Dans le sud du Groenland, deux chercheuses de l’EPFL et de l’UNIL unissent leurs compétences pour comprendre les transformations climatiques d’un territoire polaire en pleine mutation. Elles viennent d’obtenir une bourse du projet CROSS afin de mettre en commun leurs données atmosphériques et sociales pour une compréhension intégrée de la région.
« Apprendre à connaître le monde de l’autre » : tel fut l’objectif du premier terrain commun de Julia Schmale, atmosphériste à l’EPFL, et Laine Chanteloup, géographe à l’Université de Lausanne, à Narsaq, au sud du Groenland. Rencontrées dans le cadre du projet GreenFjord, leur but est de comprendre la complexité des écosystèmes de la région : d’un point de vue des particules pour la première, et des perceptions des habitants et habitantes pour la deuxième. Leur mission conjointe en 2022 les a confrontées aux différences entre leurs disciplines, mais aussi aux défis pratiques d’un travail de terrain partagé. Julia Schmale, par exemple, devait obtenir des autorisations pour déployer ses technologies de mesure atmosphérique, tout en jonglant avec des conditions météorologiques imprévisibles. Pour Laine Chanteloup, les différences culturelles constituaient son obstacle principal. Planifier des activités avec les écoles locales, par exemple, pouvait s’avérer complexe.
Une plongée dans l’atmosphère du Groenland
Dans les locaux de l’EPFL situés à Sion, le laboratoire de Julia Schmale se concentre sur la recherche des particules atmosphériques et leur impact sur le climat. Ses travaux au Groenland s’appuient sur un ballon équipé de capteurs pour analyser la composition chimique de l’air. « Nous nous intéressons à l’origine des particules d’aérosols : est-elle naturelle ? Anthropogénique ? » explique-t-elle. La professeure évoque des phénomènes comme les incendies de l’été dernier au Canada, dont les fumées atteignent les cieux du Groenland, modifiant l’atmosphère : « Nous avons enregistré trois événements majeurs de transport de fumées. Cela modifie la composition de l’atmosphère et même la couleur du ciel. »
Ces données locales sont complétées par des modèles globaux, permettant à Julia Schmale et son équipe d’observer les tendances à long terme. Toutefois, elle rappelle qu’une analyse climatique nécessite du temps : « Pour détecter des tendances liées au changement climatique, il faut des années. Mais la fréquence de ces feux au Canada est liée au réchauffement climatique. »
Comprendre le lien des Groenlandais et Groenlandaises à leur environnement
De son côté, Laine Chanteloup se concentre avec son équipe sur l’étude des relations entre les communautés polaires et leur environnement depuis son bureau de l’UNIL à Bramois. En partant dans les villages du Groenland, elle souhaite davantage explorer le concept de sila, un mot des populations locales groenlandaises qui représente à la fois l’air, l’esprit et les changements. « Sila, ce n’est pas juste l’air. Cela peut aussi désigner l’âme des individus », précise-t-elle. Étant donné ces particularités culturelles, son but est de mener des entretiens avec les habitant.es pour comprendre leurs perceptions diverses du changement climatique et plus largement des transformations que connaît leur territoire.
Le programme CROSS (Collaborative Research on Science and Society) encourage les projets interdisciplinaires qui portent sur des enjeux actuels sociétaux et technologiques, réalisés par une collaboration entre des chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et de l’Université de Lausanne (UNIL). Par le biais d’un appel à projets annuel, CROSS attribue des subsides (jusqu’à 60’000 francs par projet) pour soutenir des amorces de projets de recherche, qui ont le potentiel de devenir des projets de recherche interdisciplinaires à grande échelle.
Projet CROSS : un croisement des données pour une vision intégrée
Les deux chercheuses viennent d’obtenir un subside CROSS qui leur permettra, tout au long de l’année 2025, de croiser leurs données atmosphériques et les perceptions locales de l’environnement autour du concept de l’air, ou du sila. « Nous avons deux types de données : celles de l’atmosphère et celles des perceptions culturelles, souligne Julia Schmale. Est-ce qu’elles convergent ou divergent complètement ? » Selon Laine Chanteloup, ce croisement peut enrichir leur compréhension : « Parfois, les perceptions de pollution peuvent être démenties par les données ou, inversement, des inquiétudes peuvent trouver des confirmations inattendues. »
Pour Laine Chanteloup, cette collaboration interdisciplinaire est particulièrement enrichissante, car elle lui permet d’identifier de nouveaux enjeux : « Il y a plein de questions ou d’enjeux que je ne connaissais pas pour comprendre les microclimats. Par exemple sur les poussières et leur rôle dans la formation des nuages, un phénomène que j’ignorais complètement. » Elle constate également que les interactions entre sciences naturelles et sociales favorisent une vision plus systémique et globale de l’environnement. « L’interdisciplinarité oblige à sortir de sa zone de confort, mais amène aussi à poser des questions différemment et à avoir une vision plus complète des enjeux environnementaux. »
Pour un impact globalisé
Au terme du projet, une restitution des résultats est prévue dans les écoles du village et auprès des communautés locales afin de partager ces analyses et de nourrir le dialogue avec les Groenlandais.es, comme l’explique Julia Schmale : « Il y a cette approche très occidentale de prise de données, d’analyse et de publication. Mais quel est le véritable impact de tout cela ? Nous utilisons les infrastructures et mesurons des éléments de l’environnement des villages au Groenland, il me semble normal de faire en sorte que les locaux aient aussi connaissance des résultats des travaux de recherche. »
La collaboration entre Julia Schmale et Laine Chanteloup démontre le potentiel des recherches interdisciplinaires pour mieux comprendre les réalités polaires. En combinant la science de l’atmosphère et les sciences humaines, le projet CROSS met en lumière non seulement l’interaction entre l’environnement et les communautés, mais aussi la richesse de la collaboration entre des disciplines très différentes.
Pour en savoir plus…
- Découvrez le programme CROSS, un fonds interdisciplinaire dédié aux collaborations entre l’UNIL et l’EPFL
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