Le 9 novembre 2022, un cours public intitulé « Les séries TV et la grande guerre des plateformes » s’intéressera à la manière dont le streaming impacte les contenus proposés. Comment leurs exploitants utilisent-ils les données récoltées pour orienter les scénarios de manière à fidéliser leur public ? Ce cours met en lumière leurs méthodes ainsi que les recherches conduites à l’UNIL sur ces questions. Interview croisée entre deux de ses intervenantes, Maèva Flayelle, de l’Institut de psychologie, et Coline Métrailler, de la section des sciences du langage et de l’information.
Qu’est-ce qui nous donne envie de regarder une série jusqu’au bout de la nuit ?
Maèva Flayelle : Ma thèse s’est justement intéressée aux processus psychologiques impliqués dans le binge watching. Les facteurs sont multiples. En premier lieu, l’architecture des plateformes est effectivement pensée pour y inciter, notamment en mettant à disposition l’intégralité des épisodes d’une saison. Les spectatrices et spectateurs n’ont certes pas attendu Netflix pour visionner l’entièreté d’une saison de série en un week-end. Mais auparavant c’était plus compliqué, il fallait se procurer le coffret DVD intégral en amont. Ensuite, ces dix ou quinze dernières années, les séries TV ont réellement acquis leurs lettres de noblesse en termes de narration. Mieux construites, elles sont aussi plus profondes et complexes, à l’instar de leurs personnages auxquels on peut s’attacher durablement. Il devient par conséquent plus difficile d’interrompre son visionnage, car on a envie de savoir ce qui va leur arriver.
Coline Métrailler : Cette architecture incitative apparaît également lorsque l’on recense les interactions entre les différents personnages. Cela constitue une partie de mon travail et cela permet notamment de repérer ceux qui jouent un rôle central en fonction du nombre d’interactions qu’ils ont avec les autres, de dégager des arcs narratifs pour voir comment un épisode, une saison ou toute une série évoluent. Je mets ce type de donnée à portée des chercheurs en travaillant à partir des scripts et je les aide aussi à déterminer quel genre d’informations ils peuvent tirer de ces données.
Justement, quelles sont les données pertinentes pour les plateformes ?
CM : Elles s’intéressent bien sûr à ce que nous regardons et à la manière dont nous le regardons, mais cela peut aller beaucoup plus loin. Par exemple, en proposant des films interactifs où le public pouvait décider de la suite de l’histoire, Netflix a été en mesure d’analyser le style de rebondissements qu’il préfère. Le but était bien entendu de lui mettre ensuite à disposition des contenus susceptibles de lui plaire pour le garder captif.
D’autres types de plateformes, musicales ou commerciales, ne fonctionnent-elles pas aussi selon ce principe ?
MF : Oui, les intelligences artificielles décryptent assez finement nos interactions avec toutes ces plateformes, qu’il s’agisse de vendre des livres ou des vêtements. Mais les plateformes de streaming ont une longueur d’avance dans ce domaine, car pour elles l’enjeu est central, il en va ni plus ni moins de leur survie. En témoigne notamment le fait que, sur le portail emploi de Netflix, on recherche beaucoup de spécialistes en ingénierie des données !
CM : Ce qui se passe dans le monde du streaming n’est qu’un miroir de ce qui se prépare sur d’autres terrains. Ce mouvement qui consiste à proposer aux personnes ce qu’elles aiment déjà va toucher toute la culture, de la littérature à la musique. Les réseaux sociaux fonctionnent également sur ce principe, on peut scroller pendant des heures, on verra toujours arriver sur notre fil des contenus en rapport avec ce que nous avons visionné ou liké précédemment. Cela ne concerne pas uniquement la culture, tous les secteurs se sont mis à analyser les habitudes de leurs clients pour mieux cibler leurs publicités, des hôtels aux plateformes de ménage. Parce que jamais auparavant on n’a disposé d’informations aussi individualisées et aussi largement accessibles.
Les algorithmes sont-ils toujours les plus forts ou y a-t-il des façons de ne pas se faire avoir ?
MF : Il est important de rappeler que passer de temps à autre une journée entière à regarder des séries TV n’est pas forcément pathologique. La majorité des gens sont capables de s’autoréguler. En les aidant à comprendre ce qui se joue vraiment, on peut leur permettre de développer des stratégies d’autocontrôle pour contrer les techniques utilisées par les plateformes. Cela peut néanmoins rester difficile pour une sous-partie de la population, les personnes les plus impulsives notamment. Les centres de traitement des addictions comportementales commencent d’ailleurs à recevoir des demandes liées à un usage problématique des plateformes de streaming.
Y a-t-il des recommandations faciles à appliquer ?
MF : Le plus simple et le plus efficace consiste à désactiver les notifications. Ensuite, il faut faire de la prévention auprès des plus jeunes notamment. Leurs capacités d’autocontrôle étant encore en évolution, cela les rend plus vulnérables. Apprendre à bien utiliser ces instruments (réseaux sociaux, smartphones), qui sont par ailleurs formidables, devrait faire partie du programme scolaire sous la forme d’éducation au numérique. Pour le moment, on laisse cette mission aux parents. L’ennui est qu’ils ne gèrent peut-être pas forcément très bien eux-mêmes leur utilisation !
Les cultures numériques, le nouveau programme de médiation scientifique de l’UNIL
Comment l’UNIL peut-elle accompagner les citoyen·enne·s dans les nombreuses transitions numériques du XXIe siècle ? Quels sont les enjeux de société liés au numérique et comment en débattre ? Quel est l’état des recherches académiques autour des cultures numériques ? Pour amener des éléments de réponse à ces questions d’actualité, L’éprouvette met sur pied un programme thématique interdisciplinaire : Cultures numériques, dont faite partie le cours public intitulé « Les séries TV et la grande guerre des plateformes