Tout est possible

Par Piera Biondina

Une critique sur le spectacle :

Festival / Conception et jeu par Claire Dessimoz, Clara Delorme, Louis Bonard / La Grange, Centre / Arts et Sciences / UNIL / du 5 au 10 décembre 2023 / Plus d’infos

© Anouk Maupu

Dans une représentation pleine de musique et de surprises, Festival expose les mécanismes du théâtre non pas pour le discréditer mais pour saluer sa capacité à surprendre, émerveiller et raconter toutes sortes d’histoires sans limites à l’imagination. Nul besoin de dialogues : la force du spectacle réside dans l’utilisation de la musique, dans les corps des comédien.nes et dans le théâtre lui-même, compris à la fois comme lieu et comme médium artistique.

Le spectacle est à la fois très simple et très complexe à résumer. Très simple, parce qu’il parle d’une famille parfaite à l’extrême dont la maison, la nuit de Noël, est envahie contre toute attente par des créatures, inoffensives, qui semblent venir d’une autre planète. Très complexe, parce que cette histoire apparemment simple recèle tout un jeu avec les codes du théâtre, ses capacités de narration et ses limites, ses solutions techniques liées à la scénographie, aux décorations, aux masques et ainsi de suite. 

Le jeu des comédien.nes est davantage basé sur le mouvement et l’expression physique que sur le dialogue. L’histoire se déroule en effet sur un fond très présent de musique classique, avec surtout la première symphonie de Mahler. Il y a également des morceaux plus pop qui, de temps en temps, prennent le dessus et les personnages – que ce soit la mère de famille dans la première partie ou les créatures extraterrestres dans la seconde – se laissent transporter par le rythme, entraînant avec eux le public. Ces moments contrastent avec l’atmosphère générale, plus calme et paisible, qui semble dominer la scène, et suscitent des rires. 

Dans la première partie, le public observe le père (Louis Bonard), la mère (Claire Dessimoz) et la fille (Clara Delorm) qui mènent une parfaite vie familiale la veille de Noël. Leurs gestes, aussi exagérés que le volume de la musique, ont quelque chose de parodique, dans un décor excessivement réaliste. Chaque sourire, chaque câlin, chaque regard est surjoué et cette scène terriblement longue touche à l’absurde pour le public. Sans que le quatrième mur ne soit encore brisé, cet excès de théâtralité suffit à exhiber la fictionnalité du spectacle, et c’est précisément autour de la notion de « théâtre » et des questions sur ce que le théâtre peut faire que se construit la deuxième partie. 

Une fois que père, mère et fille sont allés se coucher et que les créatures extraterrestres entrent en scène, l’ingéniosité de la mise en scène et de la scénographie (signée Mathilde Aubineau) est dévoilée petit à petit dans un crescendo au cours duquel ces nouveaux personnages s’approprient l’espace en l’occupant avec leurs corps apparemment maladroits mais étonnamment agiles, et en le détruisant. On s’amuse de la façon de bouger des créatures et de l’étrange contraste avec la scène réaliste initiale.  

La nature artificielle du théâtre est, petit à petit, littéralement déconstruite. Non seulement le quatrième mur, mais tous les murs constituant la maison de la famille tombent, et l’espace est utilisé par les créatures tel qu’il est, en révélant toutes les astuces des décors. Cette destruction tant physique qu’intellectuelle du théâtre est d’autant plus joyeuse que le public est invité par les créatures à y prendre part. Les extraterrestres, aux masques très élaborées et aux costumes qui rendent leur corps lourdaud, munis d’une longue queue de dinosaure, n’hésitent pas à enjamber les sièges de la salle tout en interagissant avec les spectateur.ices, qui ont ainsi la possibilité de les toucher, de sentir la matérialité de leurs costumes.

En exhibant les artifices du théâtre, le spectacle les célèbre, en réveillant auprès du public la simple joie de constater qu’il est possible de faire apparaître une forêt là où il y avait un salon, et qu’il n’y a rien qui nous empêche de mêler à notre réalité des histoires d’extraterrestres et des contes de Noël.