Jusqu’au 7 avril, un cours public sur le médiévalisme interroge le sens actuel de cet imaginaire dans la culture populaire. Cet enseignement en accès libre est proposé par deux chercheuses de la Faculté des lettres.
Il imprègne nos séries, inspire nos romans et nos films, féconde nos jeux vidéo. Dans la culture populaire, l’univers du Moyen Âge exerce son pouvoir de fascination. Des princesses de Disney aux répliques cultes des chevaliers de Kaamelott, en passant par les incontournables sagas Harry Potter et Games of Thrones, sans oublier les jeux mythiques comme Zelda, World of Warcraft et Final Fantasy… la liste des productions faisant référence à cet imaginaire éternellement revisité est immense.
Désignées par un mot, le « médiévalisme », ces résurgences du passé dans notre culture contemporaine intéressent les scientifiques. À l’UNIL, la filière médiévale de la section de français y consacre depuis 2019 un pôle de recherche et d’enseignement à part entière. Ce mois-ci, ce thème est également traité par le Centre d’études médiévales et postmédiévales (Cemep) qui organise un cours public dédié à ce sujet. Une série de conférences ouvertes à toutes et tous sont prévues au palais de Rumine, à Lausanne, jusqu’au 7 avril (infos pratiques plus bas).
Hélène Cordier, coordinatrice du Cemep et doctorante au sein de la section de français de la Faculté des lettres, a coorganisé l’événement avec Martine Ostorero, professeure associée à la section d’histoire. Depuis quatre ans, la première étudie ce sujet dans le cadre de sa thèse consacrée aux réécritures arthuriennes pour enfants (voir l’uniscope n°641, page 13). Elle précise :
« Le médiévalisme, ou « modernités médiévales », se définit comme la réception, la réutilisation et la resignification du Moyen Âge dans les époques qui l’ont suivi. Chacune d’elles a développé sa propre vision de cette longue tranche de l’Histoire, associée d’abord à l’obscurantisme à la Renaissance, puis à un idéal perdu face à la machine dès la Révolution industrielle. »
Sans cesse renouvelés, ces discours en disent davantage sur les sociétés qui les créent que sur leur objet en lui-même, selon la jeune chercheuse, et « c’est cela qu’il est intéressant d’interroger ».
Comment l’imaginaire médiéval est-il donc retranscrit aujourd’hui ? Et qu’est-ce que cela révèle de notre époque ? Ces questions seront abordées lors des différentes conférences programmées.
Un ailleurs géographique
Il faut avouer que, jouant avec les codes esthétiques, certaines œuvres contemporaines se détachent aujourd’hui de plus en plus de leur référence historique. Jusqu’à en devenir franchement déconnectées et provoquer des anachronismes susceptibles de heurter la rigueur de certains scientifiques. Comme en témoigne Martine Ostorero :
« Pour analyser les œuvres médiévalisantes, j’ai dû apprendre à laisser de côté mes réflexes d’historienne pour me concentrer sur le jeu entre les codes et les univers. Il faut avoir en tête que, dans ces productions, le Moyen Âge est moins une époque qu’une sorte de pays, une terre étrangère où l’on se rend, à la fois proche et lointaine. Le critère de la chronologie n’y est pas pertinent. »
Le regard historique permet toutefois de rester attentif aux différences entre les imaginaires et la réalité de l’époque à laquelle ils font référence, pour mieux les questionner. La professeure cite par exemple le cas de la répression des sorcières. « Un thème complètement associé à l’époque médiévale, alors que, historiquement, ces persécutions sont bien davantage liées au monde moderne. » Pourquoi cette association ? à partir de quand est-elle apparue ? Voilà une enquête à mener.
Responsable d’un programme de spécialisation de Master en pédagogie et médiation culturelle, Martine Ostorero s’intéresse en particulier à la façon dont le médiévalisme et les outils de médiation des savoirs sur le Moyen Âge pourraient s’articuler. Une problématique qui figure également au menu de ce cours public.
Fantasy, BD et femmes guerrières
En ouverture de cette série de rendez-vous, la professeure Anne Besson de l’Université d’Artois a interrogé le 3 mars l’association entre le genre de la fantasy et le médiévalisme, devenue presque automatique (à tel point que les deux termes se confondent parfois). Elle traitera des paradoxes et des stéréotypes véhiculés par cette littérature.
L’accent sera mis ensuite sur le patrimoine régional avec l’historienne de l’art Karina Queijo, chargée de cours à l’Université de Lausanne, qui reviendra le 10 mars sur les premières restaurations de peintures murales médiévales dans le canton de Vaud, en 1900. Le 17 mars, Pierre Alain Mariaux, de l’Université de Neuchâtel, également historien de l’art, proposera quant à lui une réflexion autour de la méditation des savoirs pour le grand public, notamment du patrimoine reliquaire. Il évoquera le travail de valorisation effectué à l’abbaye de Saint-Maurice.
Les liens entre Moyen Âge et bande-dessinée seront explorés le 24 mars par le professeur Alain Corbellari de l’Université de Lausanne, fer de lance des études sur le médiévalisme en Suisse, qui travaille actuellement sur la culture visuelle de cette époque.
Les figurent féminines seront également questionnées. À commencer par celle de la guerrière germanique décortiquée le 31 mars par Juliette Vuille, de la section d’anglais, qui proposera une réflexion sur cet imaginaire de culture populaire – par exemple dans la série Viking. Mais aussi sur la place des femmes dans la société médiévale (une conférence organisée en collaboration avec le festival Histoire et Cité).
Enfin, dans une perspective plus historique, la professeure Francesca Roversi Monaco de l’Université de Bologne analysera le 7 avril l’évolution des princesses médiévales, de la douce Blanche-Neige à l’impulsive et farouche Arya Stark dans Games of Thrones.
Perspective interdisciplinaire
Module phare de la spécialisation de Master en études médiévales, le cours public du Centre d’études médiévales est destiné à la fois à des étudiants dans le cadre de leur cursus mais aussi à toute personne intéressée, externe ou interne à l’Université. Son objectif est de favoriser le contact des universitaires avec des publics différents.
Cet enseignement est coorganisé chaque année depuis 2011 par des chercheurs ou chercheuses de la Faculté des lettres de sections différentes, afin de favoriser une perspective interdisciplinaire.
Infos pratiques
- Les jeudis, jusqu’au 7 avril 2022, 18h-19h au Musée de zoologie, auditoire Narbel, palais de Rumine, Place de la Riponne 6, Lausanne
- Entrée libre, sans inscription.
- Plus d’information
- Programmes passés (vidéos disponibles depuis 2020)