Obligation de démolir une construction illégale, un délai de 30 ans s’applique en principe.

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral s’est prononcé sur le rétablissement de la situation conforme au droit, autrement dit la démolition de constructions érigées illégalement entre 1986 et 2014 à St-Niklaus (VS). Il est notamment revenu sur l’application du délai de prescription de 30 ans découlant de sa propre jurisprudence. 

(c. 1) En vertu de l’art. 89 al. 2 lit. d LTF, les autorités auxquelles une autre loi fédérale accorde un droit de recours spécial ont qualité pour agir. L’art. 34 al. 2 lit. c LAT confère un tel droit aux cantons et communes contre les décision en matière d’autorisation de construire au sens des art. 24 à 24d et 37a LAT. Ce droit s’étend à la décision de refus d’une dérogation ou l’ordre de rétablir la situation conforme au droit des bâtiments qui ne sont pas conformes à la zone ou à l’art. 24 LAT. Sauf dispositions contraires du droit cantonal, le droit de recours au Tribunal fédéral au nom du canton est dévolu au gouvernement en tant qu’autorité exécutive suprême représentant le canton à l’extérieur.

(c. 2) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le droit d’exiger le rétablissement de la situation conforme au droit s’éteint en principe au bout de 30 ans (principe de la sécurité du droit). Ce délai s’applique tant à la démolition d’un bâtiment dans et hors de la zone à bâtir. En particulier, hors de la zone à bâtir, ce délai s’applique même si le droit cantonal prévoit un délai de prescription plus court ; les cantons ne peuvent pas assouplir le délai de 30 ans dès lors que les constructions situées hors de la zone à bâtir affectent des intérêts fédéraux comme le principe de séparation du bâti et du non bâti.

(c. 3) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il peut être justifié d’exclure le rétablissement de la situation conforme au droit dans un délai plus court que 30 ans notamment lorsque les autorités ont toléré la construction illégale pendant des années, alors qu’elles étaient conscientes de l’illégalité ou auraient dû en être conscientes si elles avaient fait preuve de la diligence requise. L’ordre de démolition violerait dans ce cas la protection de la confiance de l’art. 9 Cst. Cette disposition ne peut être toutefois invoquée que par une personne qui a elle-même agi de bonne foi, c’est-à-dire qui a supposé ou a été autorisée à supposer (avec une diligence raisonnable) que le bâtiment qu’elle a construit était légal ou conforme au permis de construire.

Tribunal fédéral 1C_99/2019 du 17 avril 2020.

La prévention du mitage du territoire concerne également les constructions agricoles

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral s’est prononcé sur la construction d’une installation de stabulation libre et une habitation individuelle à Corminboeuf (FR), hors de la zone à bâtir. Pour la Cour fédérale, bien que certaines constructions à vocation agricole puissent être érigées dans la zone agricole, il ne s’agit que d’exceptions au principe de non constructibilité qui prévaut dans ce type de zone. Elles ne doivent être accordées que de manière restrictive – au terme d’une pesée soigneuse des intérêts – dans la mesure où elles contribuent au mitage du territoire.

Le régime ordinaire de l’autorisation de construire formulé à l’art. 22 LAT prévoit qu’une construction ou une installation peut être autorisée lorsqu’elle est conforme à la zone; à défaut, une autorisation de construire peut être exceptionnellement admise sur la base des art. 24 à 24e LAT ou de l’art. 37a LAT. Dans la zone agricole, certaines constructions ou installations peuvent s’avérer conformes à la zone lorsqu’elles satisfont aux situations visées à l’art. 16a LAT – lorsqu’elles « sont nécessaires à l’exploitation agricole ou à l’horticulture productrice ». Cette disposition de la loi fédérale est complétée par l’art. 34 OAT, lequel prévoit qu’une autorisation de construire ne peut être délivrée que si la construction est nécessaire à l’exploitation agricole, si cette exploitation est pérenne et si un intérêt prépondérant ne s’oppose pas à l’implantation de la construction à l’endroit prévu (al. 4).

La pesée des intérêts prévue à l’art. 34 OAT doit se faire à l’aune des buts et principes des art. 1 et 3 LAT, en particulier le but visant à éviter le mitage du territoire. L’art. 16 LAT précise à ce tire que les zones agricoles « devraient être maintenues autant que possible libres de toute construction ». Ce principe doit dicter l’interprétation des dispositions de la LAT; de la sorte, les exceptions légales comme celles de l’art. 16a LAT doivent  être admises de façon restrictive, dès lors que ces exceptions constituent précisément l’une des principales causes du mitage du territoire.

Rappelant une jurisprudence plus ancienne, le Tribunal fédéral précise qu’il s’agit de limiter les constructions nouvelles à celles qui sont réellement indispensables à l’exploitation afin de garantir que la zone agricole demeure une zone non constructible. Cet examen doit être entrepris en fonction de critères objectifs : la surface cultivée, le genre de cultures et de production (dépendante ou indépendante du sol) ou encore la structure, la taille et les besoins de l’exploitation. Pour me moins, compte tenu de l’intérêt public à éviter la dispersion des constructions, les bâtiments et installations doivent être si possible regroupés autant (« Konzentrationsprinzip « ). L’autorité est alors tenue de dresser l’inventaire de l’ensemble des surfaces à disposition de l’exploitation, notamment celles affectées en zone à bâtir afin d’examiner si les installation en cause ne pourraient y prendre place. On ne saurait en effet présumer qu’une zone d’habitation exclut nécessairement toute construction agricole.

On peut en conclure qu’il ne suffit pas qu’une construction ait vocation agricole pour qu’elle puisse être librement érigée en zone agricole. Encore faut-il qu’elle soit, sur la base de motifs objectifs, nécessaire à l’exploitation agricole et qu’il ne soit pas possible de la prévoir en zone constructible. L’autorité est ainsi tenue au premier chef de veiller à éviter le mitage du territoire induit par des constructions en zone agricole, en examinant notamment les possibilités offertes en zone à bâtir. Lorsqu’une construction peut être exceptionnellement admise dans la zone agricole, elle doit en outre éviter la dispersion du bâti en favorisant sa concentration.

Tribunal fédéral 1C_170/2019 du 9 avril 2020.

Détention de chevaux à des fin d’élevage et remise en état des lieux

Dans une affaire vaudoise, en zone agricole, le service cantonal du développement territorial a régularisé l’aménagement d’un rural, d’une plateforme et d’un barbecue situés au bord d’un étang, ainsi que les travaux d’assainissement de l’aire de sortie toutes saisons pour des chevaux. En revanche, le SDT a refusé l’autorisation afin de régulariser l’agrandissement de 66 m2 de l’aire de sortie toutes saisons en question ainsi que deux candélabres. L’office fédéral du développement territorial a recouru à l’encontre du jugement de la CDAP. Le recours est admis partiellement par le Tribunal fédéral.

Dans un premier grief, le Tribunal fédéral examine, à l’aune de l’art. 24c LAT, la régularisation de la plateforme construite sur l’étang et du barbecue fixe (c. 5). La Cour constate que les possibilités de transformation au sens de l’art. 24c LAT ont été déjà largement épuisées. Au demeurant, les aménagements litigieux ne remplissent pas les exigences de l’art. 24c al. 4  LAT en matière de modifications extérieures.

L’arrêt du Tribunal fédéral porte principalement sur le régime applicable, en matière d’aménagement du territoire et de police des constructions, à la détention de chevaux (c. 6). En substance, il établit les circonstances dans lesquelles des constructions liées à une telle détention sont possibles dans la zone agricole. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :

  • Conformément à l’art. 16abis LAT, les « constructions et installations nécessaires à la détention de chevaux sont conformes à l’affectation de la zone et autorisées dans une entreprise agricole« .
  • Selon le législateur, la détention de chevaux à des fins commerciales n’a en revanche sa place qu’en zone à bâtir ou dans une zone spéciale au sens de l’art. 18  LAT. 
  • L’art. 24e LAT prévoit l’octroi d’autorisations de construire exceptionnelles dans la zone agricole à des fins de « Détention d’animaux à titre de loisir« par des non-agriculteurs.

Dans le cas d’espèce, la détention de chevaux se fait à des fins d’élevage. En l’espèce, il ne s’agit pas d’une activité dans une entreprise agricole; l’art. 16abis LAT  ne trouve ainsi pas application. L’élevage de chevaux ne peut être considéré comme une activité de loisir; il s’agit d’un autre motif de détention qui conduit à écarter le régime dérogatoire de l’art. 24e LAT. Par conséquent, l’élevage de chevaux ne peut être entrepris en zone agricole s’il n’est pas intégré à une entreprise agricole.

Dans un ultime considérant (c. 7), le Tribunal fédéral examine la question du rétablissement de la situation conforme au droit dès lors que les constructions litigieuses en zone agricole ne peuvent être régularisées. Le Tribunal fédéral rappelle alors qu’en principe les constructions érigées sans droit dans la zone agricole doivent être supprimées, à moins qu’à titre exceptionnel il puisse y être renoncé en vertu des principes généraux du droit public. La cause est renvoyée à la CDAP afin qu’elle examine cette question. 

Tribunal fédéral 1C_76/2019 du 28 février 2020.

Un résumé plus complet, avec une note, est disponible sur le site du CEDEAT (Newsletter 10)

Conditions générales de l’octroi d’une dérogation en matière de constructions

Le Tribunal fédéral s’est récemment prononcé dans une affaire concernant la construction d’une habitation à toit plat (canton de Soleure). Le règlement communal prévoit un régime général pour l’aménagement des toits en zone résidentielle W3. Ceux-ci doivent être généralement inclinés. Des « exceptions » sont néanmoins possibles; les toitures plates sur les bâtiments principaux et les annexes peuvent être approuvées sur demande, pour autant qu’elles s’intègrent dans l’environnement.

La Cour examine les conditions d’octroi d’une dérogation ou d’une exception (c. 6). Leur but est d’éliminer le durcissement et l’inadéquation évidente d’une norme dans des cas individuels, compte tenu de circonstances particulières auxquelles le législateur ne pouvait s’attendre en établissant la norme générale et abstraite. Dans ces circonstances particulières, l’application stricte de la norme conduirait à un résultat manifestement indésirable.

Selon la jurisprudence, les exceptions ne doivent pas être interprétées de manière restrictive dès le départ, mais selon les méthodes d’interprétation habituelles. L’exception doit servir la loi ou au moins les objectifs poursuivis par la loi. La dérogation doit permettre de trouver une solution qui corresponde à l’intention du législateur si celui-ci avait été confronté au cas particulier. Néanmoins, l’octroi d’une dérogation doit impliquer une situation exceptionnelle et ne peut devenir la règle, faute de quoi l’autorité d’application se substituerait au législateur par sa pratique différente.

Dans le cas d’espèce, le régime dérogatoire permis par le droit cantonal n’enlève rien au fait qu’une dérogation présuppose toujours l’existence d’une situation exceptionnelle. Il appartient alors à l’autorité de vérifier soigneusement s’il existe une telle situation – laquelle s’écarte du cas standard.

Le Tribunal fédéral admet le recours en cela que l’autorité s’est limitée a déclaré qu’un bâtiment dont le toit est plat s’intègre généralement plus à son environnement qu’un bâtiment dont le toit est en pente. Elle n’a pas examiné attentivement s’il existe une situation exceptionnelle qui justifierait ou même forcerait l’octroi d’une dérogation dans le cas d’espèce.

Tribunal fédéral IC_147/2019 du 1.11.2019

Autonomie des communes, droit des constructions

La CDAP admet le recours de voisins à l’encontre de la construction de deux bâtiments sur le territoire  de la commune de Lutry; elle annule ainsi l’autorisation de bâtir délivrée par la commune, les exigences en matière de hauteur des bâtiment n’étant pas respectées selon elle. Les constructeurs ainsi que la commune recourent auprès du TF contre cette décision, en invoquant en particulier une violation de l’autonomie communale (art. 50 Cst.) et une application arbitraire des disposition cantonales (notamment l’art. 19 RCAT). La Cour fédérale rappelle qu’en droit cantonal vaudois, les communes jouissent d’une autonomie maintes fois reconnue lorsqu’elles définissent, par des plans, l’affectation de leur territoire, et lorsqu’elles appliquent le droit des constructions. Dans un tel contexte, lorsqu’en réponse à une demande d’autorisation de construire l’autorité communale interprète son règlement en matière de construction et apprécie les circonstances locales, elle bénéficie d’une liberté d’appréciation particulière, que l’instance cantonale de recours contrôle avec retenue. 

Le Tribunal fédéral examine librement la décision de l’instance cantonale de recours, dès lors qu’il y va de l’application du droit constitutionnel fédéral ou cantonal. Dans le cas d’espèce, il constate que la CDAP s’est écartée sans motifs objectifs de l’interprétation faite par la commune de son propre règlement des constructions, violant en cela l’autonomie dont elle jouit en cette matière. Le recours est ainsi admis et l’autorisation de bâtir validée.

Tribunal fédéral, 1C_639/2018 et 1C_641/2018 du 23.9.2019