé au motif que le droit de recours des associations ne pouvait être exercé que contre des décisions visant un champ d’application territorial déterminé.

Le Tribunal administratif fédéral avait alors annulé le refus de l’OFAG. Le recours de ce dernier, qui portait sur l’une des substances contestées, a été écarté par le Tribunal fédéral dans un arrêt de principe rendu en février 2018 (ATF 144 II 218). Dans cet arrêt, la Haute Cour a considéré que le WWF était légitimé à participer aux procédures d’autorisation de mise dans le commerce de pesticides, sur la base de l’art. 12 LPN, en considérant que l’on se trouvait en présence d’une tâche fédérale, cela indépendamment du lieu où les produits phytosanitaires pouvaient être utilisés. Ces produits, en tant qu’ils peuvent porter atteinte à la nature tombent dans le champ d’application de la LPN (art. 1 et 18 al. 2 LPN). Les dispositions de la législation sur les produits phytosanitaires (art. 1 al. 1  OPPh) prévoient d’ailleurs qu’ils ne doivent pas exercer d’effets secondaires inacceptables sur la santé de l’être humain et des animaux ni sur l’environnement; les dispositions de l’ordonnance sont entièrement orientées par le principe de précaution (art. 1 al. 4 OPPh).

En décembre 2018, l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) a ainsi invité l’organisation de protection de l’environnement à participer a posteriori à des procédures d’évaluation de pesticides, qui avaient débouché sur des autorisations en mars et novembre 2017. Tenu à l’écart jusque-là, le WWF Suisse obtenait ainsi l’accès aux dossiers.

Trois recours ont été déposés contre les décisions de l’OFAG devant le Tribunal administratif fédéral. Ces procédures visaient en particulier à obtenir que l’une des substances entrant dans la composition des pesticides soit effacée. Voire même que tous les passages faisant allusion à cette substance soient retirés des documents remis au WWF.

Dans trois arrêts du 25 octobre 2019(TAF B_532, 535 et 556/2019), les juges de Saint-Gall ont rejeté les griefs portant sur la qualité de partie du WWF à la procédure d’autorisation et, partant, sur son droit à consulter les dossiers. Ils ont toutefois relevé que la compétence de faire primer le secret des affaires sur le droit de recours des associations appartenait en l’espèce à l’OFAG. Sur ce point, le tribunal n’est donc pas entré en matière.