(Ne pas) croire à la fable

Par Enola Rindlisbacher

Une critique sur le spectacle :

Le Prince de Hombourg / Mise en scène par Robert Cantarella / d’après le texte de Heinrich von Kleist / Théâtre de Vidy (Lausanne) / du 6 au 10 décembre 2023 / Plus d’infos.

© Nicolas Valois

À partir d’une nouvelle traduction du Prince de Hombourg composée par le poète Stéphane Bouquet, le metteur en scène Robert Cantarella joue avec les limites de l’adhésion des spectateurs à la fable en brisant l’immersion de la représentation théâtrale.

À l’origine, Le Prince de Hombourg se présente comme un « drame patriotique » écrit vers 1810 par le poète Heinrich von Kleist dans le but de convaincre ses compatriotes à se dresser contre Napoléon alors que ses armées continuent de s’étendre sur toute l’Europe. S’inspirant librement de l’histoire – presque légendaire – de l’un des plus fameux ancêtres des Hohenzollern, le Grand Électeur, qu’il trouve dans Les Mémoires de Frédéric II, Kleist crée un personnage qui incarne la raison d’État exigeant une soumission absolue à la loi. Son second personnage principal et héros de la pièce, le prince de Hombourg, incarne quant à lui le point de vue opposé, les passions du cœur. Au-delà du conflit insoluble de la loi et du cœur, se joue également la thématique de l’épuration de l’esprit, nourrie des théories kantiennes, où la moralité doit triompher des tendances mauvaises chez le jeune prince. Le drame donc, se rapproche également de la lignée des tragédies de purification du théâtre classique allemand. Que reste-t-il du Prince de Hombourg en 2023 ?

La lumière s’éteint et s’allume par intermittence. Assis au milieu de feuilles vertes dans un rectangle de la largeur d’une tombe, le prince, immobile, tient une couronne de laurier entre ses mains. Il est habillé d’une chemise blanche et d’un slip. Sur la droite, les costumes sont exposés sur des cintres entre de grands étendards blancs : armure, épée, robe de princesse, chapeau à plume et autres vêtements inspirés du xviiie siècle viennent flouter la limite entre la scène et les coulisses. Les murs qui entourent la scène sont dénudés. Derrière le prince, un canapé noir et deux fauteuils modernes. En fond de scène, un imprimé de forêt sur deux planches de décor. Côté jardin, au fond, des chaises pliables et des praticables réduits à leur simple fonction. Deux rideaux en plastique rouge forment une fausse coulisse par lequel les comédiens entrent. Le drame se joue sur une estrade, relayé par un écran.

Loin d’être en quête de véracité historique, la mise en scène vient plutôt tester les limites de l’adhésion des spectateurs à la fable en déconstruisant sans cesse ce qui pourrait faire illusion. Le jeu des comédiens, volontairement en retrait, désamorce sans cesse les possibles envolées lyriques, jusqu’à mettre en question le principe même des rôles. Si le dispositif qui consiste à maintenir les spectateurs aux frontières de la fiction intéresse, le choix de l’appliquer à une pièce qu’on éprouve dès lors comme très longue présente le risque de perdre certains d’entre eux.