Mer ou mère ?

Par Clémentine Glardon

Une critique sur le spectacle :

Mer plastique / direction artistique et chorégraphie Tidiani N’Diaye / Théâtre du Grütli / du 10 au 21 décembre 2022 / Plus d’infos.

© Dorothée Thébert

Des créatures étranges émergent et évoluent dans une surprenante mer de sacs plastiques colorés. Mer plastique évoque, avec paradoxalement beaucoup de poésie, les décharges du Mali envahies par les déchets, dans un immense contraste entre la beauté de la scène et la tragique réalité qu’elle symbolise. Des images se créent et disparaissent dans ce monde de sacs plastique, à la fois proche de la réalité et tout à fait fantasmagorique.

Au Mali, de nombreuses personnes travaillent dans ces décharges, en mettant en danger leur santé. Le spectacle évoque d’emblée cette situation dramatique. La scène est couverte de sacs colorés. Une fumée rend tout un peu flou. Un bruit léger, mais assez oppressant, de plastique chiffonné, se fait entendre. Les danseurs errent dans cette mer, en ramassant des sacs : l’un prend uniquement des sacs transparents, l’une souffle dessus ou les jette en l’air pour les faire s’envoler, un autre les cache sous son pull. Petit-à-petit, ils se croisent et interagissent. On ne sait pas trop si on a affaire à des scènes de bagarre ou de solidarité. Puis ils se regroupent. Les cinq danseurs font apparaître au travers des monceaux de plastiques, des formes humaines, à l’image du plastique accumulé, et des êtres hybrides, à mi-chemin entre l’humain, l’animal, l’arbre et le monstre. On ne peut s’empêcher de penser à l’homophonie entre « mer » et « mère » : le plastique crée. Le corps est déformé par les sacs placés sous les vêtements ; en mettant des quantités de ces sacs sur leur tête, les danseurs ressemblent à des arbres en mouvement. On y voit alors des monstres dus à la pollution, et parfois des animaux au plumage coloré, de drôles d’oiseaux, des papillons, de l’eau, dans un spectacle d’une grande poésie

La musique, très rythmée, est accompagnée par un whalophone, un instrument qui permet de reproduire des sons qu’on peut associer à la mer, ce qui renforce les effets visuels lorsque le plastique, mis en mouvement par les danseurs, rappelle les vagues. La chorégraphie, en partie issue d’une création collective, fait intervenir les danseurs en solo, en duo ou en groupe selon les moments, avec des mouvements saccadés, qui entrent en complémentarité avec la fluidité de leur interaction avec les sacs.

La création dénonce la surconsommation, les excès, et invite à une lutte contre le plastique. Les sacs sont si omniprésents et envahissants qu’ils se collent partout jusque sur le visage des danseurs. Même lorsque ces derniers essaient de les balayer, ils reviennent inlassablement, au point de former un gigantesque mur, qui devient vivant, produisant des battements, comme ceux d’un cœur et prenant une forme d’autonomie.