Le mythe sur une autre fréquence 

Par Piera Biondina

Un compte rendu sur le texte de la pièce :
cassandre peut-être (2022)/ de Giulia Rumasuglia / Plus d’infos.

© Chloé Cohen

Giulia Rumasuglia a étudié les lettres à l’Université de Genève et à l’Université de Lausanne avant un parcours dans les arts de la scène et un master en orientation mise en scène à La Manufacture. Ecrite au cours de l’été 2022 à partir de l’Agamemnon d’Eschyle, cassandre peut-être est sa pièce de sortie de l’école lausannoise. 

« 14 : Donc en gros Agamemnon revient de la guerre de Troie et se fait découper dans le bain par Clytemnestre, Cassandre entre aussi dans la pièce vivante et en ressort morte, et Clytemnestre a enfin réussi à venger sa fille Iphigénie. 

13 : Chut. 

14 : Et le chœur assiste à tout et parle avec tout le monde. »

Tel est le résumé de la pièce d’Eschyle que proclament 13 et 14, les deux voix auxquelles la parole est donnée dans cassandre peut-être – en plus des voix entendues à la radio.

13 et 14 sont les remplaçantes du chœur de la tragédie d’Eschyle et attendent depuis longtemps de jouer la pièce Agamemnon. Elles sont « les peut-être, les on verra bien, les tant pis et les c’est comme ça ». Elles commencent par raconter l’histoire telle qu’on la connaît mais une radio qui change continuellement de fréquence va tout bouleverser. Cette radio appartient à cassandre – sans majuscule – qui la manipule et en fait sortir des bulletins météo dans plusieurs langues et des morceaux de musique qui rythment la pièce. C’est ainsi que 13 et 14, en questionnant le mythe et les choix artistiques d’Eschyle, nous accompagnent à la recherche d’une nouvelle histoire.

Elles évoquent les raisons historiques et politiques de la guerre de Troie en libérant Hélène de la culpabilité qui lui a toujours été attribuée. Car dans cette réécriture de la pièce d’Eschyle, il n’est question ni de héros, ni de glaives, ni de batailles. Il s’agit d’entendre d’autres versions, des versions que la langue dont nous disposons peine à raconter. cassandre peut-être déploie la musique, l’inventivité linguistique et l’écoute attentive des silences pour libérer les voix opprimées et silencées par le poing brutal de la tradition et faire résonner des récits jusqu’ici inaudibles de l’Histoire. La pièce suit les fils qui n’ont pas été parcourus par Eschyle, ou plutôt en se réglant – littéralement – sur une nouvelle fréquence radio. Elle cherche l’histoire dans les silences de la pièce d’origine, le silence de Cassandre mais aussi celui des deux voix muettes, qui s’affranchissent finalement du chœur de la « grécotragédie » pour essayer de dire leurs vérités.

Réécriture subtile, nécessaire et subversive qui veut donner une voix aux « sans entrée dans le dictionnaire », la pièce, en faisant parler les silences, parvient à dire autre chose que tout ce qui « a toujours été trop dit, trop écrit ».