Infolettre no 22, avril 2022

Aménagement du territoire, protection de la nature, droit de l’énergie : les principaux arrêts du Tribunal fédéral et du Tribunal administratif vaudois (CDAP) rendus au mois d’AVRIL 2021. 

Pour ce mois, 10 arrêts ont retenu notre attention. Il s’agit notamment des arrêts concernant les parcs éoliens Eoljoux et de Sainte-Croix.

L’ensemble des Infolettres se trouve sur le site du CEDEAT de l’Université de Lausanne : https://www.unil.ch/droitpublic/home/menuinst/recherche/cedeat/newsletters.html 

Infolettre no 21, mars 2021

Aménagement du territoire, protection de la nature, droit de l’énergie

La sélection de jurisprudence du mois de MARS 2021 du Tribunal fédéral et du Tribunal administratif fédéral est disponible sur le site du CEDEAT.

Pour ce mois, 9 arrêts ont retenu notre attention. Ils traitent notamment du droit à l’électricité dans une affaire genevoise, de la participation du public dans le cadre de la révision du plan directeur cantonal ou de l’application directe de la protection des biotopes.

L’ensemble des Infolettres se trouve sur le site du CEDEAT de l’Université de Lausanne : https://www.unil.ch/droitpublic/home/menuinst/recherche/cedeat/newsletters.html

Obligation de compenser les excédents tarifaires en matière d’approvisionnement électrique

Les services industriels de la ville de Lausanne (SIL) devront rembourser 18’049’210 CHF et 16’029’530 CHF à leurs consommateurs finaux pour des tarifs d’approvisionnement en électricité trop élevés, en 2009 et 2010.

Dans un arrêt rendu ce jour, le Tribunal fédéral a confirmé la décision de la Commission de l’électricité (ElCom); les SIL devront compenser ces « gains injustifiés » par de prochaines réductions tarifaires (art. 19 al. 2 OApEl).

Cet arrêt fondamental, rendu en français, confirme la légalité de la méthode de calcul des tarifs de l’électricité pratiquée par l’ElCom – fondée sur les coûts (« cost plus ») et non pas le prix du marché. En pratique, il concerne l’ensemble des consommateurs « captifs » en Suisse, plus précisément la facture d’électricité des ménages et des autres consommateurs profitant de l’approvisionnement de base. Il n’est pas inutile de rappeler que les tarifs pour ces consommateurs sont régulés et soumis au contrôle de l’ElCom (ils doivent être « équitables »).

Des développements seront proposés dans la prochaine Newsletter du mois d’août du CEDEAT de l’Université de Lausanne.

TF 2C_828/2019 du 17.8.2020

Frais de procédure et principe d’équivalence

A la suite d’un accident de la circulation, le ministère public de Baden (AG) a infligé une amende de CHF 300.- à une personne coupable d’une infraction au code de la route; il a de même mis à sa charge les frais de procédure pour un montant de CHF 710.-.  En première instance, ceux-ci ont été ramenés à CHF 400.- par le Tribunal de district. Le jugement a été par la suite annulé par la Tribunal cantonal qui confirmé la somme initiale.

La débitrice a introduit un recours auprès de Tribunal fédéral en évoquant le caractère disproportionné des frais compte tenu de l’amende prononcée. Le TF rejette son recours qui met à sa charge CHF 3’000.- de frais de procédure en plus.

La recourante se plaint d’une violation du principe d’équivalence application aux contributions causales (taxes), dont font partie les frais de procédure.

Les contributions causales doivent obéir à deux principes :

  • Le principe de la couverture des coûts s’intéresse à l’ensemble des coûts liés à l’exécution d’une tâche publique et n’a guère d’intérêt dans le cas en cause.
  • Le principe d’équivalence exige que la contribution perçue dans un cas concret soit dans un rapport raisonnable avec la valeur de la prestation reçue – ou de l’avantage conféré à l’administré. Celle-ci doit donc être proportionnée et ne pas être frappée d’arbitraire.

Le critère de la proportionnalité doit être examiné au travers du rapport entre la somme exigée et la valeur objective de la prestation effective de l’Etat (ici l’activité déployée par l’autorité pour rendre sa décision). Ce rapport doit rester raisonnable. 

Le Tribunal fédéral précise que la valeur de la prestation étatique est déterminée par le bénéfice économique qu’il apporte au débiteur (situation qui n’est pas visée ici) ou par le coût effectif d’exécution de la prestation au regard du domaine d’action en cause de l’Etat. Il n’est alors pas nécessaire que les contributions correspondent exactement à la charge administrative dans chaque cas; un certaine schématisme est admissible. Dans certains cas, il peut être tenu compte de la situation économique de la partie soumise à l’obligation et de son intérêt dans l’acte à indemniser. En outre, la contribution ne doit pas rendre impossible ou excessivement difficile l’accès aux prestations. L’autorité dispose d’une grande liberté d’appréciation en la matière. En l’espèce, selon le TF, les frais de procédure prononcés ne sont pas disproportionnés.

La Cour fédérale examine dans quelle mesure les frais peuvent être déterminés en fonction de la sanction. Selon la doctrine, l’objectif des frais de procédure dans les procédures pénales est de compenser les frais des autorités, et non d’imposer une peine supplémentaire. Selon le TF, la prise en compte du montant de la sanction pénale (et donc de la faute) conduit inévitablement à une sanction supplémentaire – ce qui n’est pas admissible. Ainsi, les frais de justice ne sauraient être basés sur la sanction (et donc sur la culpabilité); le TF laisse néanmoins ouverte la situation où le montant de la sanction pourrait être prise en compte comme limite maximale pour éviter des frais disproportionnés en fonction de la gravité de l’infraction (une telle solution n’est pas envisageable dans le cas d’espèce dès lors que les frais de sont pas considérés comme disproportionnés).

L’arrêt a été rendu à 5 juges (ce qui explique probablement le montant des frais de justice fixés à CHF 3’000.-); il est destiné à la publication aux ATF.

TF 6B_1430/2019  du 10 juillet 2020

Une installation en zone agricole est contraire aux buts de protection des batraciens

TF 1C_604/2018 du 16 avril 2020

Arrêt destiné à la publication aux ATF

A Kloten (ZH), A. exploite sans autorisation une station de collecte et de recyclage. Il obtient une autorisation de bâtir pour l’extension, la transformation et le changement d’affectation de bâtiments à usage commercial d’une ancienne carrière située en zone agricole. La décision a fait l’objet d’un recours de Pro Natura, admis par la Cour zurichoise en matière de constructions ; l’affaire est renvoyée afin d’approfondir le dossier s’agissant de la protection d’un biotope à batraciens. Un objet de l’inventaire fédéral des sites de reproduction des batraciens d’importance n’a pas suffisamment été pris en compte. Le Tribunal cantonal puis le Tribunal fédéral rejettent le recours de A. La Cour fédérale renonce toutefois à renvoyer l’affaire en première instance ; elle procède immédiatement à l’examen de l’admissibilité du projet au regard des exigences de protection d’une biotope inscrit à l’inventaire des sites de reproduction des batraciens d’importance nationale.

(4) Application des articles 37a LAT et 43 OAT

Dès lors qu’une autorisation de construire est nécessaire, il s’agit d’examiner si celle-ci peut être admise. Le Tribunal fédérale envisage l’application des articles 37a LAT et 43 OAT à propos des constructions et installations à usage commercial sises hors zone à bâtir et non conformes à l’affectation de la zone. Ces dispositions priment, dans leur champ d’application, les articles 24a LAT et 42 OAT.

L’article 43 al. 1 OAT pose certaines conditions au changement d’affectation et à l’agrandissement d’installations contraires à l’affectation de la zone, en particulier aucun nouvel impact sur l’environnement ne doit survenir et la nouvelle utilisation ne doit pas être contraire à une autre loi fédérale. En outre, l’article 43a OAT impose une pesée des intérêts (lit. e).

En l’espèce, la zone de Gwärfi est inscrite dans l’inventaire fédéral des sites de reproduction des batraciens d’importance nationale (objet fixe no ZH506 « Lehmgrube beim Gwerfihölzli » à l’annexe 1 de l’OBat). Certaines parties du sites font également partie d’un inventaire de la protection de la nature et du paysage du canton de Zurich (datant de 1980). Il apparaît que les installations litigieuses sont entièrement incluses dans le secteur A de protection – autrement dit le plan d’eau de reproduction et des surfaces naturelles et quasi naturelles attenantes (art. 2 OBat).

Jusqu’à présent, le Canton de ZH n’a pris aucune mesure afin de délimiter précisément le périmètre de protection, ni pris de mesures d’entretien comme l’exige l’OBat (délai de 7 ans dès l’inscription de l’objet à l’inventaire, selon l’art. 9 OBat). A ce propos, l’article 10 OBat prévoit « que les cantons n’ont pas pris de mesures de protection et d’entretien, ils veillent, par des mesures immédiates appropriées, à ce que l’état des objets fixes ne se détériore pas et à ce que la fonctionnalité des objets itinérants soit conservée » ; l’article 11 OBat ajoute que les « cantons veillent, chaque fois que l’occasion se présente, à ce que les atteintes déjà portées à l’objet soient réparées dans la mesure du possible ».

Dès lors que les installations sont situées dans le périmètre de l’objet protégé tel que défini par la Confédération, même en l’absence de délimitation précise par le canton, il est possible d’examiner sir le projet est compatible avec les objectifs de protection de l’article 6 OBat. En outre, le définit d’entretien par le canton qui n’a jusqu’à présent rien entrepris afin de préserver le biotope est considéré comme une lacune grave ; selon l’OFEV, Il est important d’éviter un nouveau déclin de la qualité du biotope d’importance nationale, avec le risque conséquent de disparition des espèces d’amphibiens rares et très menacées pour lesquelles la zone inventoriée est vitale pour la survie.

Le Tribunal fédéral considère par conséquent que pour préserver le biotope conformément aux objectifs de protection et prévenir tout atteinte à l’objet protégé, il convient de procéder immédiatement à l’examen de l’admissibilité du projet compte tenu des exigences de protection de l’OBat. Attendre que le canton définisse les limites exactes ne serait qu’une perte de temps et irait à l’encontre d’un besoin d’action immédiat ; cela ne remet pas en cause la nécessité pour le canton de définir les limites exactes et les mesures de protection adéquates.

Il convient alors de renoncer, comme le prétend l’instance inférieure, à renvoyer le dossier en première instance pour compléter l’instruction ou attendre la délimitation par le canton.

(5) Conformité du projet à l’article 6 OBat

Le Tribunal fédéral examine si l’installation de recyclage n’est pas en conflit avec des intérêts prépondérants – si elle est compatible avec les objectifs de protection de l’article 6 OBat (ce qui a été mis en doute par l’instance inférieure dans la décision attaquée).

Le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que le projet d’installation de recyclage n’est pas compatible avec la protection du biotope de reproduction des batraciens ; l’autorisation de construire dérogatoire au sens de l’article 37a LAT et 43 OAT doit ainsi être refusée. Le changement d’affectation est contraire aux intérêts supérieurs de la conservation de la nature au sens de l’article 43a lit. e OAT.

Bien plus, la poursuite de l’exploitation en tant qu’installation de recyclage est contraire à la loi fédérale et n’est pas (plus) justifiable, compte tenu également des dommages ou de la dégradation déjà causés à la zone de reproduction des batraciens. Aucun motif dérogatoire au sens de l’article 7 OBat n’est applicable en l’espèce : une installation de recyclage n’est pas imposée par sa destination en dehors de la zone à bâtir et doit être réalisée dans la zone constructible.

Compte tenu de ce qui précède, il appartient à l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation de construire de prononcer les mesures de rétablissement de la situation conforme au droit.

Ce résumé sera publié dans la Newsletter no 12, du mois de juin, de la CEDEAT