Voici une plongée audacieuse au cœur du clergé catholique français, irrigué par les normes vaticanes, d’une part, et son inscription, d’autre part, dans des débats politiques aigus au sein d’une société de plus en plus ouverte sur les questions de sexualité, de liberté et d’égalité.
Le sujet est énorme car, si la description très précise de Josselin Tricou, via notamment une immersion ethnologique, se concentre essentiellement sur le catholicisme d’identité proche de la droite à la fois conservatrice et néolibérale, elle met aussi en lumière la grande diversité de ces courants politico-religieux, pour certains en perte de vitesse, que ce soit la figure du prêtre-ouvrier virilisé mais marxiste, ou celle du prêtre intello et/ou fraternel qui n’assumerait pas sa masculinité et son rôle de guide paternel.
Car à l’heure où la société dénonce les violences sexuelles infligées aux femmes et aux enfants, notamment dans l’Église, cette dernière se préoccupe avant tout… des hommes, avec une obsession homosexuelle accouchant en 2005 d’une interdiction de l’ordination aux homosexuels y compris non actifs, puis d’une lutte contre «la théorie du genre», en réalité contre le mariage pour tous. L’auteur décrit bien la mobilisation des fidèles les plus conservateurs, utilisée pour exercer une pression sur certains prêtres tentés d’affirmer leur homosexualité.
Le couple ou la chasteté
Presque partout en Europe, et particulièrement en France, la déchristianisation (curieusement peu évoquée par l’auteur, dont il convient de signaler qu’il est maître-assistant à la Faculté de théologie et de sciences des religions) a frappé l’Église de plein fouet. Mais aussi, comme l’explique Josselin Tricou, à partir des années 1960 le Vatican a magnifié, après des siècles de glorification de la chasteté, le couple dit légitime, la complémentarité des sexes, voire la supposée beauté de la soumission féminine, provoquant sans le vouloir le départ de nombreux prêtres attirés par le mariage, et instaurant une surreprésentation cléricale des homosexuels soucieux d’échapper précisément à la conjugalité, quitte à trouver dans le «célibat sacrificiel des prêtres» du prestige symbolique, ainsi qu’un placard propice, sinon à une vie d’abstinence amoureuse et sexuelle, du moins au secret. Les taupes font ainsi leur nid au point de grimper dans la hiérarchie en échange de leur silence.
Une icône gaie homophobe
Le paradoxe est savoureusement décrit, avec de multiples exemples qui font défiler le pape Benoît XVI en «icône gaie la plus homophobe du monde», sa sophistication vestimentaire, sa proximité avec son secrétaire surnommé «le beau gosse du Vatican» (le beau – en effet – Monseigneur Georg Gänswein), ce trouble dans le genre entretenu au sommet d’une hiérarchie catholique exigeant par ailleurs le maintien absolu d’une hypocrisie seule garante d’un secret de Polichinelle, le retour en force du port de la soutane, voire de la dentelle dans certains cercles traditionnels, les raffinements de la messe tridentine, dans une esthétique baroque empruntée aux XVIIIe et XIXe siècles, au risque de renforcer dans l’imaginaire des fidèles la vieille «émasculation symbolique» des curés, exigeant en retour une série de rituels de virilité censés témoigner à la fois du statut à part du prêtre et de son inscription dans une masculinité moderne, réaffirmée par le sport, l’organisation de camps en non-mixité, la promotion d’une prêtrise alerte, compétitive et prosélyte sur Internet et à l’occasion de réunions autour d’un invité du monde économique ou politique. Ces rencontres et mises en scène ostentatoires font curieusement écho à certaines interventions islamistes en milieu scolaire ou professionnel, pouvant elles aussi s’apparenter à ce type de lobbying social, une coïncidence que l’auteur ne relève pas, dommage…
Tous contre la laïcité ?
Loin du «tout à tous» postulé par le catholicisme, qui se prétend universel, ce prosélytisme cible essentiellement les décideurs de la droite traditionnelle, plus soucieux de doter leur business international d’un vernis religieux identitaire que de respecter la laïcité. Josselin Tricou montre bien cette imbrication entre politique et religion, sans toutefois mentionner ce coup porté à l’universalisme républicain. Étonnamment, alors que son ouvrage concerne au premier chef la France, la laïcité n’est jamais mentionnée, même si le mot a pu échapper à mon attention de lectrice.
Dans le contexte actuel des scandales de pédocriminalité, ce livre permet de comprendre comment cette culture du secret – notamment autour de l’homosexualité des prêtres – a pu si longtemps favoriser certains prédateurs agissant dans l’ombre et l’impunité. La solution qui peut nous sembler évidente (comme l’ordination de prêtres mariés et de femmes, ou encore l’intégration sans hypocrisie de tous les aspirants à la chasteté, quelle que soit leur orientation sexuelle) n’a pas encore fait son chemin au sein de la hiérarchie catholique. À moins que le pape François ne prépare une sortie de crise sous la pression des scandales en cours et de la démocratie sexuelle qui se répand dans nos sociétés ?
Josselin Tricou rappelle joliment que ce jésuite à la «masculinité affirmée» a fait son «coming out hétérosexuel», une manière de marquer à nouveau les frontières du genre mais aussi d’accueillir les autres avec plus de tolérance et de clarté. À suivre…
Des soutanes et des hommes – enquête sur la masculinité des prêtres catholiques, Josselin Tricou, PUF, 2021