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Le bachelor en droit suisse (ou équivalent) est nécessaire à l’accès au stage d’avocat

Une candidate s’est vue refusée l’inscription au registre vaudois des avocats stagiaires au motif qu’elle ne disposait pas d’un bachelor en droit suisse. Selon le Tribunal fédéral, bien qu’elle soit titulaire d’un master en droit délivré par l’Université de Lausanne, elle ne dispose pas de la formation en droit suffisante pour entreprendre son stage d’avocate.

La recourante invoquait la violation du principe de primauté du droit fédéral (art. 49 al. 1 Cst.) en cela que l’art. 21 al. 1 LPAv-VD – exigeant un bachelor en droit suisse ou un titre équivalent pour être inscrit.e au registre des avocats stagiaires – serait contraire à l’art. 7 LLCA. Le troisième alinéa de cette disposition prévoit que le bachelor en droit suffit pour être admis.e au stage d’avocat; il ne précise toutefois pas si cette condition suffisante est également nécessaire. Le Tribunal fédéral considère que la prémisse qui semble admettre qu’un master en droit suisse (non précédé d’un bachelor en cette matière) pourrait suffire pour obtenir un brevet d’avocat et donc, a fortiori, pour être inscrit au registre des avocats stagiaires, est fondée sur l’idée que la titularité d’un master en droit suisse permet de garantir que la personne concernée dispose pour le moins de connaissances et compétences équivalentes aux titulaires d’un bachelor en droit suisse. Or, tel n’est pas le cas selon la Cour fédérale.

Sur la base notamment d’une interprétation téléologique de l’art. 7 al. 3 LLCA, cette norme doit être interprétée dans le sens qu’un bachelor en droit suisse (ou titre équivalent) « est nécessaire pour l’inscription au stage d’avocat, indépendamment du fait que le candidat au stage possède un master en droit suisse ». Cette approche est en effet la seule qui permette de garantir que les avocats stagiaires disposent des connaissances de base nécessaires à exercer leur activité. Le droit cantonal vaudois n’est ainsi pas contraire au droit fédéral. Cette solution n’est pas partagée par la doctrine.

Tribunal fédéral 2C_300/2019 du 31 janvier 2020 (destiné à la publication)

Conditions générales de l’octroi d’une dérogation en matière de constructions

Le Tribunal fédéral s’est récemment prononcé dans une affaire concernant la construction d’une habitation à toit plat (canton de Soleure). Le règlement communal prévoit un régime général pour l’aménagement des toits en zone résidentielle W3. Ceux-ci doivent être généralement inclinés. Des « exceptions » sont néanmoins possibles; les toitures plates sur les bâtiments principaux et les annexes peuvent être approuvées sur demande, pour autant qu’elles s’intègrent dans l’environnement.

La Cour examine les conditions d’octroi d’une dérogation ou d’une exception (c. 6). Leur but est d’éliminer le durcissement et l’inadéquation évidente d’une norme dans des cas individuels, compte tenu de circonstances particulières auxquelles le législateur ne pouvait s’attendre en établissant la norme générale et abstraite. Dans ces circonstances particulières, l’application stricte de la norme conduirait à un résultat manifestement indésirable.

Selon la jurisprudence, les exceptions ne doivent pas être interprétées de manière restrictive dès le départ, mais selon les méthodes d’interprétation habituelles. L’exception doit servir la loi ou au moins les objectifs poursuivis par la loi. La dérogation doit permettre de trouver une solution qui corresponde à l’intention du législateur si celui-ci avait été confronté au cas particulier. Néanmoins, l’octroi d’une dérogation doit impliquer une situation exceptionnelle et ne peut devenir la règle, faute de quoi l’autorité d’application se substituerait au législateur par sa pratique différente.

Dans le cas d’espèce, le régime dérogatoire permis par le droit cantonal n’enlève rien au fait qu’une dérogation présuppose toujours l’existence d’une situation exceptionnelle. Il appartient alors à l’autorité de vérifier soigneusement s’il existe une telle situation – laquelle s’écarte du cas standard.

Le Tribunal fédéral admet le recours en cela que l’autorité s’est limitée a déclaré qu’un bâtiment dont le toit est plat s’intègre généralement plus à son environnement qu’un bâtiment dont le toit est en pente. Elle n’a pas examiné attentivement s’il existe une situation exceptionnelle qui justifierait ou même forcerait l’octroi d’une dérogation dans le cas d’espèce.

Tribunal fédéral IC_147/2019 du 1.11.2019

Contournement du village de Schmitten, le Tribunal fédéral admet le recours d’organisations de protection du paysage et de la nature

La commune de Schmitten prévoit l’aménagement d’une route de déviation passant par la Sud afin d’alléger la circulation à travers le centre du village (rocade Sud). Cet aménagement implique des atteintes à des prairies sèches d’importance nationale qualifiées de graves par  la CFPN (ENHK).

Le Tribunal fédéral examine plusieurs griefs des recourantes, notamment la conformité de projet au plan directeur cantonal (c. 3) ou l’examen insuffisant des alternatives à rocade Sud, dans le contexte notamment de l’art. 3 LPN (c. 6). L’intérêt de l’arrêt repose toutefois sur trois aspects remarquables que nous mentionnons ici.

La Cour fédérale se prononce à propos de la pondération globale des intérêts à opérer dans l’adoption du cadre du plan d’affectation local (c. 4). Elle relève que, dans le cas des objets d’importance nationale de l’art. 18a LPN, les dérogations aux objectifs de protection supposent la dépendance directe du projet au site ainsi qu’un intérêt supérieur d’importance nationale (4.2). L’évaluation de la pesée des intérêts relève d’une question de droit que le juge examine librement; celui-ci observe toutefois une certaine retenue en présence de questions techniques et d’expertises dès lors que l’instance précédente dispose d’une meilleure connaissance (c. 4.4). Au demeurant, le Tribunal fédéral rappelle qu’il ne peut s’écarter de l’avis d’experts en matière technique sans motifs valables; à ce titre, il relève les expertises de la CFPN revêt une importance particulière (c. 4.5). Ce dernier constat sera-t-il appelé au 1er janvier 2020 à évoluer avec l’entrée en vigueur du futur nouvel art. 7 al. 3 LPN ? Celui-ci prévoit que les expertises des commissions fédérales ne constituent qu’une base, parmi d’autres, permettant à l’autorité de décision de pondérer les intérêts liés à l’aménagement du territoire.

Le Tribunal fédéral procède à l’examen de l’art. 7 OPPS. Dans ce contexte, il se prononce sur la notion d’importance nationale. Il précise que l‘évaluation de l’importance nationale doit se faire en deux étapes. Premièrement, la tâche en tant que telle doit servir un intérêt public d’importance nationale. En second lieu, il convient de s’assurer que le projet individuel à évaluer contribue également à la réalisation de cette tâche. Dès lors, l’attribution abstraite d’une importance nationale ne signifie pas automatiquement que tout projet concret visant à réaliser la tâche revêt une importance nationale (5.3.1). En l’espèce, bien qu’il s’agisse d’une route de transit d’importance nationale (d’où son importance nationale), le Tribunal fédéral considère qu’elle ne remplit pas concrètement un intérêt national; l’importance de la rocade ne revêt qu’une importance locale et ne justifie aucun intérêt national (c. 5.3.3-5.4.4).  L’art. 7 al. 1 OPPS n’est alors pas applicable; l’art. 7 al. 2 OPPS ne l’est pas non plus (c. 5.4-5.6). Cette approche du Tribunal fédéral pourrait avoir une incidence sur l’interprétation, dans le domaine énergétique, l’art. 12 LPN et de l’art. 9 OEne. 

La Cour fédéral consacre une partie de sa motivation au mesures compensatoires – mesure de remplacement – de l’art. 18 al. 1ter LPN (c. 8). Elle se demande si ces mesures peuvent être prises en compte lors de l’évaluation de l’admissibilité d’une atteinte technique à un biotope digne de protection. Une telle approche est contestée par la doctrine dominante, car les mesures de remplacement ne sont que le résultat d’une atteinte admissible et ne peuvent justifier la recevabilité de l’atteinte en cause. L’OFEV partage cet avis dans la présence affaire. Le Tribunal fédéral ne tranche pas cette question définitivement (on peut le regretter par ailleurs). Il ajoute également que, si la qualité et la quantité des mesures compensatoires envisagées peuvent être prises en compte dans le cadre d’une mise en balance globale des intérêts, cela ne signifie pas qu’une intervention soit justifiée par rapport à l’obligation légale de réaliser des mesures compensatoires. Celles-ci ne peuvent être prises en compte dans l’équilibre des intérêts en faveur d’un projet que si elles sont suffisamment concrétisées et liées à l’approbation du projet, et si elles garantissent l’équilibre environnemental poursuivi par l’art. 18 al. 1 ter LPN.

Tribunal fédéral IC_528/2018 du 17.10.2019

A propos des mesures compensatoires, voir également : Thierry Largey, Le cadre juridique des atteintes licites et illicites à la nature et au paysage, RDAF 2014 I 535.

Commune de Saint-Prex, le Tribunal fédéral admet l’effet anticipé d’un plan d’affectation

Le Tribunal fédéral a confirmé la décision de la Municipalité de Saint-Prex et l’arrêt de la CDAP (AC.2016.0388) refusant l’autorisation de construire une villa de deux logements et cinq places de stationnement sur une parcelle affecté pour deux-tiers en zone de villas B. Compte tenu de la non-conformité du projet à la zone réservée en cours d’élaboration, sur la base de l’art. 77 aLATC, la commune pouvait refuser le permis de construire.

L’actuel art. 47 LATC qui reprend l’ancien art. 77 LATC prévoit à son premier alinéa : « La municipalité peut refuser un permis de construire lorsqu’un projet de construction, bien que conforme, compromet une modification de plan envisagée, non encore soumise à l’enquête publique ». Cette disposition constitue la base légale permettant d’assortir à un plan futur un effet anticipé – qualifié ici de négatif. Dès lors que cet effet anticipé repose sur un intérêt public suffisant et respecte le principe de proportionnalité, il permet  de refuser une autorisation de bâtir en zone constructible (en prévision d’un prochain changement d’affectation). La commune dispose alors de 14 mois pour mettre à l’enquête publique le plan en question et de 12 mois pour l’adopter (art. 47 al. 2 LATC). A défaut, le requérant pourra renouveler sa demande d’autorisation de bâtir, la commune devant statuer dans les 30 jours (art. 47 al. 3 LATC). Il s’agit d’une entorse au principe de prévisibilité du droit admise par la jurisprudence et la doctrine.

Dans l’affaire de Saint-Prex, le Tribunal fédéral relève que « … si le planificateur devait décider que la parcelle des recourantes deviendrait inconstructible ou, par exemple, qu’il serait imposé un coefficient d’occupation du sol minimum plus élevé que ce que prévoit la réglementation actuelle, le refus litigieux se révélerait avoir été particulièrement pertinent. Ce résultat n’est en rien arbitraire dans un contexte de révision de la planification dans le sens d’un redimensionnement de la zone à bâtir. » (c. 6.3).

Sur l’appartenance obligatoire de la parcelle à la zone à bâtir, le Tribunal fédéral relève que, dans le cadre d’un habitat de très faible densité et dispersé, il est évident que toutes les brèches dans le bâti ne sont peut-être pas raisonnablement destinées à être comblées. Il appartient au planificateur – et non à l’autorité en charge de la délivrance des autorisations de construire – de déterminer la constructibilité de la parcelle en cause. Selon la Cour fédérale, l’affectation en zone à bâtir « ne peut être déduite, lors de la délivrance d’un permis de construire, des seules caractéristiques des lieux » (c. 4.2).

Le Tribunal fédéral ne relève aucune violation du principe d’égalité de traitement dans le cas d’espèce (c. 7).

Tribunal fédéral, 1C_429/2018 du 30 septembre 2019.

 

ONG – Qualité pour agir dans la procédure de mise sur le marché de pesticides

TAF B_532, 535 et 556/2019 du 25 octobre 2019

Le Tribunal administratif fédéral confirme le droit du WWF de consulter les dossiers d’autorisation de trois pesticides  dans leur intégralité. Il a refusé de faire prévaloir le secret des affaires sur le droit de recours des associations.

Les faits:

En 2015, le WWF avait appris sur le site de l’OFAG que ce dernier menait des procédures d’homologation en vue du reexamen ou de l’autorisation de mise en circulation de divers produits phytosanitaires, en Suisse. L’organisation environnementale avait demandé à pouvoir y participer. L’Office avait refusé au motif que le droit de recours des associations ne pouvait être exercé que contre des décisions visant un champ d’application territorial déterminé.

Le Tribunal administratif fédéral avait alors annulé le refus de l’OFAG. Le recours de ce dernier, qui portait sur l’une des substances contestées, a été écarté par le Tribunal fédéral dans un arrêt de principe rendu en février 2018 (ATF 144 II 218). Dans cet arrêt, la Haute Cour a considéré que le WWF était légitimé à participer aux procédures d’autorisation de mise dans le commerce de pesticides, sur la base de l’art. 12 LPN, en considérant que l’on se trouvait en présence d’une tâche fédérale, cela indépendamment du lieu où les produits phytosanitaires pouvaient être utilisés. Ces produits, en tant qu’ils peuvent porter atteinte à la nature tombent dans le champ d’application de la LPN (art. 1 et 18 al. 2 LPN). Les dispositions de la législation sur les produits phytosanitaires (art. 1 al. 1  OPPh) prévoient d’ailleurs qu’ils ne doivent pas exercer d’effets secondaires inacceptables sur la santé de l’être humain et des animaux ni sur l’environnement; les dispositions de l’ordonnance sont entièrement orientées par le principe de précaution (art. 1 al. 4 OPPh).

En décembre 2018, l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) a ainsi invité l’organisation de protection de l’environnement à participer a posteriori à des procédures d’évaluation de pesticides, qui avaient débouché sur des autorisations en mars et novembre 2017. Tenu à l’écart jusque-là, le WWF Suisse obtenait ainsi l’accès aux dossiers.

Trois recours ont été déposés contre les décisions de l’OFAG devant le Tribunal administratif fédéral. Ces procédures visaient en particulier à obtenir que l’une des substances entrant dans la composition des pesticides soit effacée. Voire même que tous les passages faisant allusion à cette substance soient retirés des documents remis au WWF.

Dans trois arrêts du 25 octobre 2019(TAF B_532, 535 et 556/2019), les juges de Saint-Gall ont rejeté les griefs portant sur la qualité de partie du WWF à la procédure d’autorisation et, partant, sur son droit à consulter les dossiers. Ils ont toutefois relevé que la compétence de faire primer le secret des affaires sur le droit de recours des associations appartenait en l’espèce à l’OFAG. Sur ce point, le tribunal n’est donc pas entré en matière.