Assistant diplômé à l’UNIL, Michaël Roelli s’offre une plongée dans les songes des savants. Descente en onirologie. Une navigation qui s’effectue parfois en eaux troubles, comme avec le philosophe Althusser.
Depuis quatre ans, Michaël Roelli analyse les carnets de rêves de scientifiques. L’occasion pour lui de diriger le dossier du numéro de juin de la Revue d’histoire des sciences humaines, avec Aude Fauvel et Rémy Amouroux. « Les scientifiques ayant collecté, conservé et légué leurs propres rêves sont peu nombreux. Le but est de mesurer l’impact qu’a eu la pratique de l’interprétation des rêves sur le milieu académique, explique cet assistant diplômé à l’Institut de psychologie, à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne. Je travaille sur des neurophysiologistes, des anthropologues et des philosophes influents. »
« C’est la plasticité du rêve qui lui permet de se faire une place dans des domaines extrêmement variés. »
Michaël Roelli, assistant diplômé à l’Institut de psychologie
Cet historien des sciences s’est tourné vers les songes dès son travail de mémoire, en se penchant sur les théories littéraires sur le rêve au tournant du XXe siècle. « Ma thèse me permet de faire des passerelles entre diverses disciplines que j’apprécie beaucoup, en empruntant des chemins de traverse. J’aime changer d’univers. C’est la plasticité du rêve qui lui permet de se faire une place dans des domaines extrêmement variés. »
Le songe permet d’entrer dans la sensibilité d’une époque. Un Papou ne rêve pas comme un Européen. « L’historien peut montrer que, dans les plus infimes recoins de l’individualité, il est question de toute la société. Le fondement même de la vie humaine est imprégné par le social », relève Michaël Roelli.
« Un régal pour un historien »
« La fonction du rêve est largement débattue. Il y a autant d’hypothèses que de théoriciens », constate Michaël Roelli, assistant diplômé à l’Institut de psychologie de l’UNIL. Il n’y a pas de consensus. C’est un régal pour un historien des sciences. Le neurobiologiste français Michel Jouvet considère par exemple le rêve comme une programmation génétique itérative, où le rêve actualiserait des comportements stéréotypés, indispensables à la survie d’une espèce. Comme un chat aurait des comportements de toilettage ou de fuite dans ses rêves. Pour l’anthropologue canadien Eduardo Kohn, le songe est en revanche une expérience psychédélique grâce à laquelle on échappe à une forme de logique, qui nous met en contact avec des manières de penser plus proches de celles d’autres êtres vivants, comme les arbres. »
La psychanalyse, clé des songes « indécidable »
Fondée par Sigmund Freud, la psychanalyse a sa propre théorie du rêve. « C’est une clé des songes savante », résume Michaël Roelli. « Pour ma part, la théorie psychanalytique des rêves reste indécidable. Elle n’est ni plus ni moins valide que d’autres. C’est une manière adoptée collectivement pour expliquer un phénomène échappant en partie à l’expérimentation et à l’observation. Plus largement, je suis très critique envers la psychanalyse, qui se présente comme une science mais n’en est pas une, selon moi. Mais ce sont de vieux débats. Ma position n’a rien d’original en soi », sourit l’historien.
Reste qu’il y a toujours un point d’interrogation sur le récit de rêve et la façon dont il est retranscrit. « C’est probablement indépassable, malgré les neurosciences, constate-t-il. Pour autant, si le fond est indécidable, la forme peut être analysée. » Et d’ajouter : « Pour moi, un carnet de rêves est une petite oasis d’individualité. »
Le cas Althusser, philosophe et meurtrier
Entre le début des années 40 et le milieu des années 60, Louis Althusser a consigné une soixantaine de songes. Avec la particularité d’être écrits au futur dès le milieu des années 50. « C’est très étrange, très déstabilisant. Même les œuvres d’anticipation ne sont pas rédigées ainsi », souligne Michaël Roelli, assistant diplômé à l’Institut de psychologie de l’UNIL.
Au cours de sa vie, le philosophe français a été interné à plusieurs reprises. En 1980, il tue son épouse, Hélène Rytmann. Il sera jugé irresponsable et placé en hôpital psychiatrique. Ce passage à l’acte, il le justifiera par le consentement de la victime. « Cela sert une rhétorique de la déresponsabilisation et de l’occultation des violences masculines faites aux femmes, déplore l’historien. Avec Althusser, on navigue en eaux troubles. C’est une histoire récente, qui soulève de nombreuses questions. Faut-il publier les archives d’un criminel ? Faut-il s’approprier de tels faits divers, en tant qu’historien ? »
Laboratoire Histoire et Cité, le 18 novembre, 18h30-20 heures, table ronde, palais de Rumine, Lausanne, avec Michaël Roelli. Programme ici.