Le professeur honoraire reçoit le Prix de l’Université de Lausanne lors du Dies academicus 2021, qui sera diffusé en ligne le vendredi 4 juin 2021 à 10 heures. Le scientifique est l’administrateur du Collège de France depuis l’automne 2019.
Élu par l’assemblée du Collège de France, le binational suisse et allemand Thomas Römer avait été nommé administrateur par décret du président Emmanuel Macron, devenant ainsi le premier citoyen étranger à assumer la responsabilité de cette institution créée en 1530. Les cours et colloques ouverts au public, gratuitement et sans inscription, se sont poursuivis en ligne durant la pandémie (et sur France Culture), mais il est à nouveau possible d’y assister en présence depuis le 19 mai 2021. «Nous pouvons accueillir un auditeur sur deux, mais c’est déjà bien car certains étaient vraiment impatients de revenir», affirme-t-il.
Très touché par l’annonce du Prix de l’Université de Lausanne, le professeur honoraire compte se déplacer pour l’occasion le 4 juin ; en outre, il donnera sa leçon d’adieu le 23 septembre à la Faculté de théologie et de sciences des religions, où il a effectué dès 1993 sa brillante carrière, « dans les meilleures conditions possibles grâce à l’UNIL ». Professeur de Bible hébraïque, Thomas Römer est ce qu’on appelle un bibliste, qui travaille ces textes anciens et les sort de l’oubli en philologue, voire en archéologue. Sa renommée lui a valu d’être nommé au Collège de France, où il a créé en 2007 la chaire « Milieux bibliques », se plaçant dans la lignée d’Ernest Renan, l’un des plus éminents historiens de l’Ancien Testament au XIXe siècle, et qui fut lui aussi administrateur de cette vénérable institution.
Attention aux fausses promesses
« Mais le nom de la Bible est entré au Collège avec moi », sourit Thomas Römer, pour qui « le fait religieux dépasse le discours croyant et reste dès lors compatible avec la laïcité ». Si les convictions religieuses relèvent bien du « domaine privé », il estime « important de montrer que les textes bibliques (et coraniques) font partie de notre patrimoine culturel, qu’ils ne sont pas tombés du ciel et ont eu une grande influence sur l’histoire ». Il a accompagné comme doyen les transformations de sa faculté et rappelle que « la lecture critique des textes sacrés est née dans les facultés protestantes, donc grâce aux universités, à partir des XVIIIe et XIXe siècles », même s’il est vrai aussi que « les rabbins se posaient déjà énormément de questions ». L’ignorance et la crédulité livrent de nombreux croyants aux manipulations et à une radicalisation du discours, estime Thomas Römer, à de fausses promesses, comme la richesse chez certains évangéliques, ou le martyre, qui peut tenter particulièrement de jeunes islamistes. « Il faut parfois défendre ces textes, qui ont une grande continuité dans le temps et entre eux, contre leurs adorateurs et tous ceux qui les ont utilisés et les utilisent à tort et à travers », souligne-t-il.
« Le texte n’existe pas en lui-même »
Dans la notion de milieux bibliques, il y a l’idée précieuse que « le texte n’existe pas en lui-même, n’est pas une invention à partir de rien » ; il repose sur des faits de société, des contextes historiques et un public pour lequel il est écrit, si bien qu’il devient hermétique au fil du temps. Il faut, pour comprendre et éclairer la Bible, étudier l’histoire des époques et des civilisations qui ont entouré sa naissance dans le Proche-Orient ancien. « Sans oublier la contre-histoire », précise Thomas Römer. En effet, maints épisodes relatés le sont « pour des raisons purement idéologiques », par exemple dans le Livre de Josué le récit sanglant de la conquête du pays de Canaan par les Israélites, qui n’est étayé par aucune découverte archéologique et qui répondait sans doute à la volonté de contrer la menace assyrienne bien réelle en montrant que le dieu d’Israël était plus puissant que les divinités d’Assyrie (voir le magazine Allez savoir! numéro 69).
Dieu bricoleur
Le texte biblique, notamment, «ne peut pas légitimer tous les discours» car il est polysémique. Par exemple, il y a dans les premiers chapitres de la Bible deux histoires qui se suivent sur l’origine des humains ; dans la première, hommes et femmes ont été créés en même temps, mais dans la seconde le premier être humain, Adam, n’est pas encore sexué, et on peut voir Ève comme une sorte de dédoublement ultérieur après que Dieu, qui se comporte un peu comme un bricoleur, a essayé de donner des compagnons animaux à ce premier être sans que ce soit vraiment satisfaisant…
On pourrait écouter des heures Thomas Römer, et on le retrouve dans deux ouvrages récents aux éditions Que sais-je? (PUF) : L’Ancien Testament, paru en 2019 et lié à son cours au Collège de France sur la naissance de la Bible, ainsi que Les 100 mots de la Bible, en 2020. À noter également un livre d’entretien avec Jacqueline Chabbi, Dieu de la Bible, Dieu du Coran, paru aux éditions du Seuil en 2020.
- Suivez le Dies academicus en ligne et lisez les portraits des récipiendaires.
L’actualité du professeur Römer
- Leçon d’adieu à l’UNIL : «Bible et archéologie. Chances et risques d’une rencontre», le jeudi 23 septembre 2021 à la Faculté de théologie et de sciences des religions.
- Colloque de rentrée au Collège de France : «Inventer l’Europe», octobre 2021.