Maîtresse assistante à la section de langues et civilisations slaves et de l’Asie du Sud, Noémie Verdon explore le tantrisme et présente cette vision du monde dans un petit livre éclairant.
Si vous empruntez toujours le même chemin pour aller travailler, ou pour promener le chien, changez au moins de temps en temps ; si vous ressentez une « petite envie », suivez-la au lieu de ne privilégier que ce qui était décidé et attendu. Ces deux conseils pour élargir votre horizon font partie des quelques exercices tout à fait accessibles listés par Noémie Verdon dans la dernière partie de son livre Tantrisme, un chemin vers la liberté, sous-titré « L’histoire d’une idée qui voyage » (éditions L’Harmattan, 2023).
Cet ouvrage court-circuite l’idée galvaudée selon laquelle le tantrisme est une affaire essentiellement sexuelle pour prendre un pied géant en se donnant le temps. Évidemment, l’autrice n’a rien contre le sexe, au contraire, mais elle n’en fait pas une obligation pour atteindre cette douceur universelle qu’elle décrit comme ancrée dans un amour de soi qui se conquiert dans l’abandon des habitudes, des peurs et des carapaces, voire dans la douleur associée à la conscience des vieilles blessures de l’âme, avant de rayonner en englobant autrui sans rien attendre en retour.
Le plaisir, oui mais…
Mais le sexe, alors ? Si l’on remonte à l’Inde ancienne, on croit comprendre qu’il s’agit d’une sexualité inscrite dans des rituels où la femme est quasiment divinisée et où l’homme engage son corps d’une manière parfois périlleuse. Pour le pied géant, on repassera. Noémie Verdon balaie cette idée simplette et rappelle que le désir qui nous pousse à sortir des sentiers battus, voire à dépasser des normes sociales plus ou moins utiles mais toujours contraignantes, y compris dans nos sociétés plutôt ouvertes, ne conduit pas forcément au plaisir. L’adepte du tantrisme cherche à élargir sa conscience et sa liberté, quitte à passer par des formes ascétiques inconfortables, voire désagréables.
La sexualité conserve tout de même son importance dans le tantrisme, comme une manière d’explorer nos sensations et de mieux nous connaître, mais ce n’est pas la seule façon. Parfois associé au tantrisme, le slow sex permet d’être vraiment dans la conscience de ce qu’on fait, mais le sexe n’est pas le but en soi, si l’on suit notre historienne. L’expérience tantrique est caractérisée par les pas de côté. Elle peut aller chercher son aliment dans des pratiques alternatives, loin des préceptes brahmaniques orthodoxes, par exemple la prise d’alcool ou de drogue. L’optique tantrique semble ainsi tourner le dos à des conceptions religieuses et identitaires fermées, en ce qu’elle n’oppose pas le pur et l’impur, la main droite et la main gauche, l’homme et la femme, soi et les autres, mais tente plutôt de marier ou d’alterner ces principes, voire de surmonter toute dualité.
Le tantrisme est-il un humanisme ?
À lire cet ouvrage, on se demande même si le côté intemporel du tantrisme – au prix de nombreuses métamorphoses depuis son apparition dans l’Inde ancienne – n’est pas dû précisément à ce qu’il invite toutes les sociétés et toutes les époques qu’il traverse à ne pas se crisper sur leur propre culture et à dépasser les antagonismes. En ce sens, le tantrisme serait un humanisme et témoigne non pas de l’effacement mais du croisement des cultures et des identités au fil du temps. On apprend d’ailleurs par Noémie Verdon que tantraest un terme sanscrit qui désigne « quelque chose qui tisse, un instrument pour tisser, étirer ou développer ».
Courants bouddhistes et hindouistes
La géographie du tantrisme nous emmène en Inde vers le Ve ou VIe siècle de notre ère. « Le tantrisme est alors très lié au culte de Shiva et de sa compagne, la déesse Shakti », précise la spécialiste. Bien que les premières traces de cette pensée de la souffrance humaine et de la libération (temporaire ou définitive) restent selon elle mystérieuses, « nous avons des temples et des textes associés à ces cultes ». Divers courants bouddhistes et hindouistes imprègnent cette pensée, et l’ouvrage de Noémie Verdon les passe en revue. Par exemple, certains penseurs préconisaient de « ne plus agir du tout puisque nos actions impactent nos vies futures et alimentent le cycle des réincarnations ». Elle cite aussi un texte intitulé Bhagavadgita (partie centrale du fameux poème épique Mahabharata), « qui propose d’agir sans concevoir d’attentes, donc en se détachant des conséquences de nos actions ». Le fait même de tuer est alors considéré non pas comme un mal mais comme un devoir de caste si la personne est un guerrier. On dira que c’est son dharma. Noémie Verdon précise qu’il ne s’agit là que d’un aspect de cet écrit protéiforme.
Jusqu’à nous à travers le yoga
Elle mentionne encore le premier texte du yoga qui s’inscrit dans ce foisonnement théorique autour du tantrisme. La pratique est alors un appel à se détacher du monde en développant les états méditatifs, assez loin du yoga de bien-être le plus accessible de nos jours. Là encore, le nirvana n’est pas le paradis sur terre, mais la cessation du cycle des réincarnations et la libération tant attendue hors de ce monde de souffrances. Noémie Verdon – qui a vécu plusieurs années et enseigné en Inde, dans un contexte isolé et dur, voire extrême – propose de plonger aux origines d’une pratique venue jusqu’à nos régions confortables via le yoga, notamment, et anime elle-même divers ateliers et événements en lien avec les pratiques d’introspection et d’expérimentation des sens.
À l’UNIL elle s’intéresse en ce moment à l’histoire peu étudiée d’une région et d’une époque qu’elle situe entre le VIIe et le XIe siècles de notre ère au nord-est de l’Afghanistan, nord du Pakistan et nord-ouest de l’Inde. Un carrefour plutôt explosif de nos jours. « Juste sous la chaîne himalayenne, alors que l’islam apparaît, que le bouddhisme, qui a une histoire si riche dans cette région, disparaît et qu’émerge l’hindouisme », précise notre voyageuse et historienne des idées, attirée par ce mélange encore mystérieux des religions, des cultures et des arts.
Quelques événements
Samedi 27 mai à 21h – Espace culturel Hessel à Orbe, avec la chanteuse Namoo, pour une présentation-discussion autour du livre et une petite pratique de « médit-action », relaxation active et visualisation créative !
Mercredi 21 juin à 18h30 – Idem à la chapelle de Chavannes-près-Renens (à la gare), avec le collectif Tilt.
Jeudi 6 juillet à 20h15 – Naturoyoga, centre de pratique et d’enseignement du Hatha yoga à Lausanne (place de la Gare 10).