Dans la famille des qualités, je voudrais la conscienciosité !

Une recherche menée à l’Unil a tenté de comprendre comment nous hiérarchisons les traits de caractère selon les contextes sociaux.

Choisir ses qualités comme on fait son marché. Une recherche en psychologie menée à l’Université de Lausanne a tenté de comprendre comment nous hiérarchisons les traits de caractère selon les contextes sociaux.

Si l’on vous offrait un billet de 100 francs pour composer votre personnalité comme bon vous semble… quels traits de caractère choisiriez-vous d’« acheter » en priorité ? Et quel montant seriez-vous prêt à débourser pour chacun d’entre eux ? Cette expérience de budgeting task a été menée par un groupe de recherche en psychologie de l’Unil. Les résultats de l’étude, récemment publiés au sein de la revue Personality and Individual Differences, ont permis de mettre en évidence la manière dont nous hiérarchisons les qualités en leur attribuant des valeurs différentes, en fonction des contextes sociaux.

Concrètement, les participants avaient pour tâche de répartir une somme d’argent fictive entre différentes qualités issues du modèle des Big Five, un outil de référence en psychologie qui permet de cerner les grandes dimensions de la personnalité humaine et que l’on mobilise aussi bien en recrutement et en recherche qu’en développement personnel. Les résultats ont montré que certains traits sont jugés essentiels. Même avec un budget limité, ils sont achetés en priorité. Tandis que d’autres sont davantage perçus comme des luxes.

Qualité prisée, qualité simulée ?

On pourrait penser que cette hiérarchisation est individuelle. Si pour l’un l’empathie compte plus que la patience, l’autre considérera sûrement l’inverse. L’étude a cependant démontré que cette hiérarchisation variait davantage selon le contexte social que selon la personne. Suivant la situation, certaines qualités apparaissent comme attendues. 

« Les gens sont beaucoup plus malins qu’on ne le croit. Dès que l’on comprend ce qui est attendu dans une situation donnée, on peut jouer le rôle. »

Benoît Dompnier, maître d’enseignement et de recherche à l’Unil

Dans un contexte professionnel ou académique, c’est par exemple la conscienciosité (être sérieux, organisé, fiable) qui apparaît comme une nécessité. En revanche dans un cadre amical ou informel, ce sont au contraire l’extraversion et l’agréabilité (être sociable, chaleureux, sympa) qui prennent le dessus.

Conséquence selon l’étude ? Plus un trait est jugé important dans une situation, plus il risque aussi d’être simulé. Dès lors, il faudrait davantage s’en méfier. « Les gens sont beaucoup plus malins qu’on ne le croit, sourit Benoît Dompnier, maître d’enseignement et de recherche en psychologie sociale et coauteur de l’étude. Dès que l’on comprend ce qui est attendu dans une situation donnée, on peut jouer le rôle. »

Contourner la simulation

« Dans un entretien d’embauche, si quelqu’un me dit qu’il est consciencieux, c’est exactement ce que je veux entendre. Mais c’est aussi l’information dont je dois le plus me méfier, parce que tout le monde le dira, y compris ceux qui ne le sont pas », explique Benoît Dompnier. De quoi inviter à la prudence lorsqu’on interprète un questionnaire de personnalité ou que l’on effectue un recrutement.

Changer de cadre et proposer des situations inattendues peut, selon le chercheur, permettre de révéler des facettes plus authentiques d’une personnalité. « Plutôt que de présenter une situation comme un contexte strict, avec des devoirs et des attentes précises, on peut l’aborder comme un moment de sociabilité. Par exemple, inviter de futurs candidats à un apéritif : ils discutent, échangent… et mettent en avant leurs atouts liés à l’agréabilité. Mais ce qui est intéressant, en réalité, c’est d’observer leur degré de conscienciosité. C’est une manière indirecte, mais qui peut être plus efficace, d’accéder à des informations fiables. »

Le chercheur estime aussi que l’on obtient davantage d’informations valides « sur les éléments secondaires ». À savoir les traits moins attendus, tels que « la curiosité, la créativité ou encore l’ouverture, liste celui qui a l’habitude d’effectuer des recrutements. Ces traits sont généralement exprimés plus sincèrement, car ils ne sont pas perçus comme stratégiques. »

Une capacité acquise très tôt

Benoît Dompnier explique que cette aptitude à « jouer » avec son image apparaît dès l’enfance. « Même des enfants de 8 ou 10 ans savent déjà dire ce qu’il faut pour plaire à un enseignant. » En grandissant, l’expérience et la socialisation renforcent cette compétence.

Avec le temps, certaines personnes développent ce que les scientifiques appellent une clairvoyance sociale, une capacité à repérer avec finesse ce qui est attendu et à s’y adapter. « C’est comme un entraînement. Plus on interagit, plus on apprend à se présenter sous son meilleur jour », résume le chercheur.

Vers une psychologie plus réaliste

En filigrane, cette étude remet donc en cause un postulat tenace dans certaines recherches en psychologie de la personnalité : l’idée que les réponses aux questionnaires reflètent forcément une vérité brute. « Ce qui m’a toujours frappé, c’est le postulat d’honnêteté qui régit le domaine de la psychologie, souligne Benoît Dompnier. Dans beaucoup de domaines, on part du principe que si on pose une question, la réponse sera vraie. Mais dans la vie sociale, les choses sont rarement aussi simples. »

Pour lui, ce travail prouve qu’il faut analyser les réponses non pas en absolu, mais en fonction du contexte. Car chacun sait, consciemment ou non, ajuster son image selon la situation. « Qui dit quoi, à qui et quand ; voilà une des clés pour comprendre les stratégies de présentation de soi », conclut le chercheur.