Il a donné sa leçon d’honneur jeudi 27 juin 2024. Portrait d’un professeur très engagé dans son institution.
Le protestantisme, chez Pascal Roman, est un humanisme. C’est à partir de ce fond culturel qu’il arrive à toutes les autres mises en récit, scientifiques et artistiques, capables de révéler l’humain et d’améliorer sa condition. Arrivé de Lyon à Lausanne en 2008, il achève son parcours de psychothérapeute et de professeur de psychologie clinique, psychopathologie et psychanalyse à l’UNIL. Il cesse également de diriger la formation postgrade en psychothérapie (MAS de formation continue dans le domaine) ainsi que l’Observatoire de la maltraitance envers les enfants.
Comme on oublie toujours quelque chose à l’heure de résumer un parcours professionnel aussi riche, allons encore chercher du côté de sa présidence du Conseil des aides sociales (sous la Direction de l’UNIL), une fonction où il a pu contribuer autant que possible à remédier aux inégalités. En petit-fils et arrière-petit-fils de pasteur, français par son père, helvète par sa mère, il ne connaissait de la Suisse « que la villégiature et les hauts de Lutry » ; il a découvert des situations parfois dramatiques, des conflits familiaux et des problèmes financiers qui peuvent entraver un parcours académique.
La violence et la création
Peu enclin à passer son rare temps libre à voyager, il se réjouit de se consacrer davantage aux siens, épouse, enfants et petits-enfants, à la lecture (on ne se refait pas) et à l’écriture (un livre est déjà en préparation, rassemblant ses articles sur la prise en charge des adolescents auteurs de violences sexuelles). « Prendre soin des auteurs est une manière de participer à la prévention », indique-t-il brièvement. Il conservera en outre une petite pratique clinique en pédopsychiatrie légale, assurant des expertises pour le tribunal des mineurs. « Oui, cela se vérifie, ces jeunes ne sont pas forcément d’anciennes victimes d’abus sexuels, mais ils ont eu peu ou prou des vécus traumatiques », relate le spécialiste.
Les trois tables rondes qu’il a prévues en matière de symposium tourneront autour de ses thématiques de recherche : la violence chez les adolescents (contre eux-mêmes aussi), les méthodes projectives (il a réalisé sa thèse sur… les blancs dans le test de Rorschach), autrement dit les outils d’aide au diagnostic en psychopathologie, ainsi que les processus de création. Ce dernier point mérite qu’on s’y arrête un peu.
La rencontre avec l’art brut
Au début de cette année, Pascal Roman a monté une exposition sur la thématique du visage, en puisant avec un œil aiguisé dans les fonds de la Collection de l’Art Brut, avec le soutien de la directrice Sarah Lombardi et de Pauline Mack, assistante conservatrice.
Animé par la question de « la réception des œuvres et des processus psychiques engagés dans cet échange », il a organisé pendant plusieurs années des visites guidées pour les 200 étudiantes et étudiants de son cours d’introduction à la psychanalyse. « Je leur conseille toujours de lire, d’aller aux spectacles, au musée, car la psychanalyse, c’est la vie, la science de l’âme, comme disait Freud, pas seulement une approche transmissible dans un cours », esquisse-t-il. Avant d’annoncer la sortie prochaine d’un ouvrage collectif sur le thème des « visages en création dans l’art brut et ailleurs », qu’il a codirigé avec Sarah Lombardi.
Données de recherche… en spectacle
La question de la marge sera au centre de sa leçon d’honneur, un paradoxe qu’il entretient volontiers, intrigué par la rencontre avec des vécus différents, voire très éloignés du sien ; n’est-ce pas le propre de notre relation à l’art ? Des entretiens menés par son équipe avec l’autrice du texte Chienne, le metteur en scène Fabrice Gorgerat, la comédienne Mathilde Morel ou encore les spectateurs de La Grange-UNIL ont donné naissance à un nouveau spectacle sur la réception de cette œuvre littéraire et théâtrale : Face à Chienne.
Dans le texte initial, Marie-Pier Lafontaine raconte les violences sexuelles subies par elle-même et sa sœur, sous le regard de leur mère. Comment affronter et accueillir un tel récit ? « Les données de notre recherche ont alimenté une nouvelle création de Mathilde Morel, qui devrait être visible au printemps 2025, avec à ses côtés au moins l’une des chercheuses de notre groupe… et peut-être moi-même », relate le psychologue, dont ce serait ainsi la première expérience sur une scène théâtrale.
Souvenir d’Arménie
Un dernier thème reste à aborder pour esquisser le portrait d’un homme qui cultive un lien avec l’Arménie, pays associé à sa propre histoire familiale. « Mon arrière-grand-père a recueilli dans les années 1920 à Begnins 150 orphelins du génocide », relate le professeur, qui a rencontré plusieurs de leurs descendants. Dans Sauver les enfants, sauver l’Arménie (éditions Antipodes, 2020), Pascal Roman et Sisvan Nigolian éclairent la vie et les écrits du pasteur Antony Krafft-Bonnard (1869-1945), une figure encore célébrée par les Arméniens. « Dans sa propre famille, mon arrière-grand-père ne faisait pas l’unanimité, certains ont pu penser qu’il s’occupait davantage des autres que des siens », glisse Pascal Roman, qui restitue ainsi à son aïeul sa stature originale et courageuse. Ce livre évoque la suite, aussi, dans l’orphelinat créé en France par l’une des filles de Krafft-Bonnard, et nous interroge sur l’aspect post-traumatique de ces tragédies vécues par des enfants.
Riche de savoirs et de rencontres, le parcours de Pascal Roman se poursuit : « J’ai cinq ans d’écriture possible avec ce bagage en moi », conclut-il.
Symposium public et gratuit sur inscription à eventsip@unil.ch