Une famille qui pourrait être la nôtre

Par Noémie Jeannet

Une critique sur le spectacle :

Oncle Vania / Production Cie OC & CO / Coproduction Théâtre Actuel et Public de Strasbourg (TAPS) / d’après Anton Tchekhov / Adaptation et mise en scène par Olivier Chapelet / Théâtre des Osses, Fribourg / du 1er au 10 avril 2022 / Plus d’infos.

© Benoit Linder

La mise en scène d’Oncle Vania par Olivier Chapelet crée un lien fort et intime entre personnages et spectateurs. Les monologues remplis de sincérité sont adressés directement au public qui a sans arrêt un œil sur les comédiens, le hors-scène étant à vue. On se laisse aisément porter dans l’univers d’une famille russe du XIXe siècle en s’identifiant à l’un ou l’autre des personnages.

S’attaquer à un monument du théâtre occidental du XXe siècle qu’est Oncle Vania ne paraît pas tâche facile au premier abord. Olivier Chapelet n’a pas eu peur de ce défi de taille. En tant que grand admirateur d’Anton Tchekhov, ce strasbourgeois a vécu ce projet comme une expérience excitante.

Le professeur Sérébiakov et sa jeune et belle femme Elena retournent sur le domaine familial à la campagne. Ils retrouvent là-bas Sonia, la fille de Sérébiakov, son oncle Ivan, qu’elle appelle Oncle Vania, ainsi que la nounou et un propriétaire terrien ruiné qui vit aux crochets des deux premiers. Leur tranquillité se trouve perturbée par l’arrivée de ce professeur, désagréable et susceptible, et de sa femme séduisante mais ennuyée par absolument tout. Les tensions entre les différents personnages se font vite ressentir, en particulier entre Vania et le professeur. De plus, l’amour non partagé vécu par certains personnages donne à cette histoire une dimension universelle qui touche tout le monde. Vania est amoureux d’Elena, mais celle-ci préfère le médecin de la région, Astrov. Sonia, quant à elle, éprouve un amour sensible pour ce dernier alors qu’il ne la considère que comme une amie. Finalement, un conflit éclate entre Vania et le professeur. Ce dernier veut vendre le domaine, Vania refuse et s’en prend à lui en lui tirant dessus avec un pistolet. Après ce moment de tumulte, Sérébiakov et Elena décident de quitter la demeure. Leur place n’est plus ici. Ils laissent derrière eux des personnages dépités, qui doivent réapprendre à vivre sans avoir pu réaliser l’histoire d’amour dont ils ont rêvé et qui peut-être les aurait rendus heureux et épanouis.

Sur scène, un décor simple mais efficace est installé. Une table, un piano et quelques chaises en bois. Le thé est servi sur la table au premier acte dans une vaisselle ancienne. Puis, dans le deuxième acte, Sonia sert du fromage au médecin Astrov. Tout paraît modeste et rudimentaire, évoquant la réalité rurale de la campagne russe du XIXe siècle. A chaque acte, le décor change. Les comédiens s’occupent de ce changement. Un morceau de piano, différent à chaque fois, accompagne leurs mouvements fluides et précis. Ils déplacent les différents éléments du plateau mais soulèvent également à la verticale des planches de bois du sol pour créer de la profondeur dans l’espace scénique. Cet ajout de murs fictifs ainsi que les déplacements de meubles aident le public à imaginer chaque acte dans une nouvelle pièce de la maison. Les personnages hors scène sont quant à eux alignés, assis sur des chaises sur scène, côté cour ou côté jardin. Les spectateurs les aperçoivent juste après qu’ils sont sortis de scène ou avant leur entrée. Les bruitages tels que les gouttes qui tombent sur les vitres, les coups de tonnerre, les grillons pendant la journée, un aboiement de chien au loin ou encore le tic-tac d’une vieille horloge, permettent au public de se projeter dans cet univers tchekhovien.

Le parti pris d’Olivier Chapelet de laisser le public avoir un regard constant sur ses comédiens n’est pas nouveau. Parmi d’autres, Ostermeier avait également utilisé ce dispositif pour une autre pièce de Tchekhov, La Mouette, dans une mise en scène créée à Vidy, en 2016. Cette démarche permet de se sentir aussi proche des personnages que des comédiens, permettant de les voir se fondre d’un état à l’autre. Les personnages vivent des situations de vie qui résonnent en chacun de nous. Les comédiens sont les porteurs de cette résonnance à notre époque et poussent le public à se sentir d’autant plus concerné par ces problématiques familiales. Renforçant encore ce lien d’intimité entre personnages et public, les trois monologues du spectacle – ceux de Sonia, Vania et Elena – sont directement adressés au public : l’impression que l’histoire nous est racontée à nous, particulièrement, amène à mesurer à quel point les histoires de famille ne sont finalement pas si différentes les unes des autres.