Comment véritablement libérer les sciences ?

En septembre ont eu lieu les Science Open Days dédiés aux sciences ouvertes. Voici quelques pistes pour rendre la recherche plus accessible.

Du 2 au 5 septembre 2024 ont eu lieu les Science Open Days, un événement conjoint entre l’UNIL, la HES-SO, la HEP Vaud et l’EPFL abordant les sciences ouvertes. Chaque jour était centré autour d’une thématique : le système de publication scientifique, les données, l’éducation et les sciences citoyennes. Retour sur quelques pistes destinées à rendre la recherche plus accessible.

C’est une véritable « transformation de la manière de faire de la recherche », a annoncé Georg Fantner, président du comité stratégique pour l’open science à l’EPFL, lors de son discours d’ouverture. S’il ne fallait retenir qu’un élément de ces quatre jours, ce serait que les sciences ouvertes ne consistent pas seulement à rendre la recherche scientifique, les données et leur diffusion accessibles à toutes et tous. Il s’agit d’un changement de paradigme global qui nécessite un nouveau système de valeurs.

Un changement de valeurs dans les publications scientifiques

Lors du premier jour du symposium organisé par la HES-SO dans les locaux de la Haute École de musique, les articles scientifiques étaient au centre des discussions. Traditionnellement, ceux-ci ne sont disponibles que par abonnement ou par achat individuel, un modèle dirigé par des maisons d’édition telles que Springer Nature ou Taylor & Francis. Il y a maintenant 20 ans, la revue PLOS a renversé le paradigme, rendant l’accès à ceux-ci gratuit pour quiconque passant par leur site, lançant le modèle « open access ». Niamh O’Connor, directrice de publication de la revue, était présente aux Open Science Days. « Au début, l’open access était un mouvement lancé par quelques chercheurs et chercheuses pour changer le système. Ensuite, il est devenu le courant dominant, mais il est parti dans la mauvaise direction. » Une direction d’un nouveau modèle sur lequel certaines maisons d’édition scientifiques ont construit un profit, celui des APC (pour Article Processing Charge), une taxe pouvant monter jusqu’à 10’000 dollars à payer par les laboratoires pour publier un seul papier. Car si ces derniers sont accessibles gratuitement, le coût s’est simplement déplacé de l’accessibilité à la publication, grâce à laquelle certaines revues ont trouvé leur compte (en banque).

Le défi de l’open access est devenu celui de construire un modèle qui soit un véritable changement de culture. La publication par « la voie diamant », pour laquelle les revues sont subventionnées par des organisations et des associations non commerciales et sans but lucratif, « est la meilleure voie », selon Joël Billieux, professeur de psychologie à l’UNIL. Pour Niamh O’Connor, les éditeurs doivent penser au-delà du papier : « Il n’est pas seulement question de savoir comment publier des articles. Il s’agit de valoriser la construction de la connaissance. »

Un changement de valeurs dans le partage de données

Le deuxième jour des Open Science Days, sur le campus de l’EPFL, parle d’ouverture des données. « C’est un outil très puissant pour les sciences », a expliqué Gilles Dubochet, responsable de l’open science à l’EPFL. Un trésor immense qui pourrait être source d’innovation s’il était disponible pour toutes et tous. Chaque personne serait en mesure de s’en emparer pour tester ses hypothèses scientifiques ou entraîner une intelligence artificielle, réduisant ainsi les inégalités entre les scientifiques qui ont les moyens et celles et ceux qui en ont moins. Le problème ? C’est un effort immense de rendre des données accessibles, en raison de leur tri et leur stockage. « Ce n’est pas faisable de tout partager. Il faut sélectionner ce qui est utile », a lancé lors d’une table ronde Christophe Dessimoz, professeur de biologie computationnelle à l’UNIL et directeur du Swiss Institute of Bioinformatics.

Martin Jaggi, professeur de machine learning à l’EPFL, a ajouté une piste : « Pour ouvrir les données, il nous faut de la confiance. Une confiance envers la justesse de ces données et les personnes qui les ont collectées. C’est la construction d’une communauté qui permet d’atteindre cette confiance. » Si l’ouverture de ces informations semble être la voie à suivre, Carlotta Manz, chercheuse en droit à l’UNIL, a rappelé l’importance de la législation : « Il n’y a pas d’alternative au consentement. » Car certaines informations peuvent être sensibles et leur accès public serait susceptible d’être utilisé de manière malveillante. Elle avait d’ailleurs partagé ses travaux dans l’uniscope récemment.

Un changement de valeurs dans l’éducation

Le troisième jour des conférences était organisé par la HEP Vaud, puisque les sciences ouvertes comprennent aussi un accès à l’apprentissage pour toutes et tous. Cela peut prendre de nombreuses formes, telles que des manuels partagés en ligne ou encore des vidéos de cours disponibles pour les intéressé·e·s. La question se pose alors de savoir quoi distribuer et comment, explique Colin de la Higuera, de la chaire Unesco Ressources éducatives libres et intelligence artificielle : « Les idées sont claires mais le chemin reste long. » Il pointe du doigt plusieurs défis qui se posent sur le tracé des ressources éducatives libres. Celui du besoin de vérification de la qualité des contenus partagés, de leur pertinence culturelle, de reconnaissance des créateurs et créatrices ou encore de la pression de certaines universités dont l’accès reste cher et qui ne souhaitent donc pas tout partager gratuitement.

Pour Claude Potvin, qui accompagne la création de ressources ciblées pour le corps étudiant dans le cadre du programme québécois fabriqueREL, l’ouverture permet d’améliorer ses contenus en continu : « On ne sait pas ce que vaut notre ressource avant de la publier. » Lorsqu’elle est mise en ligne, elle peut être réappropriée, transformée, améliorée. Le rôle des intelligences artificielles dans ce processus doit évidemment aussi être considéré. ChatGPT, dont l’effet sur l’apprentissage reste très complexe, pose de nouvelles questions sur le partage d’informations, l’uniscope y avait d’ailleurs dédié plusieurs articles. Difficile donc de prévoir le futur. Pour Maria Canal, directrice en charge de la formation à la HEP Vaud, nous nous situons peut-être à un tournant : « Tandis que la démocratisation a permis aux beaux-arts de sortir des musées, peut-être que les ressources éducatives libres permettront à la formation de sortir des lieux d’éducation. »

Un changement de relation avec les citoyens

L’UNIL organisait la quatrième journée des Science Open Days dédiés aux sciences citoyennes au cœur de Lausanne, dans le palais de Rumine. Il s’agissait d’échanger à propos des projets participatifs, dans lesquels des scientifiques collaborent avec des citoyens et citoyennes. Mais « il ne faut pas être naïf quand on parle de participation », a prévenu Alain Kaufmann, sociologue à l’UNIL et directeur du colLaboratoire. Il n’est pas simplement question de demander à des citoyens et citoyennes de récolter des données pour les scientifiques bien-pensants dans leur tour d’ivoire. Il s’agit d’impliquer tous les acteurs et actrices sans hiérarchie dès la conception du projet. Coconstruire des savoirs ensemble, écouter les attentes et craintes mutuelles.

Pour cela, il faut des médiateurs et médiatrices ainsi que des plateformes « inappropriés et inappropriables » selon le chercheur. Des personnes qui puissent guider les discussions sans conflit d’intérêts ou référentiel imposé. Plusieurs exemples de projets participatifs ont été présentés et discutés tels que CoFish, Histoires de nature ou encore Capt’Air. Mélodie Faury, professeure au Muséum d’histoire naturelle de Paris, a conclu : « Quand on cherche où est le savoir, on se rend compte qu’il est partout. C’est reconsidérer ce qui était déjà là mais qu’on ne voyait simplement pas. »

Un changement global de culture scientifique

Un écosystème entier a été déployé aux Open Science Days en seulement quatre jours. Et avec lui la prise de conscience qu’ouvrir les sciences se fait au travers d’un changement de culture du milieu impliquant tous ses acteurs et actrices : scientifiques, éditeurs et éditrices, professionnel·le·s de l’éducation et citoyens et citoyennes. Pour atteindre la « science ouverte, transparente et accessible » dont parlait le recteur de l’UNIL Frédéric Herman lors de son discours d’ouverture, la responsabilité est à empoigner par tout un chacun. Le mouvement en est encore à ses débuts, mais les discussions sont lancées. Ouvrir les sciences ne se fait pas en quatre jours.

Les Open Science Days ont été organisés entre le 2 et le 5 septembre 2024 par quatre institutions partenaires : l’UNIL, la HES-SO, l’EPFL et la HEP Vaud. L’événement était gratuit et ouvert à toutes et tous, dans l’esprit des sciences ouvertes.