Depuis 12 ans, Dario Spini a initié et/ou accompagné tous les développements du Pôle de recherche national LIVES. On survole la question avec lui à l’heure où se clôt ce PRN et où il quitte la direction du Centre suisse de recherche sur les parcours de vie et les vulnérabilités.
Le professeur Daniel Oesch a repris cet été à l’UNIL la direction du Centre suisse de recherche sur les parcours de vie et les vulnérabilités, avec son collègue Eric Widmer à l’Unige (Clémentine Rossier dès 2023). Ce centre agrège un vaste réseau national de scientifiques autour de l’UNIL, l’Unige et la HES-SO. En outre, depuis 2019, la thématique scientifique et sociopolitique du fameux Pôle de recherche est pérennisée par le Centre interdisciplinaire de recherche LIVES-UNIL.
«La fragilité m’est apparue comme une réalité que l’on pouvait étendre à toute la durée de la vie adulte, sous le terme de vulnérabilité.»
Dario Spini
Dario Spini vient d’accompagner pour sa part l’une des dernières thèses issues du Pôle de recherche national LIVES (PRN prolongé par les structures pérennes LIVES) sur le désir de mourir que l’on rencontre en EMS, un sujet qui fait écho à son propre parcours puisqu’il a dirigé, pour le Centre de gérontologie à l’Unige, l’une des premières enquêtes longitudinales sur les octogénaires (parue en 1998). «La fragilité m’est apparue comme une réalité que l’on pouvait étendre à toute la durée de la vie adulte, sous le terme de vulnérabilité», esquisse le psychologue social.
Il tient à citer notamment deux collègues, le professeur Michel Oris, de l’Unige, et la professeure de l’UNIL Laura Bernardi, avec lesquels il a travaillé au fil du temps à la tête du PRN. Cette direction a initié, choisi et soutenu quantité de travaux universitaires dans une perspective de transfert de connaissances vers les professionnels de la politique et de l’action sociale et vers la société.
Le financement global s’achève mais les scientifiques de différentes disciplines intéressés par cet objet d’étude commun et multiforme pourront bénéficier des services, de l’expertise et des activités du centre, qui assure la continuité.
Exposition et « librairie humaine »
Le lien entre LIVES et la société sera bien visible ces prochaines semaines grâce, notamment, à une exposition à la Collection de l’art brut (jusqu’au 27 novembre), doublée d’un livre magnifiquement illustré sur la vie de trois femmes et quatre hommes ouvriers ou ruraux, aux parcours difficiles et fracturés; nés entre les années 1880 et 1930, ils trouveront à s’exprimer brillamment – parfois tardivement, à la retraite, voire en EMS – dans leur art.
Autre initiative dans le cadre de ces 12 premières années LIVES: la «librairie humaine» permettra à toute personne intéressée de choisir une thématique proposée et immédiatement illustrée à travers le récit en tête-à-tête d’un membre de LIVES dans un café lausannois ou genevois, pendant 30 minutes (entre le 13 octobre et le 3 novembre). Des histoires à la fois fictives et concrètes qui font vivre des perspectives scientifiques et des contributions sociales issues de LIVES.
Le rôle de l’enfance
D’une manière générale, la perspective LIVES a éclairé deux dimensions psychosociales cruciales dans les moments de crise, comme le divorce ou le veuvage. D’une part, les traits de la personnalité et, d’autre part, l’inscription dans divers groupes.
«Au plus fort de la crise, décrit Dario Spini, les tendances de base de chaque personnalité ont une grande influence sur le sentiment de solitude, indépendamment des groupes dans lesquels la personne est ou non insérée. Après deux ans, on constate l’influence positive jouée par l’inscription dans des groupes, tandis que les traits de la personnalité perdent de l’importance.»
En outre, une enquête menée sur une centaine de personnes en Suisse a montré qu’il est plus difficile d’affronter une crise comme le veuvage ou le divorce quand on a connu dans l’enfance même éloignée des événements traumatiques, comme la perte d’un parent.
L’universalité de la vulnérabilité
«Un des résultats de mon cheminement dans le PRN LIVES a été de me faire prendre conscience de l’universalité de la vulnérabilité, que je concevais, au début, comme un état provoqué par des situations de crise, et qu’il fallait gérer avec des ressources personnelles, familiales, professionnelles, médicales, sociales… alors que la vulnérabilité fait intimement partie de chaque être humain. Elle ne touche pas seulement des personnes particulièrement fragiles sur le plan psychologique, économique, scolaire, social ou autre, elle nous concerne toutes et tous», résume Dario Spini.
Il se souvient d’une question récurrente au lancement du PRN, quand on lui demandait pourquoi un tel programme dans un pays aussi riche et tranquille que la Suisse. Aujourd’hui, il retourne plus facilement cette question: la vulnérabilité doit être étudiée et accompagnée dans chaque société en fonction des moyens et des innovations suscitées par les travaux scientifiques et les débats publics, car elle fait partie de toute vie.
La perte d’un partenaire
Notre culture, en particulier, nous apprend au contraire très tôt à ne compter que sur nous-mêmes; dans une certaine mesure c’est une ressource, mais prudence, semble dire Dario Spini, rejoignant ainsi la réflexion des philosophes qui se méfient des fantasmes de toute-puissance.
Il cite encore quelques exemples issus de LIVES : un accompagnement psychosocial face au cancer du sein, intégré au processus de traitement et axé également sur les hommes dans les couples concernés (Nicolas Favez, Unige), ainsi que le projet LIVIA dirigé à l’UNIL par Anik Debrot (SSP, Institut de psychologie), avec une équipe de l’Université de Berne, qui met à la disposition du public des modules thérapeutiques en ligne pour développer des ressources face à la perte d’un partenaire de vie (deuil ou séparation). Une des applications très concrètes du projet de recherche sur le veuvage et le divorce cité plus haut. Ou encore une enquête des professeurs Oesch (SSP), Lalive (HEC) et Bonoli (FDCA/IDHEAP), en collaboration avec les ORP, sur la précarité économique dans le canton de Vaud. À suivre…