Quand l’amour (se) joue

Par Emilie Roch

Les Acteurs de bonne foi / de Marivaux / mise en scène Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier / Théâtre des Osses / du 14 novembre au 8 décembre 2015 / plus d’infos

©Carole Parodi
©Carole Parodi

Après L’Illusion comique de Corneille qui avait ouvert avec éclat la saison 2014-2015 du Théâtre des Osses, le duo formé par les co-directeurs du Centre dramatique fribourgeois, Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier, renouvelle son aventure dans le registre comique classique avec une pétillante adaptation d’une pièce en un acte de Marivaux, Les Acteurs de bonne foi.

Poutres apparentes, échelles, poulie, bottes de foin, poules (en chair et en os), boxes pour les chevaux, c’est dans une grange tout en bois que se joue Les Acteurs de bonne foi. Cette grange est tour à tour le théâtre des premiers émois d’Eraste et de sa fiancée Angélique, qui batifolent secrètement dans la paille, le lieu de répétition d’une pièce clandestine et le terrain de jeu de Madame Amelin, tante d’Eraste, riche mondaine qui s’amuse sans scrupule aux dépens de son entourage. Intemporel foyer des échanges secrets, ce lieu est aussi celui d’une mise en abyme, dans cette pièce de Marivaux dont le moteur est celui du « théâtre dans le théâtre ». Les domestiques de la maison de Madame Argante s’y réunissent sous la houlette du valet Merlin : Madame Amelin – venue célébrer le mariage d’Eraste et d’Angélique – lui a promis une récompense en échange d’une pièce qui la divertirait. Merlin, imbus de ses talents dramaturgiques, tente tant bien que mal de discipliner sa troupe de fortune composée de son amante Lisette, ainsi que d’un couple d’amoureux, Colette et Blaise. Il s’agit de les faire jouer « à l’impromptu » selon la tradition italienne, c’est-à-dire à partir d’un simple canevas. Et ce n’est pas le garçon de ferme dissipé (interprété par Sara Oswald, musicienne professionnelle), reconverti en violoncelliste, qui lui simplifie la tâche ! L’idée de Merlin est d’inverser les couples dans la comédie, afin d’éveiller les passions et les jalousies et donc de provoquer un jeu plus vrai que nature, un jeu de « bonne foi ». Et comme ce qui devait arriver arriva, la situation s’envenime bien vite entre les personnages qui peinent à distinguer la réalité de la fiction…

Avec L’Illusion comique et Les Acteurs de bonne foi, nul ne saurait nier que la mise en abyme inspire Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier, dont la collaboration avait jusque là surtout donné naissance à des spectacles inspirés d’œuvres des XXe et XXIe siècles : parmi les plus récents, LékombinaQueneau (2010), Le Château de Kafka (2010) et Le Ravissement d’Adèle de Rémi De Vos (2013). Dans Les Acteurs de bonne foi, « le théâtre, joué au plus proche de la vérité, agit comme un révélateur des sentiments les plus enfouis », déclarent les co-metteurs en scène. Et cela brouille également les frontières entre les différents plans de la fiction, créant autant de situations comiques, comme lorsque la grange se mue en ring de boxe où s’affrontent Colette et Lisette, après que la première a si bien mimé son amour pour Merlin que toutes deux s’y sont méprises… Du comique certes, mais bien souvent né de situations cruelles, car les personnages, dans leur majorité, jouent leur propre rôle sans le savoir et sont par conséquent frappés de plein fouet par la pièce dont ils font partie. Si la pièce a une fin heureuse pour presque tous, Araminte, éprise d’Eraste, est la seule à ne pas « folâtrer et rire » comme le chantent les autres personnages lors de l’ultime scène. Veuve à trente-neuf ans et demi, elle ne peut que constater avec dépit que l’amour n’est plus de son âge. Malgré le statut ambigu de ce rire, le public rit à gorge déployée pendant une heure et quart de spectacle et applaudit parfois les trouvailles ingénieuses de mise en scène ainsi que les talents des comédiens, admirables de polyvalence. Musique, chant, acrobatie, magie, twirling, ou encore dressage canin agrémentent la pièce de ce que l’on appelait à l’époque de Marivaux des « divertissements ». De chaque élément de la grange est fait un usage surprenant et comique : les fers à cheval ou les boilles à lait se muent en percussions et les œufs en balles de jonglage. Créativité est le maître-mot pour qualifier cette adaptation des Acteurs de bonne foi, qui ne manquera pas de dérider même votre austère grand-oncle.