Pour fêter son quarantième anniversaire, l’Institut de hautes études en administration publique de l’UNIL (IDHEAP) organise une table ronde et inaugure aussi trois événements photographiques, incarnant les multiples visages des secteurs public et parapublic, qui représentent un tiers du PIB suisse – et tout autant d’emplois. Rencontre avec son directeur, le professeur Nils Soguel.
Professeur Soguel, pourquoi une école spécialisée dans l’administration publique se trouve-t-elle à Lausanne et non à Berne ?
Nils Soguel : Enrico Bignami, qui a eu l’idée de fonder l’institut il y a 40 ans, était alors administrateur délégué de Nestlé, à Vevey. Deux décennies plus tôt, il avait créé une école visant à former les cadres du secteur privé, à Lausanne – l’actuel IMD. Lorsqu’il a décidé de lancer son pendant destiné aux institutions publiques, il s’est associé au recteur de l’Université de Lausanne et au professeur Raimund Germann, qui sera le premier directeur de l’institut. Voilà pourquoi l’IDHEAP a vu le jour dans la capitale vaudoise. Mais la réputation de notre institut dépasse largement les frontières cantonales, puisqu’il est reconnu dans toute la Suisse, ainsi qu’au plan international. Pour preuve, notre formation phare, le Master of Advanced Studies en administration publique (MPA), est accréditée par les instances européennes compétentes.
On compare souvent l’IDHEAP à sa cousine française, l’ENA. Qu’est-ce qui les distingue ?
Principalement le fait que, outre l’enseignement, nous faisons aussi de la recherche. Notre trio fondateur y tenait, de manière à instaurer un lien fort entre science et pratique. Et nous demeurons convaincus que, pour que cette connexion fonctionne, il faut garder un pied dans les deux mondes. Nos professeur e s répartissent leur activité en conséquence : ils consacrent un tiers de leur temps à la formation, un autre à la recherche et le dernier à des mandats de conseil et d’expertise.
Pour quel type de mandats fait-on appel à vous ?
Les administrations publiques ou parapubliques nous sollicitent lorsqu’elles ignorent comment aborder un problème, voire ne disposent pas des ressources ou du temps nécessaires pour chercher une solution. Nous avons ainsi eu pour mission d’imaginer un dispositif financier pour la HES-SO lors de sa fondation. Ou de trouver une manière de faire travailler les domaines privé et public dans le cadre de la mise en place de la gouvernance de l’aéroport de Sion.
En 2014, l’IDHEAP rejoint l’UNIL. Qu’est-ce que cela a changé ?
Cela a encore affermi les liens entre nos deux institutions. Notre devise, « au cœur de l’action publique », fait écho à celle de l’UNIL, « le savoir vivant » ; elle la complète. C’est d’ailleurs grâce au soutien des recteurs successifs de l’Université que notre institut a pu perdurer. Il y a 40 ans, il était audacieux de faire le pari de la formation continue !
Cela demeure-t-il votre spécialité ?
Oui, depuis toujours l’IDHEAP prône le life long learning. Nous proposons une palette de formations adaptées au temps dont on dispose tout au long de sa carrière. Le master – le MPA – demeure notre produit phare, mais nous offrons aussi des CAS ou des modules plus brefs, plus ciblés, organisés sur quelques jours seulement. Nous offrons également, depuis 15 ans, un master consécutif PMP en politique et management publics. Nous l’avons créé conjointement avec les universités de Berne et de la Suisse italienne, ce qui souligne par ailleurs notre volonté de tisser des liens entre les différentes régions linguistiques.
Un autre atout de l’IDHEAP est l’interdisciplinarité…
Nous nous efforçons de la favoriser. Cela fonctionne, tous nos professeur e s ont leurs spécialités disciplinaires. Notre passion pour l’administration et le secteur public nous unit. Comme nous travaillons régulièrement sur des projets communs, nous connaissons nos méthodes et nos jargons respectifs. Cela facilite la circulation transversale des savoirs.
Pour fêter ce quarantième anniversaire, vous organisez notamment une table ronde. Pourquoi avoir choisi « l’importance du savoir et de l’expertise pour l’action publique » comme thème ?
Il nous paraissait découler directement de notre mission : faire le pont entre théorie et pratique. À cela s’ajoute le fait que la question est d’actualité. La crise du Covid nous a en effet rappelé qu’il existe des règles et une déontologie particulières à suivre lorsque l’on conseille le service public ou parapublic. Et que les décideurs publics doivent aussi savoir quoi attendre de la science et comment utiliser ce savoir.
Les intervenants sont très variés, comment les avez-vous sélectionnés ?
Pour leur diversité, justement. Chacune et chacun témoignera à sa façon de notre vocation nationale et internationale. Nous accueillerons par exemple Mme Adèle Thorens Goumaz, conseillère aux États, M. Andreas Dummermuth, président de la Conférence suisse des caisses de compensation, ou le professeur Antonio Estache, de l’Université libre de Bruxelles. L’événement est presque complet en présentiel, mais il pourra être suivi en ligne.
Cet anniversaire est également l’occasion de présenter l’institution sous un angle inhabituel, en recourant à la photographie…
Absolument, trois expositions seront à découvrir dès le 5 novembre et jusqu’à fin 2022 (lire ci-dessous). Nous allons en outre organiser un cycle de conférences sur des thématiques particulièrement innovantes pour l’administration publique l’an prochain.
Des œuvres d’art comme interface avec le public
L’IDHEAP, ce sont des cours, des formations, mais aussi 12 unités de recherche, résume Charlotte Gaeng, chargée de communication digitale à l’IDHEAP. De la santé à la gestion du personnel ou des eaux en passant par la sécurité, « ces domaines concernent tout un chacun, puisqu’ils sont liés à l’administration publique », rappelle-t-elle. À l’occasion de ses 40 ans, l’institut souhaitait les incarner en les mettant en images. La photographe Catherine Leutenegger a donc imaginé 12 clichés – un par unité. Pour réaliser cette série, qui s’intitule Undae (en français « les ondes »), « elle a effectué un immense travail de traduction, contactant tous nos professeur e s pour comprendre l’objet de leurs recherches et le rendre accessible au grand public », souligne Charlotte Gaeng. L’intérêt de ce travail est double : il encourage d’une part les chercheuses et chercheurs à effectuer cet effort de vulgarisation, tout en mettant en lumière des thématiques souvent abstraites pour les personnes extérieures au milieu académique. Les images de Catherine Leutenegger sont à découvrir du 5 novembre 2021 au 31 décembre 2022 dans le bâtiment de l’IDHEAP.
Si l’IDHEAP a choisi la photographie, ce n’est pas un hasard : l’institut possède déjà une autre collection de clichés, également présentés à l’occasion de ce jubilé. Réalisés par le photographe néerlandais Jan Banning, ils étaient jusqu’à présent exposés dans une salle de réunion inaccessible au public. « Il s’agit de portraits de fonctionnaires des quatre coins du monde, de l’Inde aux États-Unis en passant par la France », détaille Charlotte Gaeng. Pour faire le lien entre ces œuvres et l’histoire de l’IDHEAP, on a recouru à la réalité augmentée. Le résultat, que l’on doit au duo d’interactive media designers suisses Tom Zambaz et Caroline Buttet, sera à découvrir sur l’écran de n’importe quel téléphone portable placé devant les images
Le dernier projet – toujours photographique – de cet anniversaire incarne littéralement l’IDHEAP. L’artiste Mina de Nuccio a utilisé une centaine de portraits de personnes qui habitent les lieux (des étudiant e s aux assistant e s en passant par le personnel administratif et les professeur e s) pour créer un visage en recourant à la technique du morphing. Une manière de rappeler que l’institut n’est rien sans celles et ceux qui y étudient, travaillent et le font vivre.