Rendre les algorithmes plus robustes pour mieux prédire le changement climatique, c’est l’objectif de la recherche à laquelle a participé Tom Beucler, professeur assistant à l’UNIL. Une avancée qui pourrait avoir un impact au-delà des géosciences.
La fée IA au chevet du climat, avec la physique fondamentale pour marraine. Tel est le pari, réussi, de Tom Beucler, professeur assistant à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’UNIL et cofondateur du nouveau Centre d’expertise sur les extrêmes climatiques. « On a encore tendance à manquer de créativité dans la manière dont on combine connaissance et algorithmes, estime ce passionné d’atmosphère. Cadrés, les algorithmes peuvent produire des résultats que l’on n’aurait pas imaginés. Bien utilisés, ils représentent un gain de temps et permettent de tester plus rapidement des hypothèses. »
Dans une étude parue début février dans Science Advances, le physicien du climat ainsi que 12 chercheuses et chercheurs basés en Suisse et aux États-Unis ont entraîné l’intelligence artificielle en prenant en compte les lois de changement de phase pour la rendre plus performante. « On parle beaucoup d’IA hybride, guidée par la connaissance et l’éthique. Ici, c’est l’IA guidée par la physique », résume le scientifique.
Des données et des biais
Les algorithmes sont entraînés avec une multitude de données météorologiques provenant de sites à travers le monde. Pour des raisons financières, les ouragans sont mieux suivis sur la côte américaine que les cyclones tropicaux dans l’océan Indien. Les données récoltées sont donc biaisées.
« Si on avait une couverture observationnelle plus homogène, on diminuerait ce phénomène, constate Tom Beucler, professeur assistant à l’Institut des dynamiques de la surface terrestre, à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’UNIL. Il est important d’avoir une connaissance de ces mécanismes pour comprendre que ces données, qui semblent objectives, sont en réalité biaisées. Je pense que l’on ne pourra jamais complètement éliminer ces biais. »
Trois mondes possibles
L’atmosphère suit des lois fondamentales que l’on peut retranscrire sous forme d’équations. « La loi de Clausius-Clapeyron nous permet de comprendre quelle quantité de vapeur d’eau l’atmosphère peut contenir avant qu’un nuage ne se forme. C’est la première loi que nous avons pensé à utiliser, parce que l’humidité évolue beaucoup avec le réchauffement climatique. Il y aura plus d’eau dans l’atmosphère, en moyenne globale, sur Terre. »
Ce changement de perspective rend l’intelligence artificielle plus fiable. « On modifie l’espace dans lequel les algorithmes opèrent, précise Tom Beucler. Ainsi cadrés, ils apprennent presque librement. C’est une transformation plus douce. »
Cette recherche a étudié trois mondes possibles, dont un sans continent. « Cela permet de tester des hypothèses plus rapidement, avec un modèle plus simple. On peut ainsi pousser le monde à 8 degrés de réchauffement plus facilement. C’est ce que l’on a fait, et l’algorithme a « cassé », atteignant ses limites. Il commet alors des erreurs de facteur 10 dans certains cas. C’est un travail de détective de comprendre comment l’améliorer, afin qu’il généralise mieux le changement climatique. »
Renversement de la démarche scientifique
Partir des données plutôt que d’une idée empirique vérifiée par la suite, c’est le renversement scientifique possible de l’intelligence artificielle, selon Tom Beucler, professeur assistant à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’UNIL. « On peut utiliser l’intelligence artificielle pour remettre en cause des lois et, finalement, formuler des hypothèses auxquelles on n’aurait pas pensé avant, nous amenant à découvrir de nouvelles lois. »
Et le scientifique d’évoquer ses recherches actuelles : « Un des axes de travail les plus importants de mon laboratoire : prouver que l’on peut trouver de nouvelles connaissances à partir de ces algorithmes, en partant de ce que l’on sait, aller en explorer les limites pour remettre en question les lois empiriques, moins fondamentales. Dans d’autres articles, on a montré que l’on peut utiliser ces algorithmes pour découvrir de nouvelles équations sur la couverture nuageuse », se réjouit-il.
Une « vraie démocratisation »
Auparavant, de telles recherches demandaient une grande quantité de calculs réalisés par des milliers, voire des centaines de milliers d’ordinateurs. Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, la donne a changé. « Il y a une vraie démocratisation. On arrive à effectuer des prédictions réalistes avec, parfois, mille fois moins de ressources. On possède désormais des modèles météo qui tiennent sur un ordinateur. Il y a deux ans, c’était encore impensable. »
Mais pourquoi ces lois physiques n’ont-elles pas été implémentées dans ces algorithmes avant ? « L’IA a été créée pour des applications plus génériques qui ne sont pas gouvernées par de telles lois. Il serait bénéfique que les créateurs d’intelligence artificielle et les scientifiques collaborent davantage, souligne le physicien du climat. Mais je suis optimiste. En termes de créativité, j’ai l’impression que l’on a ouvert plus de possibilités de combiner ces algorithmes avec la connaissance, dans tous les domaines. » Offrant ainsi des perspectives allant bien au-delà des géosciences.
Incertitude implémentée dans l’IA
Dans le cas de projections climatiques, certaines données sont bien comprises, comme la température transportée par les vents sur des échelles plus grandes qu’environ 100 kilomètres, le réchauffement moyen de la planète à cause des gaz à effet de serre ou l’augmentation de la capacité de l’atmosphère à contenir de la vapeur d’eau.
En revanche, il y a des phénomènes plus difficiles à appréhender. « Il y a énormément d’incertitudes à l’échelle régionale. Même si on comprend très bien la tendance globale, les variations exactes à ce niveau restent très difficiles à modéliser », explique Tom Beucler, professeur assistant à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’UNIL.
Cette part d’incertitude, l’intelligence artificielle peut y être entraînée grâce aux modèles génératifs, qui, tels les modèles stochastiques en physique, peuvent prendre en compte l’aléatoire en mathématiques. « Jusqu’à quelques jours avant un événement météo, on sait rarement à quel point il va être extrême. Pour le changement climatique, l’échelle de temps est plus grande », ajoute le chercheur.