Défilement, projection, performance. La lanterne magique comme dispositif narratif (appel à contributions)

Défilement, projection, performance. La lanterne magique comme dispositif narratif
Les Cahiers de narratologie (juillet 2022)

Sous la direction de Sébastien Fevry (UCLouvain) et Philippe Marion (UCLouvain)

Trop souvent, la lanterne magique reste considérée comme un simple précurseur du cinéma, n’ayant finalement d’intérêt que par son aspect pré-cinématographique dans une histoire du cinéma pensée erronément de façon téléologique. Or, on sait aujourd’hui que la lanterne constitua un média de masse très populaire au XIXe siècle, utilisée non seulement à des fins de divertissement, mais aussi pour des usages scientifiques, religieux ou propagandistes. À la fin du XIXe siècle, des plaques pour lanternes étaient produites à grande échelle, tant aux États-Unis qu’en Europe, tandis qu’une grande diversité de lanternes optiques étaient commercialisées et utilisées dans le cadre des universités, des écoles, des églises ou simplement dans le salon familial…

À ce jour, les recherches sur la lanterne magique ont surtout été effectuées d’un point de vue historique, pas seulement dans le domaine de l’archéologie médiatique (Mannoni, 2009), mais aussi du point de vue des usages de l’appareil dans le secteur des sciences ou de l’éducation religieuse (Saint-Martin, 2003) par exemple. En plus de certains articles (notamment dans la revue Early Popular Visual Culture), de monographies ou de bases de données comme LUCERNA, des projets de recherche de plus grande ampleur se sont récemment développés au niveau européen comme A Million Pictures ou Bmagic visant à explorer le rôle de la lanterne magique en tant que média de masse en Belgique de 1830 à 1940.

Dans cette recherche en plein essor, il apparaît que les enjeux narratifs de la lanterne ont jusqu’ici été peu pris en compte, alors que ce dispositif combinant à la fois projection et défilement intentionnel de plaques soulève des questions cruciales touchant à la séquentialité narrative, au rôle de la performance dans la constitution du récit ou aux relations intermédiales pouvant se tisser entre les plaques et d’autres supports visuels. C’est pourquoi ce numéro des Cahiers de narratologievisera à interroger la lanterne magique dans la perspective d’une narratologie transmédiale selon trois axes complémentaires :

1. Les effets narratifs produits par les plaques elles-mêmes, en prêtant attention à la diversité des formats (plaques panoramiques, plaques montées avec d’autres…) et à leurs modalités d’agencements via un média dont la modalité de projection consiste avant tout en un défilement d’images.

2. L’aspect performatif du spectacle « lanterne magique » où les plaques sont projetées et mises en récit par un lanterniste qui accompagne ces plaques d’un discours verbal. Plus largement se pose aussi la question des effets narratifs provoqués par la projection à partir d’une plaque ou d’une série de plaques fixes. Comment la projection dynamise, met en relation, accentue, voire amenuise ou neutralise certains traits narratifs présents dans les plaques de départ ?

3. Les relations intermédiales que ces plaques de verre entretiennent avec d’autres médias ou séries culturelles comme les caricatures, les images d’Épinal ou la presse enfantine. On songe aux liens possibles avec la narrativité des « strips » de la bande dessinée et des histoires illustrées ou encore aux relations à explorer avec les « bandes » peintes/dessinées de Émile Reynaud à destination de son praxinoscope ou de son théâtre optique.

À travers ce numéro, notre ambition sera certes d’éclairer les enjeux narratifs du dispositif de la lanterne magique, mais aussi de tirer des enseignements plus larges concernant aussi bien la narration par images fixes que la spécificité de dispositifs narratifs se déployant selon un régime d’attention spécifique dans une culture visuelle connaissant au cours du XIXe siècle une reconfiguration profonde (Crary, 1999). Les pratiques et les dispositifs  particuliers de la lanterne magique, dans leur manière singulière de visiter narrativement des images sélectionnées,pourraient bien constituer un corpus de choix pour participer de façon originale et stimulante aux développements actuels des nouvelles narratologies.

Bibliographie indicative
  • Baroni, Raphaël. « Le récit dans l’image : séquence, intrigue et configuration ». Image & Narrative 12, n°1 (2011).
  • Crary, Jonathan. Suspensions of perception : attention, spectacle, and modern culture. Cambridge : MIT Press, 1999.
  • Dulac, Nicolas, et André Gaudreault. « La circularité et la répétitivité au coeur de l’attraction : les jouets optiques et l’émergence d’une nouvelle série culturelle ». 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, n°50 (décembre 2006): 29-52.
  • Egelmeers, Wouter, et Nelleke Teughels. « Egelmeers, Wouter and Teughels, Nelleke. ‘A thousand times more interesting’: introducing the optical lanternto the Belgian classroom, 1880-1920”. Journal for the History of Education. Forthcoming (2021). » Journal for the History of Education, paraître 2021.
  • Gaudreault, André. Cinéma et attraction : pour une nouvelle histoire du cinématographe. Paris : CNRS, 2008.
  • Gleizes, Delphine et Reynaud, Denis. Machines à voir. Pour une histoire du regard instrumenté (XVIIe-XIXe siècles). Lyon : Presses universitaires de Lyon, 2017.
  • Gunning, Tom. « The Cinema of Attraction(s): Early Film, Its Spectator and the Avant-garde ». In The Cinema of Attractions Reloaded, Wanda Strauven. Amsterdam : Amsterdam University Press, 2006.
  • Letourneux, Matthieu. Fictions à la chaîne. Littératures sérielles et culture médiatique. Paris : Editions du Seuil, 2017.
  • Mannoni, Laurent. « Plaque de verre ou celluloïd ? Lanterne magique et cinéma : la guerre d’Indépendance », in 1895, Revue d’histoire du cinéma, n° 7 (1990): 3-27.
  • Mannoni, Laurent. Lanterne magique et film peint : 400 ans de cinéma. Paris : La Martinière, 2009.
  • Mannoni, Laurent. Le grand art de la lumière et de l’ombre: archéologie du cinéma. Paris : Nathan, 1994.
  • Marion, Philippe, et André Gaudreault. « Émile Reynaud et ses « bandes dessinées », au carrefour des projections lumineuses, des images mouvementées et de l’image graphique », A paraître.
  • Marion, Philippe. « Les images racontent-elles ? Variations conclusives sur la narrativité iconique. » Recherches en communication, n° 8 (1997) : 129-48.
  • Parikka, Jussi. Qu’est-ce que l’archéologie des média ?, Grenoble : UGA, 2017.
  • Patron, Sylvie. Introduction à la narratologie postclassique: les nouvelles directions de la recherche sur le récit.Villeneuve-d’Ascq :Presses Universitaires du Septentrion, 2018.
  • Saint-Martin, Isabelle. Voir, savoir, croire. Catéchismes et pédagogie par l’image au XIXe siècle. Paris : Honoré Champion, 2003.
Modalités pratiques
  • Date de soumission des propositions : 1er février 2021
  • Annonce des résultats de la sélection des propositions : 26 février 2021
  • Soumission des textes complets à des fins d’évaluation : 15 septembre 2021
  • Publication des textes retenus par le comité de rédaction : juillet 2022

Les propositions de contribution (700 mots max.) devront être envoyées aux adresses suivantes :Sebastien.Fevry@uclouvain.be et Philippe.Marion@uclouvain.be

Les articles définitifs devront compter 10 à 20 feuillets (soit de 30 000 à 60 000 caractères environ).

Pour de plus amples informations sur la revue, consultez les numéros accessibles en ligne à l’adresse suivante:https://journals.openedition.org/narratologie/