Dans l’intimité de la fin de vie

Par Sylvain Grangier

Une critique sur le spectacle :

Une mort dans la famille / Écrit et mis en scène par Alexander Zeldin / Comédie de Genève / du 31 mars au 6 avril 2023 / Plus d’infos.

© Simon Gosselin

Après le succès l’an dernier de LOVE, Alexander Zeldin revient à la Comédie de Genève avec Une mort dans la famille. Ce spectacle raconte avec une tendresse puissante et un réalisme à couper le souffle le déclin d’une femme âgée, interprétée brillamment par Marie Christine Barrault.

On entre dans l’intimité d’une famille, celle d’Alice, de ses deux enfants et de leur grand-mère de 84 ans, Marguerite, au crépuscule de sa vie : elle doit entrer en maison de retraite. L’ombre de la mort revient hanter la maison, une année après le décès du père. Entre le déni du fils, la fille qui cherche du réconfort dans la nourriture et les non-dits de la mère, toutes les difficultés taboues liées à la mort nous sont présentées avec une justesse à toute épreuve.

A l’origine du spectacle, il y a l’expérience vécue par Alexandre Zeldin, racontée dans la feuille de salle : «Je suis revenu sur un moment particulier de ma de ma vie : quand j’avais 15 ans, mon père est mort, et un an plus tard, ma grand-mère, qui habitait avec nous, a été mise en maison de retraite». Un ancrage dans le réel qui colore les éléments du spectacle. Le décor, en premier lieu, tantôt salon de la famille, tantôt réfectoire, puis chambre d’EMS (ou EHPAD en France). La minutie dans le choix des meubles et des accessoires est sans faille, et ce jusque dans les moindres détails : cela va du paquet de chips qui traîne sur la table du salon aux fauteuils du réfectoire, en passant par le choix des verres et des théières. Les changements de décor sont d’ailleurs impressionnants : effectués dans un noir total, avec une musique angoissante, ils produisent un choc quand la lumière revient : on est face à une pièce entièrement différente. On comprendra en toute fin de représentation qu’il s’agit d’un plateau tournant, mais bien des manipulations supplémentaires sont nécessaires pour parfaire la mise en place, et cela force le respect.

Ce qui force le respect aussi, c’est tout l’effet de réel des scènes à la maison de retraite. Pour avoir travaillé six mois en EMS, je ne peux qu’en saluer la fidélité. Au point qu’on croirait retrouver d’authentiques résident.e.s. Le phénomène est d’autant plus impressionnant que, dans le spectacle, ces dernier.ère.s sont joué.e.s par des comédien.ne.s amateur.rice.s, renforçant encore l’effet de réel. Tous les moments de vie de ce genre d’établissement sont aussi fidèlement retranscrits, les repas, les animations. Le meilleur exemple est une scène de toilette effectuée au lit, longue et muette, si vraie et touchante. Ce genre de micro-actions, nombreuses, quotidiennes, sont magnifiées sur la scène, acquièrent une beauté presque solennelle.

On est ainsi amené au plus près des problématiques qu’on rencontre en EMS : la médication, les relations parfois tendues avec les familles, la démence et, bien sûr, la mort. On y est littéralement amené au plus près, certain.e.s spectateur.ice.s étant installé.e.s sur le plateau même. Si le quatrième mur n’est jamais véritablement rompu, les frontières des espaces entre la scène et la salle sont perméables. Par exemple, lorsqu’une résidente décède, elle vient s’asseoir dans l’un des fauteuils destinés au public, sur le plateau. Plus tard, une autre va s’installer dans les gradins. Puis vient le tour de Marguerite de quitter le plateau pour trouver un siège parmi les spectateur.ice.s. A cet instant du spectacle, sa famille continue de lui parler, comme si elle était toujours dans son lit. Mais le lit est vide, on comprend alors que la vie l’a quittée, et l’émotion monte. La présence de ces «fantômes» prend encore une dimension supplémentaire lorsqu’à la toute fin de la pièce, le père disparu monte sur le plateau, auprès de son fils qui rejoue du piano pour la première fois depuis longtemps. Comme s’il recommençait à vivre.

Et nous aussi, public, semblons alors recommencer à vivre. Et c’est là une force du spectacle qui, paradoxalement, apparaît finalement comme un appel à la vie. Avec tout ce que celle-ci comporte de fragile, de vulnérable, de tendre, de drôle aussi – car la pièce n’est pas dépourvue d’humour. Une mort dans la famille, magnifique et bouleversante.