Attentes latentes

Par Charlyne Genoud

Une critique sur le spectacle :
HERE AND NOW / Création et mise en scène de Trân Tran / TLH – Sierre / du 8 au 10 octobre 2020 / Plus d’infos

© Yann Bétant

HERE & NOW demande à son public de répondre à une question essentielle : « Pourquoi êtes-vous venu·e au théâtre aujourd’hui ? » En choisissant parmi des réponses affichées à l’écran à la manière d’un jeu télévisé, le·la spectateur·trice détermine le spectacle qui va suivre. Très dynamique, Trân Tran a plus d’un tour dans son sac – ou plus d’un accessoire dans les boîtes en carton qui bordent la scène – pour répondre aux attentes de son public. Mais au-delà de son aspect ludique et de son concept original, le spectacle thématise aussi la dimension fédératrice de la culture.

Dur de savoir ce qui constitue le début de HERE & NOW. Une fois le public (restreint) installé dans les rangs du théâtre des Halles de Sierre, aucun changement d’éclairage ne nous en indique le commencement. La conceptrice et comédienne Trân Tran entre en scène discrètement, suivie d’un personnage incarnant son ombre, comme si elles se promenaient là, par hasard, avec pour bruit de fond les conversations des spectateur·trice·s n’ayant pas encore compris que la machine de HERE & NOW était déjà en marche. Ce n’est que plus tard que l’on réalise que la pièce n’a pas de frontières strictes. Le spectacle a en effet commencé en passant le pas de la porte du théâtre, ou peut-être avant, sur la route menant à Sierre, voire même au moment de la réservation du billet. Car ce que HERE & NOW thématise, c’est ce qui nous mène vers les planches, ce que nous en attendons, ce que nous y cherchons, pour finalement dérouter nos expectatives par un coup de théâtre.

Dans la variété des réponses projetées à l’écran, après une introduction qui pose les bases du jeu qui va suivre, chacun trouvera son bonheur puisqu’il est même autorisé – voire recommandé – par Trân Tran de crier haut et fort des réponses comme « parce que j’y étais obligé·e » ou « pour du sexe ». Laissant la place à l’individualité de chacun, la multitude de réponses proposées à l’écran, que choisissent tour à tour de clamer des membres du public, vient finalement soulever un paradoxe : va-t-on au théâtre et se mêler à une foule pour se reconnaître ? Pour se retrouver dans des réponses anticipées sur un écran au fond de la salle ? Le concept introduit ainsi un questionnement sur la place de l’individu au milieu d’une assistance. Dans ce projet qui dédie sa première partie à nos attentes, on est alors fort supris·e du détournement opéré en fin de spectacle. Les trois interprètes de la compagnie lausannoise du Toast ont en effet décidé de faire passer un message tout autre dans les dernières minutes de représentation. Alors que nous avions cru pouvoir succomber à nos caprices et « avoir le contrôle » – à l’image de l’une des réponses possibles du jeu télévisé que la pièce met en scène – le dispositif sert finalement à nous faire réfléchir à la raison d’être de la culture. Le coup de théâtre est bien là : le jeu télévisé se démantèle petit à petit pour laisser la place à un discours autrement plus sérieux et moins attendu.

A posteriori, les prémices de cette chute peuvent se percevoir tout au long du spectacle. On les repère notamment dans un jeu sur l’ambiguïté du statut de Trân Tran, qui semble s’interpréter elle-même, en tant que comédienne. Dès le début, elle précise la prononciation de son prénom et se présente par des vidéos humoristiques. Son investissement force celui de son public et la place qui est laissée à son identité « réelle » fait écho à celle que la pièce offre aux spectateur·trice·s. Sur la base de cette égalité entre la scène et la salle – comme le suggère d’ailleurs l’éclairage identique de ces deux zones – l’accent semble être mis sur l’union de ces deux entités. Dès lors, la performance apparaît comme le moyen de reconnaître le moment présent, où public et artistes se rencontrent. Le titre correspond ainsi parfaitement à cette création qui accroche ses spectateur·trice·s du début à la fin : HERE & NOW requiert toute leur attention et leur interdit la passivité.

Conduit·e·s à s’investir dans le spectacle comme s’ils ou elles avaient été debout à la place des trois comédiennes, les spectateur·trice·s auront besoin d’un peu de recul pour saisir toute la profondeur d’une pièce qui semble à première vue relever du seul comique. Une fois passé l’« ici et maintenant », la question initiale posée par HERE & NOW paraît trouver sa réponse dans une vision très nette de la culture : sa dimension unificatrice. La fin inattendue de la pièce fait donc converger toutes les réponses possibles vers un dénouement très tendre.