En formation techno rose fluo

Par Timon Musy

Une critique sur le spectacle :

Hominal/Hominal / De Marie-Caroline et David Hominal / Arsenic / Du 29 mars au 02 avril 2023 / Plus d’infos.

© Annie Wetter

Marie-Caroline Hominal et son frère David Hominal développent de concert un espace qui exhibe les processus de créations artistiques. Le corps de la danseuse confronte l’acharnement et la méticulosité des exercices de formation du geste dansé avec l’artificialité de sa mise en œuvre lors de ses représentations publiques.

Marie-Caroline Hominal est une habituée des performances qui travaillent les thématiques du corps et de ses transformations. Dans la suite de ses collaborations « Hominal/XXX », elle se produit cette fois avec son frère, le peintre David Hominal, l’auteur des gigantesques planches peintes qui trônent en fond de scène et qui couvrent le sol. Lui ne se montre jamais, mais ce sont ses peintures, abstraites aux tons roses, qui font office de décors, de surfaces où se projettent ombres et lumières, et ce sont elles surtout qui cadrent l’espace de jeu, dont la tridimensionnalité est renforcée par une forme en losange. Le corps de la performeuse interagit avec cet espace et y développe sa gestuelle.

Celle-ci donne à craindre tout d’abord, tant elle est lente et mécanique, sans rythme et effectuée dans un silence total. Il ne faut cependant pas attendre longtemps pour voir dans cette corporalité calme et tendue toute une réflexion en pratique sur l’utilisation du corps de la danseuse. La répétition des gestes en fait comme des unités modulables et déplaçables. Ce sont ces instants de pratique lente et concentrée qui forment le squelette du spectacle et qui en constituent la plus grande partie, le silence étant parfois rompu par des bruits d’orages. À de rares occasions, ces gestes cèdent place à une danse sous des lumières stroboscopiques ou sur de la musique techno. C’est bien le corps qui est au centre de l’attention, car c’est lui qui porte le sens du spectacle en tant qu’il se prépare et s’entraîne à la vue de tous·tes.

La répétitivité monotone, loin de représenter un travers malheureux d’une performance trop déliée, se revendique constamment comme le cœur battant de l’enjeu du travail performatif. Le processus de répétition des mouvements témoigne de la recherche de l’excellence physique. Le corps, pour approcher la perfection, doit être façonné, modelé, mécanisé même, pour ensuite seulement s’élancer dans une démonstration chorégraphique devant un public. Un double jeu complexe met en lumière à la fois ce travail de perfectionnement corporel et le processus même de sa préparation en vue d’une performance devant un public. Les courts instants durant lesquels Marie-Caroline Hominal prend des micros – deux micros dans lesquels elle parle en alternance – créent un dialogue à deux voix qui interroge précisément la marche à suivre pour réaliser une performance sur le travail d’entraînement du corps, de sa formation et de son expérimentation.

Cependant le spectacle n’idéalise pas ce travail corporel, et semble même prendre un recul presque cynique face à celui-ci. Les poses tout en contrôle du début, et leurs ombres, sculptées et splendides, projetées sur les parois montrent l’excellence du geste en pratique et créent une imagerie noble du processus, évoquant les poses de danse classique. Lors des intermèdes, stroboscopiques et musicaux, évoquant d’autres types de performances, tout change. Sous les lumières stroboscopiques, il est presque impossible de décomposer et d’identifier précisément la chorégraphie, et la danseuse s’entoure d’un foulard qui dilate et brouille ses formes. La partie musicale techno connote tout un univers de vie nocturne, où une nouvelle chorégraphie issue d’un univers de strip-tease dissimule la technicité de la danseuse. Comme pour souligner le caractère factice de ces numéros, jamais Hominal n’y oriente son corps et son regard en direction de celui des spectateur·ice·s, mais toujours en direction des deux projecteurs au sol, les mêmes qui permettent la projection des ombres sur les parois. La multiplication des gestes liés au monde de la mode et du mannequinat fait de ces sources lumineuses des équivalents d’observateur·ice·s qui suggèrent un regard alternatif auquel s’offrirait cette performance du paraître. L’artificialité de la démonstration s’affiche en contraste avec le travail du corps à l’entraînement qui ne semble pas récompensé.

Hominal/Hominal est un corps à regarder et qui, en voulant feindre l’imperfection de sa gestuelle et de sa chorégraphie, en prouve dans le même temps sa totale maîtrise. La pénibilité du travail montré, les tremblements et les chutes à répétition, renvoient le public au travail qui a dû être nécessaire à la préparation de la performance. La plasticité paradoxale du corps, à la fois parfaite et en progrès, cache et dévoile en même temps au public son excellence, dans une démarche d’une ironie folle. Tous les gestes, y compris ceux du peintre qui propose des formes brutales et abstraites, semblent prétendre ne pas être entièrement accomplis. On y reconnaît d’autant mieux la rencontre de deux arts longuement mûris, présentés dans une vibration commune et avec une élégance rare.