Récemment nommée membre de la Commission fédérale contre le racisme, Flavia Fossati, professeure à l’UNIL depuis 2019, est spécialiste des discriminations et inégalités en tout genre. Portrait d’une femme pour qui le monde se doit d’être appréhendé sous différentes perspectives.
Discrète, elle arrive aux tables rondes de l’IDHEAP emmitouflée dans une jaquette de laine bleue. D’emblée, on la devine frileuse à l’idée de parler d’elle. Ses recherches l’enthousiasment, et lorsqu’elle aborde les enjeux des thématiques qu’elle explore, la vie académique dans laquelle elle évolue ou encore ses fonctions prochaines au sein de la Commission fédérale contre le racisme (CFR), sa retenue naturelle se teinte soudain d’un aplomb léger.
Professeure en inégalités et intégration à l’UNIL, au sein de la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique (FDCA) depuis 2019, Flavia Fossati a intégré le 1er janvier 2024 la CFR, en tant qu’experte en science politique. « J’ai été très étonnée et heureuse de cette nomination, confie-t-elle. C’est vraiment un grand honneur, et aussi l’occasion de confronter la recherche à des logiques politiques et d’échanger avec des partenaires, spécialistes de la discrimination, qui l’abordent dans leur pratique sous une perspective différente de la mienne. C’est enrichissant, je vais apprendre beaucoup ».
Parcours intuitif
Se confronter à des perspectives autres que les siennes apparaît clairement, au fil de l’échange, comme l’un des moteurs de Flavia Fossati. Qu’elle parle de recherche, d’enseignement ou évoque simplement ses étapes de vie, l’interlocuteur attentif ne manquera pas de percevoir, entre les lignes de ses propos, l’apparition de cette valeur clé inconsciemment revendiquée, à travers laquelle elle semble d’ailleurs en partie se définir. Ce qu’elle aime par exemple dans la vie académique, « c’est la possibilité d’échanger avec des collègues ou étudiants aux vies, expertises et expériences très différentes ». Les projets collaboratifs lui plaisent par-dessus tout parce qu’ils sont l’occasion « d’ouvrir les perspectives en travaillant avec des partenaires provenant de disciplines variées ». Et l’étape qu’elle préfère dans une recherche, c’est l’analyse des résultats : « Ils ne sont jamais sans ambiguïté, il y a toujours différents côtés et c’est précisément cette complexité que je trouve intéressante. »
« Plus on se penche sur un sujet, plus on a de questions. »
Flavia Fossati, professeure en inégalités et intégration à l’UNIL
Ouverture d’esprit et forte soif d’apprendre ont ainsi guidé pas à pas Flavia Fossati vers une carrière dédiée à l’étude des discriminations et inégalités en tout genre. À la question de savoir si elle a toujours voulu faire de la recherche, la professeure laisse échapper un petit rire gêné. Après un bref moment de réflexion, elle explique que son parcours s’est plutôt construit de manière intuitive. « J’ai avancé au fil de mes intérêts, sans vraiment réfléchir à l’aboutissement. J’ai toujours aimé étudier, et après mon travail de master j’ai clairement ressenti que ça ne pouvait pas être la fin. »
Véritable impulsion, son travail de mémoire sur les inégalités au sein du système éducatif a en effet réveillé en elle l’envie d’entamer un doctorat. « Plus on se penche sur un sujet, plus on a de questions. » Un aspect qui en décourage sûrement plus d’un, mais certainement pas Flavia Fossati, au contraire : « Construire une réflexion sur une thématique et constater qu’à la fin on reste avec davantage de questions qu’au début me fascine, et c’est d’ailleurs ce qui m’a toujours motivée à poursuivre. »
« Être suisse »
Quand elle s’exprime, les propos de Flavia Fossati sont rythmés d’anglicismes et de germanismes involontaires. D’origine tessinoise, elle a étudié la sociologie et le droit international à l’Université de Zurich, qu’elle a fréquentée jusqu’à la fin de son doctorat. Puis elle s’est dirigée vers l’UNIL pour son postdoctorat. « C’est très intéressant de vivre dans les trois parties de la Suisse, car on se rend compte qu’il y a réellement des différences culturelles de l’une à l’autre, sourit-elle. Comme le sens de l’humour par exemple, ou encore le niveau de formalités. » La chercheuse a eu la chance pourtant de ne jamais se sentir déracinée nulle part et aujourd’hui elle serait d’ailleurs incapable de dire dans quelle partie de la Suisse elle se sent le plus chez elle. « C’est tellement différent, et je me suis retrouvée un peu partout, admet-elle. Il y a vraiment quelque chose d’interculturel. »
C’est lors d’un voyage au Japon, quand elle a une vingtaine d’années, qu’elle prend conscience de ce que signifie vraiment « être suisse ». « Je me déplaçais avec un groupe de personnes aux origines variées, certaines venaient d’Australie, d’autres du Canada, etc. Et lorsqu’il nous était demandé d’où on venait, j’ai vite constaté qu’il y avait un enthousiasme très prononcé pour la Suisse », se souvient-elle. Les stéréotypes allaient bon train, « Heidi ! », « le chocolat ! », tous néanmoins avec une consonance positive. Aujourd’hui encore, elle qualifie ce souvenir « d’expérience clé », qui lui a ouvert les yeux. Quand elle l’évoque, on observe fugacement l’écœurement se dessiner sur son visage. « Constater qu’un simple passeport, qu’une appartenance attribuée sans que vous le vouliez puisse changer à ce point la façon dont les gens vous perçoivent m’a fait comprendre la notion de privilège. Pour des raisons d’imaginaire collectif, on est associé à quelque chose de positif ou de négatif. Or si moi, je n’ai rien fait pour mériter d’être suisse, alors d’autres ne méritent pas non plus les traitements injustes qu’on leur inflige. »
« Constater qu’un passeport puisse changer à ce point la façon dont les gens vous perçoivent m’a fait comprendre la notion de privilège.»
Flavia Fossati, professeure en inégalités et intégration à l’UNIL
L’aspect délicat avec ce genre de phénomène, c’est qu’il se manifeste généralement de manière inconsciente ; ancré, dans le fonctionnement des institutions, on ne s’aperçoit pas qu’il s’agit de construction. Pas facile, donc, de rendre une société attentive à des problématiques liées aux inégalités sans tomber dans le blâme ou la culpabilisation. C’est pourtant un aspect qui lui tient vraiment à cœur. Compréhensive, Flavia Fossati explique : « C’est simplement la manière de fonctionner de notre cerveau : il y a toujours une réaction spontanée et une réaction plus lente et réfléchie, et donc certains stéréotypes ou préjugés sont assez automatiques car vous avez appris comme ça, et ça ne fait pas de vous une mauvaise personne. Ce qui compte, c’est de ne pas agir de manière discriminante. » Elle identifie d’ailleurs l’enjeu principal de sa nouvelle fonction au sein de la CFR justement comme la nécessité de parvenir à « rendre compte et informer, sans moraliser ».