Terminer son message avec un clin dâĆil ou un cĆur rouge rĂ©vĂšle une complexitĂ© autant culturelle que psychologique et technologique. Une Ă©quipe de la FacultĂ© des lettres tente de rĂ©soudre ce casse-tĂȘte et de comprendre la maniĂšre dont les emojis peuvent impacter notre langage sur le long terme. Pour rĂ©soudre cette Ă©nigme, elle a besoin de vous.
Mouvement automatique, ajouter un petit visage jaune souriant Ă la fin dâun message semble anodin. Il cache pourtant une Ă©quation inconsciente complexe. Aris Xanthos, chercheur Ă la section des sciences du langage et de lâinformation de la FacultĂ© des lettres, mentionne quatre raisons qui nous poussent Ă prendre le temps de rechercher le bon emoji lorsque nous parlons sur nos tĂ©lĂ©phones : clarifier le sens dâun message, transmettre une Ă©motion, rajouter une touche esthĂ©tique ou instaurer un climat relationnel spĂ©cifique.
Les Ă©lĂ©ments qui se bousculent dans nos tĂȘtes đ§
MalgrĂ© ces bonnes raisons, dâun cĂŽtĂ© il y a celui qui a cette capacitĂ© singuliĂšre dâaligner dix visages pleurant de rire Ă la suite et, Ă lâopposĂ©, celui qui finit ses phrases avec un point qui glace le sang. Quelles sont les raisons qui expliquent la variĂ©tĂ© dâutilisation des emojis ? « Il y a de nombreux facteurs, explique Aris Xanthos, et ils sont trĂšs difficiles Ă dĂ©mĂȘler. » Parmi ceux-ci, la culture joue un rĂŽle trĂšs important, avec probablement des diffĂ©rences liĂ©es Ă la langue. Des Ă©lĂ©ments interpersonnels sont aussi Ă prendre en compte : « Il semble que lâutilisation dâemojis diminue au fil des annĂ©es dâune relation. On passe du plus Ă©motionnel au plus fonctionnel. » Câest comme si, avec le temps qui passe, les sentiments Ă©taient compris sans besoin de les expliciter et le climat relationnel devenait moins fragile. Sans oublier lâĂ©volution de la technologie qui vient compliquer lâanalyse. Le dictionnaire automatique, lâavĂšnement des stickers⊠Et les emojis ne sont pas seuls : il y a une vĂ©ritable compĂ©tition entre les indices paraverbaux, tels que lâutilisation de la ponctuation ou dâorthographe non conventionnelle. « Merci đ », « merci đ », « merci !! » ou encore « merciiii » se battent dans nos tĂȘtes pour prendre la premiĂšre place au sein de nos conversations. Tous ces Ă©lĂ©ments rassemblĂ©s, le calcul devient vite compliquĂ©.
Les emojis peuvent-ils transformer notre langage ? đŁ
Le but de la recherche Whatâs new, Switzerland ? est justement de dĂ©mĂȘler tous ces facteurs. Et pas seulement : lâĂ©quipe de scientifiques souhaite analyser la façon dont lâutilisation des icĂŽnes jaunes dans le numĂ©rique rĂ©troagit sur la communication. En dâautres mots, puisque nous utilisons de plus en plus ces petites images dans nos discussions numĂ©riques, est-ce que notre façon dâĂ©changer, plus gĂ©nĂ©ralement, en est impactĂ©e ? « Il serait possible par exemple que le remplacement de lâĂ©criture littĂ©rale « je suis triste » par des emojis qui pleurent impacte notre vocabulaire sur le long terme. Avec le temps, nous utiliserions de moins en moins de mots Ă©motionnels dans nos conversations. » Mais cela reste une hypothĂšse : lâĂ©tude est en cours, et câest votre participation qui permettra Ă lâĂ©quipe de rĂ©pondre Ă ces questions. Vous pouvez les aider en partageant anonymement les discussions WhatsApp que vous souhaitez et, par la suite, noter comment vous Ă©valuez la signification des petites tĂȘtes jaunes. Sur cette base, un algorithme pourra ĂȘtre dĂ©veloppĂ© pour juger par lui-mĂȘme du rĂŽle des emojis.
Toute une Ă©quipe ! đ€
Il faut de la pluridisciplinaritĂ© pour saisir le sens cachĂ© des conversations. Aris Xanthos, maĂźtre dâenseignement et de recherche Ă lâUNIL, est linguiste et informaticien, Prakhar Gupta, postdoctorant Ă lâUNIL, exploite le machine learning dans un contexte multilingue, Leyla Benkais est assistance-Ă©tudiante en parallĂšle de son Master en humanitĂ©s numĂ©riques Ă l’UNIL et Emilie Wyss se charge de la communication du projet. Tous ces talents sont financĂ©s par le NCCR Evolving Language, un centre de recherche qui tente de comprendre lâĂ©volution passĂ©e et future du langage.
Jamais deux projets sans trois đšâđ©âđ§
Le groupe de recherche nâest pas au dĂ©but de sa quĂȘte. En 2020 dĂ©jĂ , il sâest intĂ©ressĂ© Ă une base de donnĂ©es rĂ©coltĂ©e entre 2010 et 2014 par lâUniversitĂ© de Zurich nommĂ©e « Whatâs up, Switzerland ? ». « Le contexte multilingue de cette Ă©tude menĂ©e en Suisse Ă©tait trĂšs intĂ©ressant. Toutefois, compte tenu de la rapiditĂ© de lâĂ©volution de la technologie, les informations sont dĂ©jĂ anciennes », commente Aris Xanthos. En 2021, le chercheur dĂ©cide de monter le projet ACCOMOJI avec Anita Auer et Robert West, un projet CROSS UNIL-EPFL. Le trio recrute une Ă©quipe et sâintĂ©resse au phĂ©nomĂšne dâaccommodation des emojis dans WhatsApp, ou la maniĂšre dont nous modifions notre utilisation des emojis afin de nous rapprocher ou nous distancier dâun interlocuteur dans une conversation. Dans cette recherche, les scientifiques ont notamment demandĂ© aux participants dâĂ©valuer les images en termes de positivitĂ© et dâintensitĂ©. Le graphique suivant a pu ĂȘtre construit sur la base des rĂ©ponses :

Compte tenu de la richesse de nos discussions, des donnĂ©es plus nombreuses et plus rĂ©centes sont nĂ©cessaires pour en tirer des conclusions significatives. Câest pour cette raison quâune nouvelle collecte est aujourdâhui lancĂ©e.
Ă vous de jouer ! đ«”
La science participative Ă©tait une Ă©vidence pour Aris Xanthos depuis le dĂ©but du projet : « La langue nâappartient pas aux grammairiens ou aux linguistes. Elle appartient Ă toutes celles et ceux qui la pratiquent. Alors qui de mieux quâeux pour nous dire quel est le sens dâun emoji ? »
Vous souhaitez aider lâĂ©quipe dans sa collecte de donnĂ©es ? Le partage de conversations WhatsApp se fait sur le site du projet, pour toute personne de plus de 16 ans qui rĂ©side en Suisse. Les textes de toutes les langues sont acceptĂ©s (avec une prioritĂ© portĂ©e sur les langues nationales, y compris le romanche, ainsi que l’anglais) jusquâĂ fin octobre. Le consentement de chaque participant intervenant dans la discussion est nĂ©cessaire. Avec un peu de chance, vous gagnerez mĂȘme une carte-cadeau dans le tirage au sort hebdomadaire !
« Jâai bien conscience que partager ses conversations WhatsApp nâest pas facile. Mais nous avons fait de notre mieux pour prĂ©server lâanonymat des participants et participantes. Ils peuvent notamment demander de supprimer des mots particuliers qui pourraient Ă©chapper Ă nos algorithmes de dĂ©sidentification, comme des surnoms par exemple, explique le chercheur. JâespĂšre que nous obtiendrons assez de donnĂ©es. Ce type de recherche permet non seulement de mieux saisir lâĂ©volution de notre langue, mais il peut aussi avoir des applications pratiques, tel que lutter contre le cyberharcĂšlement. »
Pour aller plus loin⊠đ©âđ»
- Participez au projet
- Retrouvez les liens des anciens projets : Whatâs up Switzerland et ACCOMOJI
- Peur pour vos donnĂ©es ? Lisez ce Ă quoi les scientifiques sâengagent
- Explorez lâencyclopĂ©die des emojis « Emojipedia » ou traquez lâutilisation des emojis sur Twitter en temps rĂ©el