Quel est le rôle du témoin dans une situation de harcèlement ou de discrimination ? D’après la recherche scientifique, pas besoin de se mouiller beaucoup pour avoir un impact.
« Et si la victime appréciait cette situation ? » « Faut-il que je réagisse ? » « Comment ? » « Si je le fais, va-t-on me reprocher de me mêler de ce qui ne me regarde pas ? » « Et quelles seront les conséquences pour moi ? » Être témoin d’une situation qui dérange, c’est faire inévitablement les frais de ce genre de questionnements. « S’engage alors dans notre tête un véritable ping-pong de pensées, décrit Franciska Krings, professeure ordinaire à la Faculté des hautes études commerciales (HEC). Et c’est normal. » Car il s’agit d’un phénomène caractéristique du bystander effect, aussi appelé effet freeze, dans lequel la capacité d’agir face au besoin d’aide d’une victime est comme « gelée ». « C’est fondamental d’apprendre à reconnaître ce phénomène et de le légitimer », explique la chercheuse au Département de comportement organisationnel, qui a travaillé sur le sujet en collaboration avec sa collègue Marianne Schmid Mast. C’est la première étape pour le dépasser.
Bystander, c’est aussi la campagne lancée sur le campus de l’UNIL, le 11 mars, pour sensibiliser au rôle de témoin.
On devrait ensuite, selon Franciska Krings, cesser de questionner les intentions de la personne à l’origine de l’action. « Cela ralentit le temps de réaction, quand finalement, seul le ressenti de la victime devrait compter. Si elle semble heurtée par une situation, c’est suffisant pour agir. Même si les intentions de l’auteur ne sont pas mauvaises. » Personne ne devrait avoir à justifier sa sensibilité. « La recherche a montré que les petits gestes sont très appréciés par les victimes et font déjà la différence, explique Franciska Krings. Le problème, c’est qu’elles ont souvent l’impression que tout le monde fait semblant de rien. »
Je suis témoin, que puis-je faire sur le moment ? Franciska Krings répond :
- Faire diversion : lancer un autre sujet est un bon moyen de désamorcer une situation qui dérange.
- Visibiliser : rendre plus visible le comportement non approprié permet de le mettre en évidence et d’amener son auteur à remettre en question son action. Par exemple en demandant à la personne qui agresse de répéter ce qu’elle vient de dire ou de faire.
- Désapprouver : manifester sa désapprobation en parlant de son propre ressenti et en utilisant le « je » et le « moi » est un moyen de mettre en avant la nature dérangeante d’une action sans impliquer la victime.
- L’humour : utiliser la blague et tourner en dérision un comportement absurde sont également une arme efficace. « Mais je conçois que l’humour n’est pas le truc de tout le monde », admet la chercheuse.
Faites le quizz pour découvrir quel type de témoin vous êtes et quel pourrait être votre potentiel d’action.
Et si l’occasion de réagir sur le moment n’a pas été saisie, « il y a toujours des choses que l’on peut faire après », rassure Franciska Krings. Essayer par exemple d’établir un contact avec la victime pour lui signaler son soutien ou lui poser des questions sur ses ressentis. Le tout afin d’éviter que ne s’installe en elle un sentiment de solitude.
Pourquoi agir ?
« À la longue, l’accumulation de micro-agressions devient nocive pour les victimes », avertit la professeure. On entend par là, par exemple, des remarques déplacées ou des comportements d’exclusion, se traduisant notamment par le fait de ne pas donner la parole à une personne, de ne pas l’inviter aux repas ou aux cafés, de ne pas prendre en compte son avis, etc.
« Même si ce n’est pas 100% juste, on se sentira souvent mieux après avoir agi qu’en ne faisant rien. »
Franciska Krings, professeure ordinaire HEC
Franciska Krings est formelle : « Rester les bras croisés est souvent perçu par la victime, la personne à l’origine de la micro-agression, ainsi que les autres observateurs présents, comme une forme de validation tacite de la situation. Réagir permet de corriger cette fausse impression. D’autant que les personnes extérieures à une situation sont souvent les plus efficaces pour la désamorcer. » Et ne rien faire, c’est aussi ouvrir une porte à la culpabilité. « Même si ce n’est pas 100% juste, on se sentira souvent mieux après avoir agi qu’en ne faisant rien. Qu’importe la taille du geste, sa nature ou le moment où on le manifeste – pendant, après – ce n’est pas ce qui compte le plus », assure la chercheuse.
Pour en apprendre davantage sur le rôle des témoins
Le 25 avril 2024, Aide UNIL organise l’événement « Interventions de témoins et harcèlement ou discrimination sur les lieux de travail ou de formation : concepts, impacts, ressources », dans le cadre de la Sexual Harassment Awareness Day 2024.
Un panel d’expertes et d’experts, dont la professeure Franciska Krings, aborderont cette thématique en proposant des clés concrètes. Un atelier interactif sur l’approche par l’intervention de témoins dite des 5D (Right to Be, 2022) sera ensuite proposé par Aide UNIL et le Bureau de l’égalité.