Romcom Tom

Par Enola Rindlisbacher

Une critique sur le spectacle :

Le si peu talentueux Mister R. / Texte et mise en scène par Jan Koslowski / POCHE/GVE / du 20 novembre au 3 décembre 2023 / Plus d’infos

© Philip Frowein

Dans cette pièce déjantée, le quatuor formé par Tom, Tom, Tom et Tom à l’identité unique mais à la voix partagée, nous raconte son histoire d’amour avec un certain Tom dans l’univers superficiel de la bourgeoisie européenne « cosmopolite » menant une vie de bohème dans les destinations touristiques les plus prisées. 

Cette nouvelle saison 23-24 du POCHE / GVE, intitulée EC(H)O, met l’accent sur la dynamique des voix (écho) et prête une attention particulière aux enjeux écologiques (éco) dans la création des spectacles. Le si peu talentueux Mister R. aborde spécifiquement cet écho dans la fragmentation du personnage principal, de sorte que les différentes voix qui le composent se répètent, se répondent et entrent en résonance avec le public. Le titre de la pièce fait explicitement référence au roman psychologique The Talented Mr. Ripley (1955) de Patricia Highsmith, adapté au cinéma notamment dans Plein soleil (1960) avec Alain Delon. La pièce n’est cependant pas une transposition exacte de l’œuvre de Highsmith ni du film de René Clément, mais une adaptation libre qui reprend l’esthétique du film dans les accessoires, costumes et la mise en scène, tout en abordant certaines thématiques du livre. Au-delà de ces références culturelles, la pièce cherche surtout à évoquer un univers de représentations partagées, que ce soit en reprenant la trame stéréotypique de la comédie romantique ou en représentant le mode de vie des bobos du XXIe siècle.

Rideaux fermés. Derrière, quatre acteurs simplement vêtus de peignoirs adoptent des postures lascives sur un matelas. Leur image est projetée sur les rideaux. Lorsque ces derniers s’ouvrent enfin, ils révèlent l’intimité d’une chambre d’hôtel luxueuse avec un carrelage à motif géométrique. En son centre, le matelas. Les comédiens s’avancent, l’un deux dit : « Me voilà, Je suis Tom ». Un autre ajoute : « Ich bin auch Tom ». Qui est Tom ? Il est ce gars rencontré à l’Université, celui qui ne va pas en vacances à Venezia en août car « on ne va pas en vacances à Venezia en août ». Celui qui s’offre le meilleur Airbnb de la ville, qui ne compte pas son argent, celui qui vit comme si tous les jours étaient un dimanche. Contrairement au Tom de Patricia Highsmith, manipulateur talentueux et peu scrupuleux, le Tom de Jan Koslowski se caractérise par son absence de savoir, énoncée comme un refrain : « Voici Tom, il faut tout apprendre à Tom parce qu’il ne sait rien // Je suis Tom, il faut tout m’apprendre parce que je ne sais rien. » 

Tom apparaît sur scène comme une identité fragmentée entre les comédiens Chady Abu-Nijmeh, David Attenberger, Marek Recoursé et Daryl Xavier. Celle-ci est complètement interchangeable, tant avec chacun des comédiens qu’avec toutes les personnes suivant ce mode de vie de la nouvelle bourgeoisie bohémienne vivant dans l’insouciance et la pauvreté feinte, qui, dans les destinations touristiques les plus prisées, a remplacé l’ancienne bourgeoisie opulente et rigide du film de René Clément. Cette bourgeoisie représentée dans la pièce se caractérise également par son aspect cosmopolite. Tom est représenté comme un vacancier perpétuel, sans racine, pour qui les lieux sont aussi interchangeables que les personnes. Le texte plurilingue de la pièce où allemand et français se partagent les répliques avec quelques fois de l’anglais et du suisse allemand, produit également cet aspect « cosmopolite ».

La vie superficielle de Tom se traduit dans une vie de bohème, légère et répétitive, où personne ne se soucie du lendemain : un « Romcom Tom » commente Daryl Xavier, mais la référence au genre cinématographique de la comédie romantique ne s’arrête pas à l’intrigue. Pour suivre l’histoire d’un amour d’été, le dispositif scénique joue avec les codes du cinéma. Différents plans sont réalisés à l’aide d’une caméra portée par un des comédiens sur scène et dont les images sont projetées sur les rideaux. D’autres clins d’œil au cinéma surgissent, avec la diffusion d’un générique par exemple, contribuant à créer un univers fictionnel plein de légèreté et humour.