On va tout dallasser Pamela

Par Lou Golaz (étudiante à La Manufacture)

Une critique sur la captation du spectacle :
On va tout dallasser Pamela / Texte et mise en scène de Marielle Pinsard / Captation vidéo : Matthieu Moerlen (Mr Jadis, Maison de production), Disponible sur Viméo, URL : https://vimeo.com/198837568/05e9ed2d60

© Samuel Rubio

Avec On va tout dallasser Pamela, l’auteure et metteure en scène Marielle Pinsard propose un spectacle déjanté et haut en couleur sur la drague « à l’africaine ». Ce n’est pas la première fois qu’elle s’attache à confronter les deux cultures occidentales et africaines, avec un ton humoristique, tranchant, parfois cynique, plaçant l’audience face à ses préjugés et à sa bonne conscience. La création eut lieu en 2016 au Théâtre de Vidy à Lausanne et le spectacle tourna ensuite au Théâtre Saint-Gervais de Genève ainsi qu’au Théâtre du Tarmac à Paris (co-producteurs du spectacle avec Vidy). La captation a été tournée au Tarmac, au mois de décembre 2016.

Le désir de créer ce spectacle est né en 2007 au cours d’un voyage effectué par Marielle Pinsard au Burkina Fasso dans le but de monter un projet autour de « l’homme et la bête ». Comme elle ne manque pas de se faire draguer à cette occasion, elle s’intéresse instantanément à la franchise du langage et des méthodes d’approche. Pour composer l’équipe de On va tout dallasser Pamela, Marielle Pinsard s’est plus tard rendue au Bénin, au Cameroun, en Côte d’Ivoire…. Elle rassemble ainsi deux comédiennes et quatre comédiens africains, un DJ belge et une danseuse suisse allemande, qui vont tous contribuer, par leurs improvisations, à l’écriture du spectacle. Celui-ci se présente comme une œuvre collective composé de séquences de témoignages, de danses, de chœurs et de musiques.

La scénographie est dominée par une immense tête de singe, noire et brillante, cubiste et high-tech ; elle a des yeux rouges lumineux et une gueule qui parfois s’ouvre au gré de la musique. À son sommet, DJ Fessé le Singe est perché avec ses platines. Des standers sont placés à jardin et à cour, très utilisés car les comédien·ne·s ne cessent de se changer pour arborer toutes sortes de costumes colorés et « clichés ». La tête de singe monumentale est placée au lointain, offrant une large place aux performances. Le spectacle est en effet découpé en séquences qui mettent chacune à l’honneur un·e comédien·ne qui se présente, raconte une anecdote personnelle, transmet un vocabulaire de façon didactique, décrit des pratiques. En ouverture, DJ Fessé le Singe, en peignoir rouge, chapka de fourrure et Adidas, dans une chorégraphie savante, se fait mettre des claques aux fesses. Chamané, de Marseille, parle ensuite de broutage (l’arnaque sur le net) ; Tichou le duc du Nouchi (la langue de la drague dans les rues d’Abidjan) ; Carol des jeux de regard et des attributs vestimentaires. Les transitions musicales entre les séquences sont particulièrement soignées, si bien que la tension et l’attention ne retombent pas. L’atmosphère joyeuse et solaire du début change avec la séquence, plus angoissante, de Nina, la comédienne suisse allemande. Le spectacle s’aventure alors sur les terrains délicats du métissage, du mariage mixte et des aprioris culturels. Le foisonnement et l’explosivité du début sont toujours là, mais la violence sous-jacente à la drague se déploie : dégradation de la femme, racisme, manipulation, viol. Le spectacle commence à tanguer entre atmosphère détendue et constat dérangeant sur l’état des relations hommes-femmes, Occidentaux-Africains. Sur un rythme irréprochable, Marielle Pinsard construit le portrait fragmenté d’une Afrique qui drague, qui « broute », qui viole, qui entourloupe, le tout avec une inventivité et une classe sans pareille et sur fond de guerre et de dette coloniale.

Dans le tableau final, il y a trop de costumes, trop de sons, trop de lumières, trop de mouvements, trop d’effets ! C’est l’enlisement de la machine même du spectacle et de son esthétique. Dans un climax interminable qui confine à l’insupportable, la silhouette de Carol, en robe traditionnelle et coiffe d’escrime, pieds nus, erre au lointain. Elle traverse le plateau avec lenteur, contraignant progressivement la musique à s’atténuer ; toute la distribution est attirée à sa suite dans une sorte de procession alors que monte la sublime chanson « Strange Fruit » chantée par Nina Simone. Cette fin transporte toute l’effusion accumulée au travers du spectacle dans la déchirante beauté de cette chanson emblématique du combat pour la défense des droits civiques dans les années 1960. Par sa puissance dénuée de tout artifice, cette voix donne du sens à toutes les séquences précédentes et termine un spectacle effervescent dans la douleur et le calme.