À quel point les musiques partagées sur X (anciennement Twitter) trahissent-elles l’état de santé mentale des utilisateurs et utilisatrices ? C’est la question d’une étude récente, coécrite par un groupe de spécialistes, dont Anahita Mehrpour, chercheuse au Centre LIVES et au laboratoire de psychologie sociale Unilaps de l’UNIL.
Avec les réseaux sociaux, les barrières de notre intimité ont sauté. Jusqu’ici rien de neuf. Photos dénudées, partages de ressentis intimes, récits d’anecdotes privées. Volontairement ou non, ce que l’on publie en dit long sur la personne derrière le pseudo. Mais réalise-t-on réellement la portée de ce que nous révélons ? Avons-nous conscience que parfois les éléments les moins significatifs dévoilent malgré tout quelques bribes d’informations à notre sujet ? Une étude menée par plusieurs chercheurs d’institutions internationales, dont l’UNIL, et publiée récemment dans la revue Information Processing and Management s’est justement penchée sur la question du partage de musiques sur les réseaux sociaux, avec un focus particulier sur X, anciennement Twitter (voir encadré). Cette recherche explore la relation entre les préférences musicales des utilisateurs et la présence potentielle de troubles psychologiques. Alors, selon vous, la musique partagée via ces plateformes informe-t-elle véritablement de la santé mentale des utilisateurs et utilisatrices ?
Eh bien apparemment oui ! Les résultats révèlent que « dans l’ensemble les attributs musicaux des utilisateurs de Twitter permettent de déduire leur état de santé mentale ». Les personnes souffrant de troubles psychologiques montrent ainsi des différences dans leurs préférences musicales par rapport aux utilisateurs témoins (ceux n’ayant pas de trouble), et celles-ci se manifestent notamment dans les paroles des chansons partagées, avec des variations dans le choix des mots, le style linguistique, les émotions exprimées, ainsi que les thèmes abordés. Plus surprenant encore, des différences notables s’expriment aussi d’un trouble à l’autre.
Interrogée sur le sujet, Anahita Mehrpour, doctorante doublement affiliée au sein du centre de recherche LIVES et au laboratoire de psychologie sociale Unilaps de l’Institut de psychologie de l’UNIL et coautrice de l’étude, nuance toutefois : « Il s’agit d’une étude observationnelle et non expérimentale, soit une étude dans laquelle nous avons recueilli sans intervenir ni manipuler les données. Les résultats sont ainsi descriptifs et ne permettent pas d’établir une relation de cause à effet entre les variables étudiées. » Les résultats sont donc vrais uniquement dans le contexte précis de cette étude et des utilisateurs analysés.
Près de 4000 profils à la loupe
Au total, l’équipe de recherche a analysé les publications de 1519 utilisateurs et utilisatrices déclarant souffrir de troubles psychologiques (dépression, troubles bipolaires, anxiété, panique, stress post-traumatique et état limite). Ceux-ci affirmaient avoir reçu le diagnostic d’un professionnel. Les scientifiques ont ensuite comparé ces profils à 2480 utilisateurs contrôles, et les résultats ont de quoi retenir l’attention.
« Les personnes mentalement vulnérables affichent des musiques au vocabulaire plus spécifique et limité. »
Anahita Mehrpour, doctorante en psychologie à l’UNIL
Tandis que « les utilisateurs contrôles présentent des goûts musicaux variés, les personnes mentalement vulnérables affichent des musiques au vocabulaire plus spécifique et limité, explique Anahita Mehrpour. Généralement, les personnes en souffrance ont tendance à utiliser la musique comme une aide ou une forme de protection, alors que les personnes en bonne santé mentale consomment plutôt de la musique pour se distraire. » De plus, les personnes souffrant de troubles psychologiques écoutent davantage de musique exprimant des difficultés dans les relations humaines ou qui reflète un état intérieur, comme un flot de pensées ou d’émotions. Elles semblent d’ailleurs préférer ce type de musique aux morceaux plus généraux que tout le monde écoute.
Troublantes paroles
Les résultats de l’étude montrent également une récurrence de certains mots dans les paroles de musiques partagées par les utilisateurs en lien avec certains troubles. Par exemple : « On trouve davantage de mots de dénonciation et de haine dans les paroles de musiques partagées par les personnes souffrant d’un trouble de la personnalité, détaille la spécialiste. L’angoisse ressort aussi de manière plus forte dans les musiques partagées par les personnes atteintes d’un trouble de la personnalité borderline. » L’étude établit aussi que le trouble de stress post-traumatique semble quant à lui lié au mot alone (« seul »). Les mots anxiety (« anxiété ») et hope (« espoir ») contribuent positivement à la prédiction d’un trouble, à l’inverse des mots friends (« amis »), overcome (« surmonter ») et love (« amour »).
« La musique est l’outil le moins cher que les gens utilisent pour réguler leurs émotions. C’est accessible, c’est partout, donc ils peuvent l’utiliser comme un mécanisme de compensation. »
Anahita Mehrpour, doctorante en psychologie à l’UNIL
De plus, contrairement aux idées reçues, les résultats de l’étude ont également mis en évidence que les personnes souffrant de dépression écoutent surtout de la musique joyeuse. « Peut-être est-ce une stratégie de compensation ? » interroge la psychologue, rappelant néanmoins que « les profils analysés appartenaient tous à des utilisateurs qui affirmaient bénéficier d’un soutien thérapeutique. Ce qui expliquerait au moins en partie ce résultat. » Anahita Mehrpour conclut : « La musique est l’outil le moins cher que les gens utilisent pour réguler leurs émotions. C’est accessible, c’est partout, donc ils peuvent l’utiliser comme un mécanisme de compensation. »
Pourquoi X ?
De prime abord, X n’est certes pas le réseau social le plus musical qui soit. Lorsqu’il s’agit d’associer musiques et réseaux sociaux, TikTok, Instagram ou même Facebook viennent alors plus naturellement à l’esprit. Plateformes sur lesquelles les publications ont la forme de photos ou de vidéos postées souvent avec une musique en fond. Alors pourquoi orienter l’étude sur X ?
D’une part parce qu’il fallait un réseau social sur lequel les profils et leurs contenus sont publics. « Nous ne voulions pas demander aux gens de manière directe : « Quelle musique écoutez-vous ? » explique Anahita Mehrpour. Nous voulions que la démarche soit spontanée, et surtout dans un environnement expérimental naturel. » De plus, sur ces réseaux sociaux, notamment Instagram, la désirabilité sociale est un facteur d’utilisation déterminant. « Les gens tendent à poster uniquement des images d’eux ou de leur vie qui sont socialement désirables. » Bien plus que sur X, où « le rapport à la désirabilité est différent. Et où il y a quelque chose de plus immédiat et spontané dans la manière de poster. »