« Papa, quand on est mort, on peut encore respirer ? »

Par Josefa Terribilini

Une critique sur le spectacle :
Le Loup des sables / D’après le roman de Åsa Lind / Adaptation et mise en scène de Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier / Théâtre des Osses / du 12 au 27 janvier 2018 / Plus d’infos

© Isabelle Daccord

Le Loup des sables est une pièce conçue avec le sérieux des adultes pour l’innocence des enfants. Au Théâtre des Osses, le duo Pasquier-Rossier offre une adaptation ingénieusement cartoonesque du roman de l’auteure suédoise Åsa Lind, paru en 2012. Écran animé en fond de scène, plateau ensablé à l’avant-scène, la représentation additionne art vidéo et théâtre pour un résultat détonnant.

On dit souvent que les contes pour enfants parlent autant aux petits qu’aux grands. Que l’histoire peut être comprise de deux manières, métaphorique ou littérale, rationnelle ou naïve. Le texte du Loup des sables, à sa façon, fait exception. Ce que le spectacle raconte est univoque. Hormis quelques touches de féérie et une pincée d’étoiles magiques, l’ensemble est très concret : une petite fille, Zacharina (Fanny Künzler), vit au bord de la mer avec ses parents (Caroline Imhof et Vincent Rime). Lorsque ces derniers vont travailler, pendant la journée, elle file s’amuser sur la plage, frustrée de n’avoir pas de compagnon de jeu… jusqu’à sa rencontre avec le Loup des sables (Pierre Spuhler). Sa vie en est chamboulée : cette créature fantastique, surgie d’on ne sait où, lui enseigne de nouveaux tours et répond à ses questions… à sa manière :
« – J’étais où avant d’être dans le ventre de Maman ?
– Toi seule le sais, c’est ton histoire… »
À elle de faire marcher son imagination. Et c’est cela, la beauté de ce texte. Face à la mer, entre les pierres en mousse, la fillette est encouragée à penser, à chercher et à inventer, avec le coup de pouce de son ami le loup. Alors, au fil des leçons, Zacharina grandit. Le travail des parents, l’enterrement d’un animal, l’injustice d’un match de football ou encore le changement de couleur d’une pèlerine, toutes les interrogations de la petite fille aux cheveux roses sont écoutées attentivement par son compagnon, et par le jeune public de la salle. Ce qu’il rit, ce jeune public, ce qu’il participe ! « T’es pas mignon, t’es moche ! » s’écrie un petit garçon du premier rang, alors que le comédien déguisé en canidé se gargarise du pelage de son personnage. Et quand Zacharina aborde une nouvelle question, pas un bruit ne vient briser la concentration générale. Les enfants partagent ses interrogations, et même, en ajoutent d’autres : « Papa, quand on est mort, on peut encore respirer ? ».

Si ce parcours initiatique enthousiasme les petits, sa construction répétitive peut parfois lasser les grands. Les leçons sont organisées en chapitres, que la mise en scène choisit de restituer visuellement ; à chaque nouveau thème, l’écran perd sa petite maison, son ciel bleu et sa colline, et devient tableau noir. Le titre de la prochaine question y apparaît, comme tracé à la craie par une main invisible. L’image est jolie, mais au fil de la représentation, le mécanisme s’enrouille un peu. Les leçons se succèdent sans lien, et nous laissent parfois sur notre faim : on aurait aimé voir, nous aussi, le manteau rouge de Zacharina dans la lueur d’une lampe verte, comme le lui a conseillé le loup… ! Mais la pièce était était déjà passée à autre chose.

Or, si l’on est frustrés, c’est bien que l’on s’est fait embarquer, nous aussi, dans le spectacle ; la mise en scène foisonne d’idées pour entraîner les spectateurs dans un monde où l’illusion et la réalité se combinent joyeusement : depuis nos sièges, on s’émerveille de voir les personnages animés courir face à nous depuis la maison projetée sur l’écran et surgir soudain « en vrai » entre les roseaux, sur le sable du plateau. Ce plateau est si beau lorsque le loup change l’éclairage en bleu, puis en rouge, d’un seul geste de sa main, pour expliquer à Zacharina le fonctionnement des couleurs. Et puis, il y a cette scène, dans la cuisine des parents apparue en transparence derrière l’écran, où les jambes de la fillette remuent tant sous la table qu’elles se détachent de son corps… « mais je fais pas exprès, j’ai les jambes qui fourmillent ! ». On se souvient alors de L’Illusion comique, par les mêmes Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier, qui mêlaient déjà projections et théâtre pour brouiller les frontières entre réel et irréel, avec habileté et discrétion.

Finalement, ni les enfants ni les adultes ne sauront d’où venait ce loup, ni combien de temps dureront ses leçons. Mais tous repartiront plein d’images en tête, avec des questions à poser pour les uns… et des réponses à donner pour les autres.