Clap de fin pour les patients perdus dans la jungle des soins ? Pas encore. Mais des évolutions vers le partenariat dans le domaine de la santé se font toujours plus fortes, comme le montrent deux études menées par le ColLaboratoire.
Le système de santé tel que nous le connaissons aujourd’hui aurait-il fait son temps ? C’est en partie ce que laissent penser les résultats de deux enquêtes menées par le ColLaboratoire de l’UNIL. Mandaté par la Direction générale de la santé du canton de Vaud d’une part, ainsi que par la Fondation Leenaards d’autre part, l’unité de recherche-action collaborative et participative de l’Université de Lausanne révèle notamment une demande forte et toujours plus accrue d’intégration des patients et de leurs proches dans le domaine des soins.
Si des changements en ce sens s’opèrent dans certains champs de la médecine depuis plusieurs décennies, comme en psychiatrie et dans les maladies rares, domaines précurseurs de l’intégration de patients-experts et patients-partenaires, une refonte globale du système de santé, malgré un consensus des différents acteurs, se heurte encore à de nombreux obstacles. Tour d’horizon avec le ColLaboratoire.
Voix de la santé
« Le renforcement du partenariat entre patients, proches et professionnels, ainsi que la nécessité de développer des possibilités de s’écarter des processus habituellement déployés lorsqu’ils sont inadéquats, au profit de véritables innovations, sont des demandes formulées par l’ensemble de acteurs », souligne Alain Kaufmann, directeur du ColLaboratoire. Tel est l’un des résultats de l’enquête « Voix de la santé », qui a recueilli les témoignages d’une quarantaine de patients, de proches et de professionnels de la santé autour de la question de la qualité et de la sécurité des soins. Il s’agit d’entretiens de recherche qualitatifs, dont une version est publiée sous forme de podcasts et de vidéos, à découvrir en ligne.
La qualité ?
« Des normes et des indicateurs qui en disent souvent assez peu sur la façon dont les soins se déroulent concrètement sur le terrain, sur le degré de satisfaction des usagers au regard des soins dispensés ou les pistes d’amélioration imaginées par les professionnels ».
Alain Kaufmann.
Des critères qui visent toutefois à produire les meilleurs soins possibles dans les organisations, précise le chercheur. Reste qu’aujourd’hui les patients, leurs proches, les groupes et associations de malades revendiquent toujours plus de participer au développement de la « décision partagée », au partenariat en santé, à la coproduction de soins, ainsi qu’à l’orientation de la recherche biomédicale ; afin d’intégrer, enfin, la qualité réelle perçue par les usagers. « La Suisse a un retard considérable en matière d’inclusion des usagers et de coproduction de la santé, souligne encore Alain Kaufmann, qui prend pour exemple les maladies rares. Elles touchent environ 550’000 personnes en Suisse. Cela fait moins de dix ans que la Confédération s’est dotée d’un plan d’action dans ce domaine, et il a été mis en place suite à une émission de télévision mettant l’accent sur l’inanité de la prise en charge de patients touchés par ce type de pathologies. Ce qu’on appelle l’errance thérapeutique. » Autre élément majeur relevé parmi les résultats de l’enquête « Voix de la santé » : le manque de coordination des soins, également pointé dans la seconde enquête menée par le ColLaboratoire.
« Mais je veux surtout insister sur le fait que notre enquête met en évidence des dizaines de pistes d’amélioration à disposition des autorités cantonales, imaginées par les personnes que nous avons interrogées ! » déclare Alain Kaufmann avec enthousiasme.
Santé intégrative
Dans le cadre de l’initiative « Santé intégrative & société », programme de cinq ans lancé par la Fondation Leenaards, le ColLaboratoire a réalisé la première étude majeure sur cette thématique à l’échelle romande, en collaboration avec FORS, le centre de compétence suisse en sciences sociales. La santé intégrative est un concept né principalement aux États-Unis, qui vise à fournir aux patients des recours thérapeutiques incluant l’ensemble des pratiques de soins, indépendamment du degré de légitimité scientifique de ces dernières. Un champ recouvrant tant la médecine « conventionnelle » que les approches dites « complémentaires ». Par exemple l’acupuncture, l’homéopathie, le reiki, l’ayurveda, les faiseurs de secret, la réflexologie, etc., aussi appelées médecines naturelles ou alternatives, peu intégrées dans la tradition académique ou le système de santé.
Dans les grandes lignes, les résultats de l’enquête, à laquelle ont participé près de 900 Romandes et Romands, montrent que 85% de la population souhaitent avoir un rôle important ou très important dans le choix des professionnels à consulter ; 78% désirent tenir un rôle soutenu ou très soutenu dans la coordination des soins et dans les choix des orientations thérapeutiques et traitements. Un besoin là encore de se faire entendre, mais surtout d’être pleinement actrice et acteur dans une démarche de soin, pour une population qui a toujours plus recours aux différents types de médecine (75% des répondantes et répondants disent avoir consulté un ou une thérapeute issus d’une approche complémentaire).
« Il est intéressant de noter que le facteur déterminant dans les processus de soins ressortant de notre enquête est le degré de confiance envers le thérapeute. Il est positionné par les répondants avant la preuve scientifique. » Ce qui indiquerait une baisse de confiance, un désaveu de la science ? « Non, répond catégoriquement Alain Kaufmann. Le degré de confiance envers les chercheurs et chercheuses reste très élevé. Mais il y a une évolution globale vers une volonté accrue de participation, de créer une véritable alliance thérapeutique. Le paternalisme médical est critiqué, y compris au sein des études médicales. Aujourd’hui, on forme les étudiantes et étudiants à l’empathie, à l’écoute, à considérer que la décision partagée est un facteur de réussite thérapeutique. »
Quel avenir ?
Impossible de prédire les démarches entreprises par les autorités de santé et les changements concrets sur la base des résultats d’enquêtes de ce type. Une certitude en revanche : « Le système de santé doit être décloisonné, assure Alain Kaufmann. Il faut réussir à mieux coordonner les acteurs de la santé. De la même manière qu’on a un problème avec la coordination des soins pour un patient particulier, on a un problème dans la coordination des acteurs de la santé. Avec une déperdition considérable d’énergie, de ressources et d’expertise. »
Reste que des partenariats concrets montrent clairement la nécessité d’intégrer toutes les parties concernées dans le domaine de la santé. « Dans le champ de la psychiatrie, le CHUV travaille par exemple sur les effets de la contrainte dans le cadre des hospitalisations forcées. Sur ces questions, les recherches ont intégré des patientes-expertes ou pairs-praticiennes dans les équipes. Ces personnes travaillent aussi à l’élaboration de protocoles, comme des documents de consensus, par exemple le « plan de crise conjoint », qui fixe à l’avance, en accord avec la patiente, comment une future crise devra être gérée. Ces personnes interviennent aussi dans la formation des médecins en psychopharmacologie. Quand on a été affecté par une maladie psychique, on a une expertise incontournable sur les effets des antidépresseurs, des neuroleptiques ou des anxiolytiques », illustre le directeur du ColLaboratoire. Sans compter la montée en puissance d’associations de patients de façon générale, « qui ont donné des impulsions basées sur des rapports de force politiques et des événements comme l’épidémie de sida ou la recherche sur les maladies rares.
« L’industrie pharmaceutique aussi s’est rendu compte il y a une vingtaine d’années que si elle souhaitait développer des médicaments ou mener des essais cliniques, elle ne pouvait pas passer à côté des associations. »
Alain Kaumann
Le système de santé devra-t-il donc faire face à un défi titanesque dans les années à venir ? C’est en tout cas « un chantier énorme, sur lequel il y a un réel consensus de toutes les parties pour entamer des changements de fond », conclut Alain Kaufmann.