Ce numéro double revient sur l’héritage de Ricoeur, en particulier sur la manière dont la trilogie Temps et récit (1983-1985) est venue renouveler la manière d’envisager les rapports entre la mise en intrigue et l’expérience humaine, le rapport au temps et la construction identitaire. A bien des égards, Temps et récit peut ainsi être considéré comme un point de jonction entre la narratologie classique et postclassique ainsi qu’entre la théorie du récit et les études narratives.
Ce dossier est publié de manière coordonnée dans les Cahiers de narratologie et dans la revue Poetics Today. Il réunit les contributions de Raphaël Baroni, Claude Calame, Marco Caracciolo, Philippe Carrard, Jonas Grethlein, Stéphane Lojkine, Adrien Paschoud, Marie Vanoost et Ioana Vultur.
La narratologie vidéoludique se situe au carrefour de deux champs d’études, d’une part les game studies et de l’autre la narratologie. L’état de la question doit donc prendre en compte ces deux champs et les approches qui s’y développent concernant la narrativité, qui reste une question étroitement liée aux évolutions techniques et aux pratiques des joueurs. Pour les narratologues, le récit est un élément inhérent aux univers et aux pratiques vidéoludiques telles que les étudie la ludologie dans le cadre des game studies. Cette position de principe n’est pas nouvelle et elle s’intègre à des réflexions déjà avancées dans les deux domaines (Ryan 2007 ; Rueff 2008 ; Marti 2012 ; 2014 ; Zabban 2012 ; Barnabé 2014). Selon cette perspective, quelle que soit sa forme, le jeu vidéo reste fondamentalement une expérience temporelle, à la fois simulacre et simulation, et peut, à ce titre, s’articuler sur un « mode narratif » (Ricœur 1983 : 85).
Depuis l’Antiquité, toute l’histoire de l’esthétique et de la réflexion philosophique portant sur la musique est marquée par un antagonisme profond. L’une des approches accentue les caractéristiques dites « formelles », mesurables et objectives des phénomènes musicaux, tandis que l’autre tient compte de l’expression, du rôle social, de la valeur communicative des œuvres musicales. De nos jours on constate le retour de la discorde. La musicologie actuelle peut être considérée comme la scène d’un champ de bataille acharnée entre deux forces antinomiques : celle des représentants du formalisme musical contemporain, et celle qui cherche – grâce aux outils théoriques empruntés à l’évolution récente des sciences humaines – à comprendre la manière dont la musique exprime ou signifie notre rapport au monde, aux unités culturelles de chaque époque historique. C’est de cette façon que les apports de la sémiotique et de la narratologie littéraire, de l’étude de l’intermédialité, des sciences cognitives, des performance studies,gender studies, etc., peuvent féconder la réflexion actuelle sur les œuvres musicales.
À la mémoire de Janyce M. Wiebe, traduit de l’anglais par Sylvie Patron
Deixis (dont l’adjectif correspondant est déictique) est le terme sémiotique utilisé pour renvoyer à un ensemble d’indices personnels, temporels et spatiaux spécifiques (voir Bühler 2009 [1934, 1999], 262-347). Le centre déictique, appelé « origo » chez Karl Bühler, coïncide a priori avec notre propre vécu corporel, inséré dans le temps et l’espace réels. Cependant, à travers des processus psychologiques comme l’identification et la mimèsis, nous avons également la possibilité d’entrer dans la réalité d’êtres imaginaires, dans des espaces et des temps imaginaires, en nous appuyant sur les indices apportés par le texte fictionnel. L’étude de la façon dont les lecteurs déplacent leur centre déictique de la situation spatio-temporelle et personnelle dans laquelle ils se trouvent vers la situation spatio-temporelle et personnelle imaginaire du texte fictionnel constitue la tâche d’investigation prioritaire de la théorie du déplacement déictique.
Mireille Berton, Le médium (au) cinéma, Genève, Georg éditeur, coll. « emprise de vue ». 36′ pages, 18 CHF.
Comment expliquer les affinités électives entre le cinéma et le monde de l’au-delà ? Pourquoi insister sur le caractère spectral des images filmiques ? En vertu de quels critères le cinéma devient-il un vecteur de fantasmes liés à la communication avec les esprits ?
Le médium (au) cinéma entend répondre à ces questions en prenant comme point de départ, non pas tant la figure du fantôme que celle du médium spirite vu comme un média. L’étymologie du terme « médium » permet en effet d’envisager cette figure à la fois comme un intermédiaire ultrasensible entre le monde des vivants et des morts, et comme un appareil d’inscription et de transmission de données. Au cinéma, cette idée est transposée dans des films où le médium spirite opère tel un dispositif audiovisuel, une « machine-cinéma » capable d’intercepter des ondes invisibles, d’effacer les distances, de superposer les temporalités, de contourner la déchéance des corps et des choses. À l’occasion, le médium spirite devient le point d’origine d’un spectacle « multimédia » autour duquel gravitent quelques personnages récurrents (croyants et sceptiques, fantômes justiciers ou vengeurs, esprits maléfiques, parapsychologues exégètes). C’est pourquoi du médium (spirite) au média (technologique), il n’y a qu’un pas que les films contemporains franchissent volontiers, quitte à faire disparaître le médium au profit du média. Car bien que les technologies de (télé)communication aient toujours été investies de propriétés spectrales, le développement des cultures numériques contribue sans aucun doute à amplifier l’imaginaire du fantôme dans la machine, comme en attestent La Mort en ligne (2004), Pulse (2006) ou la franchise « The Ring ».
Sonny Perseil et Benoît Petitprêtre (dir.), La réalité de la fiction 2, Louvain-la-Neuve, L’Harmattan, 2021, 196 pages, 20,50 € – ISBN : 978-2-343-23121-1
Qu’on se le dise, La réalité de la fiction revient pour une deuxième saison ! Loin d’avoir épuisé, dans le premier tome publié en 2019, le sujet des relations entre fiction, narration, discours et récit, l’équipe de recherche du Laboratoire interdisciplinaire de recherches en sciences de l’action (Lirsa) du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) vous propose de nouveau de réfléchir à ce questionnement ô combien riche et foisonnant. Pour le cru 2021, trois principales pistes sont proposées à la réflexion : la performativité du témoignage ; la façon dont la fiction agit sur la gestion ; la compréhension de l’écart entre réalité et fictions. Pour saisir en profondeur ces éléments subtils qui fondent la réalité de la fiction, des thèmes aussi éclectiques que la comptabilité en bandes dessinées, les récits du mécénat, les usagers des transports publics, le docu-fiction, les séries TV, Harry Potter, René Char, le théâtre du réel, la peinture réaliste, la pornographie ou encore les palaces, sont abordés. Évoluant en sciences de gestion, en science politique, en sociologie ou encore en philosophie, les quinze auteurs réunis ici s’inscrivent résolument dans l’interdisciplinarité, particulièrement féconde pour des objets de recherche de ce type.
Avec les contributions de : Laurent Dehouck, Claire Edey-Gamassou, Nicolas-Xavier Ferrand, Lise Henric, Aldo Lévy, Aurélien Maignant, Marine Malet, Sonny Perseil, Benoît Petitprêtre, Mailys Poirel, Mohamed Rdali, Sébastien Rocher, Frédéric Roussille, Olivier Vidal et Nathanaël Wadbled.
Dirigé par Carlos Reis et Sara Grünhagen, cet ouvrage collectif en anglais se compose de six chapitres, précédés d’une introduction qui replace le recueil dans son contexte. Des questions théoriques sur la catégorie des personnages sont analysées, reprises sous des angles spécifiques que le caractère pluriel et interdisciplinaire des études narratives a favorisé. Certains des essais traitent, par exemple, de personnages traditionnellement moins valorisés ou éloignés d’une vision strictement littéraire et canonisante du récit. En ce sens, la diversité des approches de cet ouvrage met en évidence la condition dynamique du personnage, configurant ainsi un état de l’art toujours provisoire et qui s’inscrit dans un contexte plus large de redimensionnement théorique et d’ouverture transdisciplinaire des études narratives. Le débat qui en résulte concerne donc tout à la fois la catégorie narrative analysée et le champ d’études qui l’examine.
“This engaging study of Victorian multi-plot novels makes a compelling argument that, despite the seemingly distinct and potentially disjunctive narrative voices that tell a story, those perspectives cohere in a single worldview, one that points to the middle class’s acquisition of cultural and political power and the period’s gradual movement toward a more democratic state. Valint’s book will be welcomed not only by scholars of Victorian literature but also by those interested more broadly in narrative theory.” —Elizabeth Langland, author of Telling Tales: Gender and Narrative Form in Victorian Literature and Culture
While narrative fracturing, multiplicity, and experimentalism are commonly associated with modernist and postmodern texts, they have largely been understudied in Victorian literature. Narrative Bonds: Multiple Narrators in the Victorian Novel focuses on the centrality of these elements and addresses the proliferation of multiple narrators in Victorian novels. In Narrative Bonds, Alexandra Valint explores the ways in which the Victorian multinarrator form moves toward the unity of vision across characters and provides inclusivity in an era of expanding democratic rights and a growing middle class. Integrating narrative theory, gothic theory, and disability studies with analyses of works by Charles Dickens, Robert Louis Stevenson, Wilkie Collins, Emily Brontë, and Bram Stoker, this comprehensive and illuminating study illustrates the significance and impact of the multinarrator structure in Victorian novels.
Alexandra Valint is Associate Professor in the English Program at the University of Southern Mississippi at the University of Southern Mississippi.
Les inscriptions pour l’école d’été « Créativité et contingence » du programme de recherche ALEA sont ouvertes. Pour plus de renseignements, veuillez consulter le programme et les modalités d’inscription au lien suivant:
This book explains how the brain interacts with the social world—and why stories matter.
How do our brains enable us to tell and follow stories? And how do stories affect our minds? In Stories and the Brain, Paul B. Armstrong analyzes the cognitive processes involved in constructing and exchanging stories, exploring their role in the neurobiology of mental functioning.
Armstrong argues that the ways in which stories order events in time, imitate actions, and relate our experiences to others’ lives are correlated to cortical processes of temporal binding, the circuit between action and perception, and the mirroring operations underlying embodied intersubjectivity. He reveals how recent neuroscientific findings about how the brain works—how it assembles neuronal syntheses without a central controller—illuminate cognitive processes involving time, action, and self-other relations that are central to narrative.
An extension of his previous book, How Literature Plays with the Brain, this new study applies Armstrong’s analysis of the cognitive value of aesthetic harmony and dissonance to narrative. Armstrong explains how narratives help the brain negotiate the neverending conflict between its need for pattern, synthesis, and constancy and its need for flexibility, adaptability, and openness to change. The neuroscience of these interactions is part of the reason stories give shape to our lives even as our lives give rise to stories.
Taking up the age-old question of what our ability to tell stories reveals about language and the mind, this truly interdisciplinary project should be of interest to humanists and cognitive scientists alike.