Le monde est plus grand de nos nombrils ! 

Par Anna Chialva

Une critique sur le spectacle :

Les Voyages de Gulliver /D’après Jonathan Swift / Texte de Yvan Richardet / mise en scène par Thierry Crozat / Cie Les arTpenteurs / Le Petit Théâtre (Lausanne) / du 17 avril au 5 mai 2024 / Plus d’infos.

© Philippe Pasche


Après l’Odyssée (2018-2021) et Fahrenheit 451 (2023), les ArTpenteurs renouent avec le thème du voyage. En coproduction avec le Petit Théâtre de Lausanne, la compagnie itinérante vaudoise stimule la réflexion des grands et des petits sur leur rapport au monde dans une adaptation réussie des Voyages de Gulliver pour le jeune public. 

« Ne restez pas prisonniers d’un point de vue ! Le monde est plus grand ! » Voici les paroles qu’on chantonne en sortant de la toile du chapiteau rouge situé dans le jardin du Petit Théâtre. Le monde est plus grand, oui, mais par rapport à quoi ? La complexité des rapports au monde et aux savoirs constitue en effet l’objet de la réflexion sous-jacente à cette comédie musicale où les sons, les couleurs, les images et les différentes technologies s’alternent pour créer une atmosphère magique, presque onirique et circassienne. 

Dès l’entrée dans le chapiteau, les spectateurs sont plongés dans la fiction. Ils sont invités à prendre place sur « le bateau » de Gulliver, humain européen et médecin de marine – interprété́ par chacun des comédiens à des moments différents du spectacle – qui se présente au public et introduit son voyage. Les étapes du voyage sont expliquées par le biais d’un expédient scénique utilisé à plusieurs reprises : une maquette représentant un bateau-jouet qui, sur fond sonore, parcourt une carte géographique au milieu de la scène. La maquette, enregistrée en direct par l’un des comédiens avec un appareil électronique, est projetée sur un grand écran en fond de scène.

Le jeu médiatique, les maquettes et les chansons sont des ressorts scéniques très exploités permettant une transformation de la réalité. Les échelles, les images et les sonorités différentes ainsi créées deviennent des véhicules efficaces du message de la pièce et font l’ingéniosité́ et la particularité́ du spectacle. Les ArpenTeurs envisageaient en effet, selon le dossier de presse, une adaptation hétérogène et artisanale de l’œuvre de Swift : un « voyage enchanteur qui se raconte et se fabrique à vue, comme lorsque les enfants inventent un jeu dans la cour d’école ». 

Parmi les quatre voyages racontés dans l’œuvre de Jonathan Swift, les deux voyages de Gulliver choisis pour l’adaptation théâtrale travaillent sur plusieurs thématiques qui, toujours de manière ludique et jongleuse, développent une réflexion éthique. Par la mise en scène de la maladresse, des quiproquos et de l’ingénuité́ de Gulliver, les thèmes de la guerre, du pouvoir, de la technologie et de l’Autre parlent de la condition humaine sous un point de vue insolite, mettant en exergue sa petitesse, bien plus que sa grandeur. 

Gulliver apprend à se connaître en s’ouvrant à l’Autre ; il devient de plus en plus conscient de sa petitesse d’esprit et de la grandeur du monde. Le savoir théorique de caractère occidental et l’expérience vécue dans les contrées inconnues du monde s’affrontent sur scène dans un dialogue clownesque où les mots prennent forme par des gestes et des sons étranges qui enrichissent l’œuvre de Swift. L’espace scénique circulaire contribue à l’interaction avec le public et à la transmission du message de la pièce, accueilli avec grande joie par les enfants ressortissants du chapiteau : leurs sourires vous en témoigneront ! 

Et que les adultes prennent garde à considérer Les Voyages de Gulliver comme une simple petite pièce pour l’enfance, car c’est bien à l’enfant qui nous habite qu’ils s’adressent. Soyez curieux, allez jouer avec les ArTpenteurs et vos enfants : vous vous amuserez dans la découverte d’un autre monde et peut-être davantage de vous-mêmes !