Récemment invitée à l’UNIL par le Centre de traduction littéraire, lauréate du Programme Gilbert Musy 2022, Elena Balzamo a préfacé et traduit du russe une nouvelle écrite en 1931 par Gaïto Gazdanov, alors âgé de 28 ans.
On peut l’offrir à de grands comme à de petits lecteurs, c’est un texte joliment imprimé, vite lu et qui installe cependant une atmosphère durable dans nos esprits. Car l’auteur, qui a combattu les bolcheviks et s’est finalement réfugié à Paris – où il a suivi des cours d’histoire à la Sorbonne, tout en faisant le taxi et d’autres métiers comme ouvrier chez Citroën – a le don de nous faire percevoir, sous la banalité de l’existence, l’émergence toujours possible de la tragédie. C’est un accouchement qui tourne mal ; c’est la relation aérienne et privilégiée d’un père avec son fils, le premier un homme riche et joyeux et le second un sombre adolescent ; c’est l’arrivée d’une belle-mère radieuse et peut-être volage… Pas de quoi s’inquiéter, hormis la tragédie de la première épouse morte en couches ? Et pourtant.
Sous Le bonheur savouré à plein régime par le père du simple fait d’être vivant, derrière ses efforts renouvelés pour égayer la vie de son fils, on sent le réel toujours prêt à donner une leçon à l’adulte optimiste, sous le regard aiguisé et anxieux de l’adolescent sensible et solitaire…
Avec Gaïto Gazdanov – et la traduction d’Elena Balzamo – on avance en douceur, dans une sorte de pénombre irréelle, vers un démenti du bonheur… et pourtant, le pire n’est jamais certain quand on reste confiant malgré tout en la persistance de la lumière. On pourrait, peut-être, y voir la réponse décalée d’un Russe universaliste aux sombres manœuvres identitaires d’un tyran actuel qui fonde son pouvoir sur le malheur des peuples…
Le bonheur, de Gaïto Gazdanov, traduit du russe par Elena Balzamo, collection Pépites, Marie Barbier Éditions, sortie 28 avril 2023, 54 p.
Mon interview du 17 juin 2022 dans l’uniscope