Pour un théâtre à deux vélos

Par Brian Aubert

Une critique sur le spectacle :

Pièce pour les vivant·e·x·s en temps d’extinction / Texte de Miranda Rose Hall / Mise en scène par Katie Mitchell / Théâtre de Vidy – Lausanne / du 25 septembre au 3 octobre 2021 / Plus d’infos.

©Théâtre de Vidy

À l’aube de la fin du monde, pour prétendre sauver la planète, il faut parler du réchauffement climatique, mais aussi créer des propositions artistiques pour un théâtre durable. Allier le discours à la création est l’objectif qu’annonce Une pièce pour les vivant.e.x.s en temps d’extinction. Le spectacle tente, dans cette perspective, de sensibiliser le public à la crise climatique à travers la mise en scène d’un monologue éco-féministe.

Le principe du spectacle de la metteuse en scène britannique Katie Mitchell est simple : créer une forme de théâtre neutre en émission de carbone. Le matériel utilisé pour la scénographie provient d’institutions romandes, tout comme la comédienne et les régisseurs, ainsi que les costumes, sortis tout droit du local du Théâtre de Vidy. Sur scène, deux cyclistes pédalent afin de fournir l’énergie consommée par le spectacle pour le son (le micro et la musique) et la lumière, déclenchés par les quatre régisseurs présents sur la scène. C’est dans ce dispositif tout à fait singulier que la comédienne Safi Martin Yé déclame le monologue éco-féministe de la dramaturge américaine Miranda Rose Hall. Voilà le pari de la metteuse en scène, qui – pour réduire son empreinte carbone – a élaboré le projet avec l’équipe de Vidy via la plateforme Zoom (reste-t-elle une bonne proposition écologique ?). 

Le public est face à la comédienne, qui se trouve debout au milieu de la scène, incarnant un personnage qui joue aisément avec les modes opératoires de l’improvisation, du stand-up et de la conférence, en passant d’un ton léger, amusant, à un ton plus grave et sérieux. Tout au long du spectacle, le personnage incarné par Safi Martin Yé réussit à nous embarquer dans l’histoire de la création de la Terre, du Big Bang jusqu’à nos jours. Un jeu sensible et poignant doté d’une prétention didactique et accompagné d’invitations directes pour impliquer les spectateurs, mis en lumière dans la salle de temps à autres grâce aux 100 Watts produits par les cyclistes. Où se situe le spectateur par rapport au discours de la pièce ? Il est le « vivant.e.x.s en temps d’extinction ». Cela devrait lui faire peur, car il est, comme le dit le personnage, le bourreau et la victime de la sixième extinction de masse. Suffit-il de le dire pour nous faire agir, nous faire participer à la lutte contre le changement climatique ?

La force de la proposition artistique ne se trouve pas entièrement dans le jeu ni dans le discours, mais davantage dans le medium créé. Cela fait une heure que le personnage parle ou montre des diapositives d’animaux en voie d’extinction accompagnées de sonorités atmosphériques hypnotiques. Mais cela fait aussi une heure que les cyclistes pédalent et que le bruit des roues s’installe comme bruit de fond. Et cela fait une heure également que la comédienne s’exprime pour donner vie au monologue, grâce à l’énergie fournie par les deux cyclistes. Sans eux, il n’y a pas de spectacle. Tandis que le public, lui, est la plupart du temps, dans le noir, non pas créateur mais récepteur, comme si sa participation ponctuelle était davantage sollicitée plus pour le maintenir éveillé que pour éveiller véritablement sa conscience écologique. De fait, face à un public lausannois sensible à la crise écologique, le texte de Miranda Rose Hall n’apporte pas forcément de nouveaux éléments de réflexion.

Mais il y a bien une urgence qui se fait sentir dans la création d’une machinerie cyclique qui investit l’espace de manière si gracieuse. Les véritables innovateurs, dans cette lutte universelle pour sauver la planète, ce sont les scientifiques et l’équipe technique qui ont mis au point un dispositif scénique unique avec laquelle the show can go on, même en temps de blackout planétaire. Si le but de ce spectacle était de nous pousser à agir, alors il nous inviterait à investir dans ces deux vélos de l’avenir. Ce spectacle, qui partira en tournée dans plusieurs pays avec à chaque fois une équipe locale différente, nous montre qu’il y aura vie, et théâtre, tant que les êtres vivant.e.x.s entendront l’écho des roues qui tournent.