Un documentaire consacré à la course à pied des 20 kilomètres de Lausanne sera diffusé le 2 novembre à l’UNIL. Philippe Vonnard, historien du sport, nous explique ce qui fait le sel de cette épreuve populaire.
Les 20 kilomètres de Lausanne ont fêté leurs 40 printemps en avril 2022. La troisième course de Suisse en termes de fréquentation (avec un pic de 27’201 participantes et participants en 2019), après l’Escalade de Genève et le Grand Prix de Berne, n’a pas fini de faire suer des hordes d’écolières et écoliers, d’accros du chrono et de joggeuses et joggeurs attirés par ce défi tout en pente organisé par le Service des sports de la Ville.
Pour marquer le coup de cet anniversaire, Philippe Vonnard, historien et chargé de cours à l’Institut des sciences du sport de l’UNIL (Issul), a participé, en qualité de conseiller scientifique, au documentaire Du Stade à la Cité. Histoire d’une course populaire dans la capitale olympique, réalisé par Yanick Turin et scénarisé par Vincent Aubert. Une diffusion est prévue le 2 novembre dès 17h30 à l’aula de l’Institut de hautes études en administration publique.
Le but du documentaire ? Tenter de saisir et de transmettre au public ce qui fait l’essence de ce festif semi-marathon. Résultat, 52 minutes d’interviews, d’anecdotes riches en émotions et d’images marquantes, avec pour fil rouge la sportive Ludivine Dufour qui embarque les spectateurs le long du parcours, du Stade Pierre de Coubertin à la Cité.
Une montagne d’archives
Le film, soutenu par le Service des sports de la Ville de Lausanne et l’Issul, a été produit par La Prod TV (qui gère la diffusion de la course en direct) et l’AvaHs, l’Association pour la valorisation des archives et de l’histoire des sports, dont Philippe Vonnard est le président.
Des archives des 20 kilomètres de Lausanne, l’historien en a épluché à la pelle pendant deux ans, un important travail empirique préparatoire. « J’ai compulsé plus de 5000 documents issus des fonds d’archives de la Ville, du Service des sports, de Swiss Athletics à Berne et du Comité international olympique (CIO), qui était partie prenante aux premières éditions. Nous avons aussi conduit 24 entretiens avec des actrices et des acteurs de la course, ainsi qu’utilisé plus de 600 heures de documents vidéo numérisés », détaille le chercheur. Parmi eux, le présentateur Jean-Marc Richard, qui animait le parcours des enfants, Bernard Rosset, le seul coureur ayant participé à toutes les éditions depuis 1982, ou encore l’ancien syndic Daniel Brélaz.
Les années 80, l’essor du running
Au début des années 1980, le président du CIO Juan Antonio Samaranch souhaitait que Lausanne, ville olympique et siège de l’organisation, devienne capitale olympique (son vœu fut exaucé en 1994). « Il voulait renforcer la position de l’organisation dans le tissu local et accueillir d’autres fédérations internationales, explique Philippe Vonnard. Et pour que le CIO soit plus présent à Lausanne, il fallait toucher la population locale. D’où l’idée de créer, en plus des compétitions internationales, des événements populaires. » Il allait presque de soi qu’il fallait lancer une épreuve de course à pied : une vraie frénésie autour de ce sport régnait à la fin des années 70 et au début des années 80 et presque chaque ville occidentale se lançait dans l’organisation de son propre marathon ou semi-marathon (New York, Milan, Paris, Genève…).
Jacky Delapierre, vice-président du Stade Lausanne, Jean-François Pahud, président de la section athlétisme du Lausanne-Sports, tous deux initiateurs du meeting international d’athlétisme (l’actuel Athletissima), ainsi que le municipal en charge du domaine des finances Jean-Claude Rochat se chargent de l’organisation de la première édition du semi-marathon. Le succès est au rendez-vous, avec 750 adultes et 800 enfants. Spécificité lausannoise, la gratuité a toujours été de mise pour ces derniers. Les bambins ont été « dès le début au cœur du dispositif, rapporte le président de l’AvaHs. Si on prend Morat-Fribourg, il n’y a pas toujours eu des courses d’enfants, car c’était compliqué à mettre en place sur un long parcours. » À Lausanne, une boucle de 4 kilomètres leur est dédiée.
Autre particularité de l’épreuve ? Au contraire de la plupart des courses populaires, les « 20 kils » ne paient pas de stars pour leur participation (prize money) et les prix attribués aux vainqueurs restent plutôt modiques. Le fait que la Ville tienne les rênes de la manifestation représente aussi une caractéristique : le secrétaire général de la course, Xavier Bassols, et le directeur technique, Pascal Zuber, travaillent tous deux au service des sports. « Une bonne partie des épreuves populaires sont organisées par des privés, comme des clubs, des promoteurs », dit notre interlocuteur. Cette configuration lausannoise a permis de fédérer les services de la Ville impliqués (sports, voirie, police, écoles…) au fil des années. Cela a engendré une émulation au sein de ces services et de nouveaux savoir-faire, qui ont pu être réutilisés pour d’autres manifestations comme la Gymnaestrada en 2011. De fait, les « 20 kils » ont joué un grand rôle dans l’établissement d’une politique publique sportive proactive dans la capitale olympique.
Une manifestation représentative de toute la société ?
En 1982, seules 43 femmes ont participé à la première édition de la course, soit le 5% de l’ensemble des coureurs. Aujourd’hui, « la parité est en bonne voie, avec 55% d’hommes et 45% de femmes ». Ces dernières, rappelle l’historien, étaient interdites de marathons jusque dans les années 70. Et grâce à l’allongement de l’espérance de vie, un nombre croissant de personnes âgées chaussent les baskets, parfois aux côtés de leurs petits-enfants. Il n’est pas rare d’y croiser aussi des personnes handicapées, par exemple des malvoyants guidés par d’autres coureurs, ou des individus avec des problèmes moteur transportés par chariot. Les différents parcours, 2, 4 ou 10 kilomètres en plus des 20 kilomètres, la version plus tranquille en nordic walking ou encore un apéro’run plus épicurien, offrent une bonne palette de courses, pour à peu près tous les niveaux.
De là à affirmer que toute Lausannoise ou Lausannois se retrouve dans cette épreuve, il y a un pas que Philippe Vonnard préfère ne pas franchir. « Pas tout le monde ne court. Outre les enjeux relatifs aux personnes à mobilité réduite, des études sociologiques montrent que même si ce sport paraît accessible, il est plutôt pratiqué au sein des classes hautes et moyennes de la société. La course à pied est liée à l’envie de bien-être observée chez les cadres notamment, dès les années 70 et 80. » Cependant, le fait que « des enfants dont les parents ne courent pas ont été encouragés à y participer grâce à l’école et à une inscription gratuite offre l’opportunité de créer un certain brassage au sein de la population locale durant les deux jours de l’épreuve. Peut-être plus que pour d’autres courses », estime Philippe Vonnard.
Diffusion du film Du stade à la cité
Le 2 novembre, de 17h30 à 20h, à l’aula de l’Idheap
Projection suivie d’un échange entre Vincent Aubert (coproducteur et scénariste), Philippe Vonnard et le public. Puis, place à un apéritif. Entrée libre mais inscription obligatoire