Dave Lüthi, De l’Art déco au « style Zorro ». René Deléchat, un éclectique moderne

Grâce au fonds d’archives déposé par sa famille aux Archives de Montreux, la carrière de l’architecte René Deléchat peut être restituée et analysée. Cet architecte méconnu joue un rôle majeur sur la Riviera vaudoise durant près d’un demi-siècle, d’abord dans l’atelier de Charles Kalbfuss puis de manière indépendante. Formé à Paris, il manie en véritable éclectique des formes allant du néoclassicisme à la modernité en passant par l’Art déco. Sa production de villas montre un vocabulaire inspiré de l’Espagne et des contrées du sud, dénotant le goût de sa clientèle pour une architecture à la fois régionaliste et exotique. Au travers de la carrière de Déléchat, c’est un pan délaissé de l’architecture vaudoise du XXe siècle qui est révélé.

René Deléchat, villa du Clos de Collonges à Territet, 1937 (photo Dave Lüthi, 2021)

Alexandra Ecclesia, Les Souvenirs d’un architecte aux multiples facettes. Horace Edouard Davinet par lui-même

Figure clé de l’architecture bernoise et suisse du XIXe siècle, Horace Edouard Davinet (1839-1922) impressionne par ses multiples facettes. Formé au métier d’architecte à Berne auprès de son beau-frère Friedrich Studer (1817-1879), il ouvre un bureau avec lui en 1866 à Interlaken, station touristique en plein essor. Davinet s’affirme bientôt comme un spécialiste des grands hôtels dans les Alpes : il réalise l’hôtel Beau-Rivage à Interlaken (1873), l’hôtel Schreiber au Rigi Kulm (1875), l’hôtel Giessbach (1875, 1884) à Brienz, ou encore l’hôtel Sonnenberg à Seelisberg (1875). De retour à Berne en 1876, il se met à son propre compte avant de se lancer dans la planification et construction du quartier du Kirchenfeld. En 1891 finalement, il est nommé inspecteur du Musée des beaux-arts de la ville, un poste qu’il occupera pendant presque trente ans. En 1921, il met sur papiers ses Souvenirs de Mons. Ed. Davinet, né à Pont d’Ain (France) qui témoignent de la conscience que l’architecte a de lui-même. Conçu sous forme d’enquête monographique, cet article propose de mettre en lumière trois facettes de l’architecte à l’aune de son propre récit.

Vue photographique de 1910 du Grand Hôtel Schreiber à Rigi-Kulm, construit vers 1875 par Horace Edouard Davinet (ETH-Bibliothek, Zurich, Bildarchiv, Ans_07169) 

Kerralie Oeuvray, «Jules Clerc et la percée de l’architecture raisonnée. La recherche implacable de la ‘bonne combinaison’»

Architecte français doué de la Belle Époque, Jules Clerc (1844-1909), né à Mâcon et formé à l’École des Beaux-Arts de Lyon, s’installe dans la région montreusienne aux environs de 1879. Auteur d’un nombre restreint d’édifices, il est cependant salué par ses contemporains pour sa maîtrise de tous les aspects de la construction, son ouverture vers des matériaux et des styles nouveaux. La constitution d’un récit biographique se heurte toutefois à l’absence de sources concernant ses premières expériences professionnelles, après son départ de Lyon en 1871. Cependant Clerc, tout à la fois rédacteur et polémiste accompli, livre lui-même de nombreux indices à travers sa correspondance et l’élaboration de ses projets architecturaux. Se révèle alors un engagement clair vers une architecture envisagée comme un système de pensée raisonnée, de pratiques responsables et d’expression artistique. Les éléments-clés d’un récit biographique se mettent ainsi en place.

Le Kursaal de Montreux, vue face au lac, 1881 (AC Montreux, PP233-B-24, Fonds Silvio Nini)

Mona Joseph, Les villas urbaines de Louis Bezencenet à Lausanne au tournant du XXe siècle

Alors qu’il est architecte à Lausanne dès 1870, Louis Bezencenet (1843-1922) ne réalisera ses premières villas urbaines que dans les années 1890, avant de s’y consacrer principalement à partir de 1900. L’apparition de ce type de chantier prend place dans la dernière phase de sa carrière et incarne un mouvement plus global de changement de pratiques quant à la construction de logements urbains à Lausanne au tournant du siècle, marqué notamment par les problématiques de l’hygiène ou l’essor des transports.

Constituant une part moins étudiée de la carrière de Bezencenet, qui est surtout connu pour ses édifices publics mais moins pour son architecture privée, il s’agira de s’intéresser à une étude croisée du développement d’une typologie et de la manière dont s’en empare Bezencenet dans différents chantiers qui témoignent de la diversité de ses possibles.

Lausanne, route du Pavement 30 à 34, les villas « Mont-Tendre », Chasseron » et « Le Salève », façades ouest, fin d’après-midi hivernal (photo Mona Joseph, 2022)

Adrien Hürlimann, Charles Mauerhofer : un architecte lausannois oublié ?   

Cet article appréhende la carrière de Charles Mauerhofer, une figure importante de l’architecture de Lausanne de la fin du XIXe et du début du XXsiècle. Malgré le rôle essentiel que ce dernier joue dans le développement urbanistique de l’époque, l’architecte, d’origine bernoise, reste méconnu du grand public. Les raisons principales de ce désintérêt sont le manque d’informations concernant tant sa jeunesse que le début de sa carrière ainsi que l’inexistence de fonds d’archives liées à son bureau. C’est par l’étude de la généalogie familiale que certaines pistes de compréhension concernant sa formation et la structure de son bureau durant sa carrière sont abordées. Par l’investigation de son programme architectural et de sa place dans la société lausannoise, un certain profil d’architecte est ainsi mis en évidence. 

L’Hôtel Royal & Savoy à Lausanne, vers 1940 (ETH-Bibliothek Zurich, Bildarchiv, PK_012127)

Diego Maddalena, « L’Atelier des Architectes Associés (1961-1976). L’architecture entre la technique et le social »

Bureau parmi les plus grands de Suisse romande durant les années 1960-1970, l’Atelier des Architectes Associés (AAA) réunit une dizaine de mandataires au sein d’un groupement qui se veut non seulement compétitif, mais également collectif. Durant sa courte mais prolifique période d’activité, l’AAA développe des projets dans deux directions à première vue opposées : l’une tournée vers la technologie et l’innovation constructive, l’autre renouant avec des procédés plus traditionnels et cherchant à adresser les besoins sociaux des usager.ère.s. Dans les deux cas, néanmoins, le bureau aspire à participer à un certain progrès social en répondant de manière efficace et pertinente aux défis contemporains les plus urgents. Par son activité, l’AAA témoigne d’une approche idéologique particulièrement représentative des Trente Glorieuses.

Amphipôle
Collège propédeutique des sciences de l’Université de Lausanne (actuel Amphipôle), 1969-1970 (photo Jeremy Bierer).

Aline Jeandrevin, « Les tours du Valentin (1965-1976). Architecture brutaliste au centre de Lausanne »

À l’heure actuelle, de l’architecture des tours de l’ensemble du Valentin, il ne reste que la hauteur et la vue, sublime panorama sur la ville de Lausanne et le paysage lacustre. L’isolation périphérique a outrepassé les volumes, la trame dessinée par les parapets des balcons en béton ajourés a disparu, tandis que l’expressivité forte des carreaux de céramique murale orangée des halls et espaces de circulation communs a été brisée. Autant d’interventions lourdes qui annulent l’articulation du langage architectural et des matériaux d’origine, l’attitude brutaliste déployée au temps de la construction. La silhouette et l’ambition de cet ensemble urbain, n’en demeurent pas moins le témoin de l’élan qui a traversé les années 1960 et le début des années 1970. Une période qui plaçait la construction de tours d’habitation comme l’expression de la modernité en marche, teintée d’américanisme, à laquelle les conséquences du premier choc pétrolier de 1973 ont donné le coût d’arrêt.

Les tours du Valentin
Philippe Guyot, Les tours du Valentin, 1965-1976 (photo Régis Colombo, 2021).

Bruno Marchand, « Un patrimoine en première ligne. Notes sur l’architecture des années 1920-1975 dans le canton de Vaud »

L’architecture des années 1920-1975 dans le canton de Vaud reste incomprise et peu acceptée du grand public. On peut ainsi constater un déficit de reconnaissance dont l’origine est aussi fortement corrélée à la conviction, partagée depuis longtemps par certains critiques, que cette architecture est en deuxième ligne. Ce préjugé, particulièrement durable et déterminant pour la vision qu’on se fait de cette période, part du constat que la plupart des architectes de cette période ancrent leurs projets dans une culture académique et latine, démontrant leur « goût de l’ordre et de la symétrie axiale » dans des œuvres marquées par leur « élégance». Cet essai s’attache a contrario à identifier quelques coups d’audaces qui orienteraient l’architecture des années 1920-1975 en terres vaudoises vers une première ligne : l’américanisme et l’américanisation, l’industrialisation de la construction et, enfin, les écoles construites selon le CROCS.

Collège des Bergières
Marx Lévy, Bernard Vouga, collège des Bergières (1968-1975) (photo Jeremy Bierer, 2021)