Moments de vie sur le parking

Par Théo Krebs

Une critique sur le spectacle :

Autostop / Conception Floriane Mésenge / dans le cadre du Festival « Le Printemps des compagnies » / Théâtre des Osses Fribourg /du 16 au 25 juin 2023 / Plus d’infos.

© Arya Dil

Sur le parking du Théâtre des Osses, la Cie du rond-point recrée devant le public des moments de vie capturés lors de trajets en autostop, et en construit un nouveau avec celles et ceux qui se sont déplacés pour les écouter.

À l’origine d’Autostop, il y a Floriane Mésenge, sociologue devenue metteuse en scène, qui décide de reprendre son activité d’autostoppeuse. Elle s’entoure de deux comédiens dont le travail s’inspire du réel, tous deux issus de la Manufacture : Maxime Gorbatchevsky, qu’on avait pu voir en 2018 dans le film Prénom : Mathieu de Lionel Baier, inspiré d’un fait divers, et Jean-Daniel Piguet qui, dans Partir (2021), retranscrivait les derniers moments de vie de son père. Ensemble, iels créent la Compagnie du rond-point. Le spectacle, apprend-on au milieu de la représentation, est dédié aux centaines de personnes qui se sont arrêtées au bord de la route et qui par cette démarche ont créé un moment particulier entre deux personnes : après avoir passé parfois plusieurs heures ensemble, elles ne se reverront probablement jamais. Après le plaisir des rencontres en autostop vient celui de la rencontre avec le public.

Les trois comédien.ne.s portent, tout au long du spectacle, un casque dans lequel sont diffusés les enregistrements de leurs parcours en autostop qu’iels nous restituent. « On stresse un peu, parce que si vous n’étiez pas là, on ne pourrait pas jouer », nous dit Maxime Gorbatchevsky aors qu’il s’échauffe sous nos yeux sur le parking du théâtre transformé en scène pour l’occasion. Les comédien.ne.s règlent les micros qui diffuseront leur voix par haut-parleurs devant le public et précisent avec malice : « là, ça n’a pas encore commencé, si jamais ». Autostop fait partie de ces spectacles qui rendent volontairement indistincte la frontière entre ce qui est joué et ce qui ne l’est pas ; voire, qui jouent à ne pas jouer. Si le problème technique est aussi faux que vraisemblable, qu’en est-il, par exemple, de l’attelle que garde Jean-Daniel Piguet, tout au long du spectacle et qui est pourtant déjà mentionnée par deux chauffeurs ? La porosité entre le théâtre et la réalité est également travaillée dans les registres de jeu et dans la scénographie. Souvent, le jeu est très frontal, provoquant une confrontation directe. La première scène présente un chauffeur psychologue tentant de convaincre qu’il est dangereux de prendre une femme en stop, car « elle pourrait nous accuser », alors que Floriane, qui interprète son propre rôle d’autostoppeuse, semble gentiment s’en moquer. Le décor est simple et sans limites, composé d’une chaise de camping pliante, un siège de voiture, et une table où sont posés différents objets, dont l’énorme de sac de Floriane.

Plus rarement, les scènes se déroulent plus loin des spectateurs, par exemple dans ou sur une camionnette. Le public ne semble plus exister pour les figures qui évoluent dans l’espace de jeu, ce qui donne le sentiment privilégié d’assister à un moment qui ne nous est pas destiné, comme lorsque Floriane se lance dans un karaoké improvisé avec un chauffeur de camions. Le spectateur se retrouve alors dans une position voyeuriste, parfois amusante, ou, au contraire, inconfortable, comme lorsqu’il assiste, impuissant, à une discussion entre la jeune femme et un homme tentant de négocier le trajet contre un baiser qu’elle refuse d’accorder. Plus largement, le spectacle accorde une place importante à sa situation de femme faisant de l’autostop. La drague un peu lourde, parfois plus ; la crainte, après la nuit tombée et dans un endroit désert lorsqu’un homme s’arrête ; le début de ses règles après une soirée trop arrosée dans un coin reculé de France.

Mais quelqu’un finit toujours par s’arrêter. Le spectacle donne à voir un large panel de la société : pompiers, gilets jaunes, ou encore femme au foyer de cinquante ans ; souvent un peu misogynes, un peu homophobes ou un peu racistes, mais le plus souvent, fondamentalement bienveillants. Et, la plupart du temps, un peu amusants. Le comique tient en grande partie à l’incongruité des dialogues, auxquels il serait difficile de croire s’ils avaient été inventé. Le spectacle est, pour chacun.e, une invitation à suivre le fil de ses rencontres et à prendre la vie comme elle vient.