Jeune étudiant, Samuel Jaccard voulait comprendre comment le climat avait façonné les paysages. Parti en expéditions polaires depuis, le professeur en FGSE, spécialiste des océans, est aussi devenu expert au GIEC. Rencontre.
Au fond d’un couloir de Géopolis, la porte de Samuel Jaccard est entrouverte. Elle laisse s’échapper un rayon de lumière et une vue à l’est qui donne sur Lausanne. Niveau décorum, la pièce est particulièrement sobre, un bureau avec un ordinateur, quelques étagères avec seulement quelques échantillons, une table vide. Le tout d’un blanc immaculé, un vélo électrique noir, posé à côté de l’entrée. Nord ou Sud, on se croirait à un pôle.
Une image qui prête à sourire quand on sait que Samuel Jaccard, professeur associé à la Faculté des géosciences et de l’environnement, chercheur à l’Institut des sciences de la Terre, est spécialiste des océans et des sédiments marins. Fin septembre, il rentre tout juste d’une expédition de quatre semaines dans l’Arctique russe, sur un brise-glace qui réunissait des scientifiques de l’Institut polaire russe, d’un institut de recherche océanographique allemand et un consortium de chercheurs suisses chapeauté par l’Institut polaire suisse. Le but : comprendre comment le changement climatique affecte les différents aspects du système climatique arctique, à savoir l’océan, l’atmosphère, la biosphère – terrestre et marine – et la cryosphère. « Une opportunité rare, souligne en préambule le chercheur, puisque, à plus d’un titre, il est compliqué de faire de la recherche dans les eaux russes. Aujourd’hui, l’Allemagne et la Suisse font partie des rares pays à pouvoir obtenir un accès aux eaux territoriales russes. » Une chance unique donc d’explorer enfin, selon Samuel Jaccard, une zone importante de l’Arctique qui n’a jusque-là pas reçu la même attention que d’autres régions étudiées plus en détail.
Les résultats attendront puisque les échantillons récoltés, pour des raisons logistiques, arriveront plus tard dans l’année. Reste que le géochimiste de 44 ans, natif de Lausanne, n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà participé en 2017 à une autre expédition d’envergure, interdisciplinaire également, cette fois-ci en Antarctique. Plus précisément l’océan Austral, « région très importante pour l’échange de CO2 entre l’océan et l’atmosphère, précise le chercheur. Il faut savoir que l’océan profond contient 50 fois plus de carbone que l’atmosphère. » Des régions du globe particulièrement intéressantes à étudier donc, puisque essentielles dans la régulation du système climatique.
Des profondeurs aux plus hauts sommets
Les recherches et les domaines spécifiques de Samuel Jaccard, le cycle du carbone et les océans, font du Vaudois un éminent spécialiste de ces thèmes et questions. Au point d’attirer l’attention du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Le fameux GIEC. Samuel Jaccard, l’un des principaux auteurs du dernier rapport en date, publié début août, est aussi l’un des rares Suisses (cinq au total) sur les plus de 200 scientifiques ayant contribué à la rédaction et à l’élaboration de cet important document qui terminera sur le bureau des grands dirigeants de ce monde. Afin que ceux-ci prennent en toute connaissance de cause les mesures qui conviennent pour contrer au mieux l’apocalypse climatique annoncée ? La question restera pour l’heure sans réponse.
Rien de politique toutefois aux dires du principal intéressé, qui se réjouit néanmoins de la reconnaissance à la fois professionnelle et personnelle qui lui est accordée.
« En tant que chercheurs, il s’agit d’établir le plus fidèlement l’état de la connaissance et de la science sur les différentes questions relatives à l’évolution du climat pour que les dirigeants puissent ensuite prendre des mesures et des décisions. »
Raison pour laquelle il ne répond qu’en partie à la question des solutions et des actions à entreprendre. Comme pour la majorité des chercheurs de ces domaines, Samuel Jaccard est d’avis qu’il faut agir sans délai avec des mesures fortes et concertées au niveau international, pour éviter le pire. Mais comment et par quels moyens ? « Ce n’est pas à nous seuls, scientifiques, de prendre les décisions. Et il faut aussi dire que les leviers ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre », indique Samuel Jaccard. En Suisse par exemple, les principaux leviers seraient l’amélioration de l’isolation des bâtiments pour éviter la déperdition d’énergie, la perte de chaleur, et le transport, avec notamment l’accroissement important de l’utilisation des transports en commun.
Comprendre les paysages
Expert reconnu que les hautes autorités scientifiques invitent, Samuel Jaccard n’en demeure pas moins une sorte d’extraterrestre. Car à l’origine rien ne prédestine un gamin de Lausanne qui a grandi à Bussigny, alors simple village à quelques kilomètres à l’ouest de la capitale vaudoise, avant de s’installer à Pully, en passant par Berne, Zurich et Vancouver le temps de ses études, à voguer en eaux polaires en qualité de spécialiste des océans. « Les géologues ont une perception du temps différente de celle du public. On parle souvent en millions voire en dizaines de millions d’années. Un battement de cils à l’échelle globale pour les géologues. Il ne faut pas oublier qu’il y a 30 millions d’années, la mer couvrait le bassin lémanique », explique simplement Samuel Jaccard.
Sa curiosité pour le sujet lui vient en premier lieu d’une envie de comprendre l’évolution des montagnes et de l’environnement dans lequel il vit. Ado, Samuel Jaccard entreprend des études à l’UNIL, en géologie. Il approfondira ses connaissances le temps d’un doctorat en géologie climatique et paléo-océanographique à l’École polytechnique fédérale de Zurich. Viendront ensuite un postdoc à l’Université de Colombie-Britannique de Vancouver, un premier poste de chercheur associé à l’EPFZ en 2007, puis celui de professeur assistant à l’Université de Berne en 2013. En enfin un retour à Lausanne en 2020 en tant que professeur associé.
« Je me suis très tôt intéressé au cycle du carbone. Quand on l’aborde dans sa globalité, on comprend vite que l’océan et les zones polaires en sont des acteurs majeurs. Et je me suis aussi beaucoup intéressé à la variabilité climatique. Je voulais comprendre comment le climat a façonné les paysages et l’évolution humaine. Comment les changements climatiques, sur le long terme, ont façonné l’environnement dans lequel on vit », se souvient le chercheur. Une curiosité naturelle à l’égard de son environnement proche à l’origine donc, encouragée par ses parents : son papa, scientifique dans le privé, chimiste ; sa maman enseignante. « J’ai peut-être choisi les sciences de la Terre par défi. En tout cas pour faire quelque chose de différent. Aujourd’hui pourtant je fais beaucoup de chimie et d’enseignement. Quelque part, je me retrouve dans le moule familial », sourit-il.
Le sens du devoir
Qu’il s’adresse à des étudiants, à des journalistes, à des écoliers, qu’il rencontre souvent en tant qu’invité dans les classes, à ses propres enfants (Samuel Jaccard est marié à une géologue de formation devenue ingénieure de l’environnement et est papa de deux adolescents), à la communauté scientifique à travers ses recherches ou aux dirigeants du monde via le rapport du GIEC, le chercheur est particulièrement mû par un sens du devoir qu’on perçoit derrière chacune de ses explications. « Il est très important d’expliquer ce que nous faisons. Et étant payés par le contribuable, c’est aussi notre devoir », assure-t-il.
Mais quid du constat, le même depuis des dizaines d’années, que finalement, malgré une sonnette d’alarme que les scientifiques ne cessent de tirer, rien ne bouge ? que l’humain court à sa perte ? « Il y a évidemment des personnes qui ne veulent rien entendre. Mais nous avons, nous scientifiques, notre part de responsabilité à assumer. Peut-être nous faut-il davantage communiquer sur les enjeux de notre temps et des dangers qui nous entourent. Ou peut-être mieux communiquer. »
Pour Samuel Jaccard, il est surtout question de raconter des histoires. En réalité une seule, toujours la même, mais avec un vocabulaire qui change selon l’auditoire auquel il s’adresse. « C’est une évolution constante de mon côté. Essayer de transmettre un message cohérent avec des mots adéquats pour que le message passe. Je me rends compte que certaines explications ne font parfois pas mouche, qu’elles ne sont pas les bonnes ou s’avèrent trop complexes, et j’essaie dès lors de toujours m’adapter aux personnes qui m’écoutent. La communication est vraiment essentielle dans nos métiers. Quel que soit le domaine de recherche. »
Des photos d’enfance sembleraient témoigner de ce trait de caractère qui l’accompagnerait depuis toujours. « Raconter des histoires fait partie de ma nature. Il existe en effet des photos de moi, enfant, devant le sapin de Noël, où je raconte des histoires sans queue ni tête pendant de longues minutes », livre-t-il enfin avec un large sourire.