Les Palmiers sauvages

Les Palmiers sauvages

D’après William Faulkner / mise en scène Séverine Chavrier / du 25 septembre au 12 octobre 2014 / Théâtre Vidy Lausanne / Critiques par Deborah Strebel, Lisa Tagliabue, Noémie Desarzens, Maëlle Andrey, Nicolas Joray, Maryke Oosterhoff et Jehanne Denogent.


25 septembre 2014

Les éclairs de la passion

Copyright : Samuel Rubio

Les Palmiers sauvages racontent une passion destructrice, de l’idylle naissante à la complète déchéance. Particulièrement dense, saturée de vidéos et autres effets sonores, cette adaptation d’un roman de Faulkner s’inscrit dans une étouffante, assourdissante et aveuglante logique de l’excès.

La lumière s’allume et donne à voir une scène particulièrement encombrée. Des chaises empilées ici, des boîtes de conserves et des caisses entreposées là, des couchettes alignées les unes à côté des autres, ainsi que de multiples lampes inondent l’espace, créant ainsi un étouffant fouillis. Ce décor surchargé aux allures de brocante se muera, comme dans le roman, en plusieurs lieux difficilement identifiables et accueillera les tourments d’un couple, celui de Charlotte Rittenmeyer et Harry Wilbourne.

Séverine Chavrier a choisi de développer l’un des fils narratifs du roman Les Palmiers sauvages du prix Nobel de littérature, William Faulkner. Dans ce texte, écrit en 1938, deux histoires s’entrecroisent : l’une raconte comment un détenu lutte contre les intempéries pour sauver une femme enceinte, l’autre décrit la relation tumultueuse, des prémisses à l’autodestruction, entre un étudiant en médecine et une femme mariée. C’est donc autour de ce second récit que la metteure en scène, philosophe et musicienne a choisi de travailler. Prenant comme point de départ, les « moments de lucidité » des deux personnages, elle a ensuite collaboré étroitement avec les acteurs dans l’espoir d’inventer une langue qui serait propre aux deux amants. En résulte un mode de communication particulièrement tactile et varié mélangeant les cris et les murmures.

Ces nombreux échanges sont parasités par de multiples interruptions dont de violents et éblouissants éclairs retentissant à de brefs intervalles ainsi que des morceaux de musique alternant hard rock et mélodies plus douces. Si parfois, le son comble les vides des dialogues, il arrive aussi qu’il accompagne les discussions. Il est vrai que le spectacle emploie simultanément divers moyens techniques en faisant appel tantôt aux projections tantôt à la musique. Ainsi, à l’encombrement de l’espace scénique s’ajoute une surabondance d’informations délivrées soit successivement soit conjointement par le jeu sur scène, par les vidéos et à travers les bruits.

Au sein d’un tel chaos, le spectateur est plongé dans l’intimité d’un couple. La majorité du temps nus, les amoureux sont dans leur lit. Lieu où apparaissent et où se terminent la plupart des histoires d’amour, le lit est ici décliné sous toutes ses formes, qu’il se trouve à une place précise ou qu’il s’étale sur une grande partie de la scène par des matelas mis bout à bout. La sensualité est par conséquent mise à l’honneur, Charlotte et Harry ne quittant que rarement ce charmant cocon. Néanmoins, le temps passe et leurs sentiments s’effritent. La passion folle et fusionnelle des débuts cède sa place à la pure déchéance tel un feu qui après s’être rapidement enflammé, s’éteint. Les innocentes galipettes se prolongent en intenses ébats pour aboutir ensuite à un avortement. De l’attraction à la répulsion, cette adaptation des Palmiers sauvages se focalise donc sur un amour et son improbabilité, thématique déjà abordée par Séverine Chavrier lors de projets antérieurs tels que « Epousailles et représailles » en 2010 ou encore « Série B », l’année suivante.

Bruyant, agité et aux tonalités trash, ce spectacle décliné en divers chapitres accumule les effets jusqu’à en assourdir, éblouir voire aveugler le public. Troublante expérience, à tenter pour les plus aguerris au Théâtre de Vidy.

25 septembre 2014


25 septembre 2014

Le drame de l’excessivité

Copyright : Samuel Rubio

Les Palmiers sauvages de Séverine Chavrier est une expérience d’expressivité théâtrale qui mélange à la fois la performance, le texte, la musique et la vidéo. Séverine Chavrier, à partir d’un roman de l’américain William Faulkner, met en scène un drame où les extrêmes et le too much sont les vrais protagonistes.

Dès les premières scènes on s’aperçoit que Les Palmiers sauvages n’est pas une adaptation classique et fidèle du texte de Faulkner. Bien sûr, il y a Harry et Charlotte : lui, trente-trois ans, un travail comme interne dans un hôpital et aucune idée de ce qu’est l’Amour. Elle, jeune femme, mère et épouse, qui a peut-être connu trop tôt l’amour et le sexe. Ils se rencontrent, ils s’aiment, d’un amour fou, sauvage. Ils quittent tout et tous. Ils partent vers d’autres lieux, des lieux où personne ne les connaît, où ils peuvent vivre sans devoir s’expliquer. Un amour dont tout le monde rêve, mais que peu de personnes rencontrent. Et après tout cela, le drame. Une tragédie qui porte le nom de grossesse. Un enfant, qui aurait pu être le symbole de l’amour, de l’union entre deux personnes, devient le symbole de la haine, de la crise pour Harry et Charlotte, et va les conduire d’un côté à l’enfermement et de l’autre à la mort.

Le spectacle, pensé et mis en scène par la jeune française Séverine Chavrier, est avant tout une expérimentation et une expérience d’expression artistique. Il y a les jeux de lumières, qui le plus souvent prennent la forme d’une absence totale de lumière. Les va-et-vient de l’éclairage, les moments de noir dans lesquels la salle est plongée, sont si nombreux qu’on s’habitue presque à voir dans l’obscurité. On arrive presque à saisir les déplacements rapides des acteurs entre un flash et un autre. La lumière donne aussi un caractère aux discours de Charlotte et de son amant. Elle arrive à faire vivre un texte que parfois on perçoit comme absent, effacé par la musique. Cette dernière, par moments douce et calme, d’autres fois forte et piquante comme une lame de métal, accentue l’expression des sentiments des personnages, leurs cris d’amours, mais pas suffisamment toutefois pour atteindre entièrement ce but. La vidéo est aussi une partie intégrante de la mise en scène de Chavrier. Sur le fond de la scène, un écran projette des images, des vidéos prises en direct du spectacle ou tournées à l’extérieur de la salle : un spectacle dans le spectacle. Un nombre considérable d’objets et de mobilier viennent faire cadre au tout. Matelas (au moins une douzaine), lits, chaises empilées qui donnent l’impression d’un imposant château de cartes précaire, des palettes industrielles sur lesquelles un dizaine de caisses de bières sont posées. Et encore une immense étagère remplie de manière exagérée d’énormes boîtes de conserve, et bien plus.

Où sont Harry et Charlotte au milieu de tout cela ? Où est donc l’histoire d’amour, le désespoir de ces deux amants ? Le jeu des acteurs rappelle davantage une performance dans laquelle l’importance est donnée à la présence physique plus qu’au récit. Pendant tout le spectacle, les deux jeunes acteurs sautent, dansent, bougent, déplacent les objets. Leurs mouvements ont le dessus sur leurs voix. Au milieu de cette imposante mise en scène, ces deux acteurs se perdent, ils deviennent une partie de la scénographie et du reste. L’impression qui en dérive est celle d’un spectacle où l’histoire d’amour de Charlotte et d’Harry, leur drame, leur descente aux enfers, n’est plus qu’une simple et banale histoire dans l’océan d’éléments présents. On n’arrive pas à lire entre tous ces éléments. On se sent perdus, phagocytés par cette immense mise en scène. La pièce se transforme en spectacle total, mais qui n’arrive malheureusement pas à communiquer sa force au public. Pourquoi avoir choisi un roman d’un prix Nobel, si l’histoire n’est ici qu’un prétexte ?

25 septembre 2014


25 septembre 2014

Dire par l’émotion : quand les mots ne parlent pas

Copyright : Samuel Rubio

A travers la lente « descente aux enfers » d’un couple dépeinte dans Les Palmiers sauvages, inspiré d’un roman de William Faulkner, Séverine Chavrier réussit à substituer le langage sensoriel au langage verbal – au risque de rendre l’histoire quelque peu incompréhensible pour ceux qui la chercheraient.

L’obscurité règne et des bruits de basse font vibrer la salle. Une voix chuchote dans un micro. Des flashs de lumière dévoilent par à-coups l’intimité d’un couple. L’importance des sens est mise en exergue dès les premières minutes des Palmiers sauvages. Cette adaptation de Faulkner se focalise sur les sensations que peuvent procurer des médias tels que l’éclairage et le son, pour mieux plonger le spectateur dans l’intimité de ce couple en quête d’évasion.

La mise en scène de Séverine Chavrier s’inspire de l’univers que William Faulkner dépeint dans son roman Les Palmiers sauvages, paru en 1939, composé de deux nouvelles, dont les histoires s’entremêlent et se répondent. Pour transposer ce roman à la scène, Séverine Chavrier a travaillé avec les deux comédiens, Deborah Rouach et Laurent Papot, dans le but de créer un langage qui est propre au couple formé par Charlotte Rittenmeyer et Harry Wilbourne. L’objectif de Séverine Chavrier de « faire matière de tout » est atteint. L’évanescence de cette histoire d’amour est transmise à la fois par le discours et surtout au travers de ce langage sensoriel ; éclairage, son et projections parviennent à traduire les émotions de ce désespoir amoureux. Les Palmiers sauvages parvient ainsi à détrôner la prévalence du discours en faisant recours aux sens.

Le décor frappe par son foisonnement d’objets – des matelas, des cadres métalliques de lit, un tourne-disque, une étagère remplie de boîtes de conserve, des chaises, des luminaires, etc. De plus, l’espace scénique est prolongé par la présence d’un écran en arrière-plan. Cet écran complexifie l’espace par la diversité de ses projections – à la fois utilisé pour suggérer un changement de lieu dans la trame dramatique, prolonger la scène en elle-même ou encore varier le point de vue sur l’action que le spectateur a sous les yeux. A cette complexité spatiale et à cette accumulation d’objets s’ajoute une riche nappe sonore. Des basses à faire trembler les murs à une délicate sonate de piano, en passant par du « hard métal » et une symphonie classique, ces variations musicales transmettent l’état émotionnel des personnages. A tout cet assortiment scénique, il faut encore ajouter l’importance de l’éclairage.

Si l’utilisation de ces divers médias est donc extrêmement riche, leur accumulation minimise leur potentiel explicatif individuel. Cet amoncellement parvient à retranscrire le déchaînement émotionnel que peut provoquer une passion amoureuse, mais la juxtaposition et la simultanéité des effets empêchent une certaine clarté, nécessaire à la saisie de l’histoire. L’imbrication de ces divers langages sensoriels complexifie la compréhension de l’action dramatique et, avouons-le, perd le spectateur dans ce foisonnement scénique.

25 septembre 2014


25 septembre 2014

Descente aux enfers

Copyright : Samuel Rubio

« L’amour et la souffrance sont la même chose » affirme Harry, protagoniste du roman de William Faulkner, Les Palmiers sauvages. La formule est reprise dans l’adaptation qu’en propose Séverine Chavrier au Théâtre de Vidy. Dans ce spectacle, qui reflète à merveille l’empreinte faulknérienne, les relations entre les personnages, mais également la relation à soi, sont explorées, décortiquées, analysées. L’amour absolu et passionnel est interrogé, par les mots de Faulkner et par la mise en scène de Séverine Chavrier, où les cinq sens sont mis en exergue…

« Je n’aurais pas dû la connaître. » La pièce commence dans la nuit. Eclairés de brefs instants par des flashs, les deux seuls personnages de la pièce, Charlotte Rittenmeyer et Harry Wilbourne, changent de place et de posture dans un décor qui, tout comme les protagonistes, tombera petit à petit en ruines. Pour vivre leur amour passionné, les deux amants quittent tout. Comme le signale la metteure en scène, ce sentiment exclusif les fait passer par toutes les étapes caractéristiques de la mythologie tragique : damnation, expiation, rédemption.
Interprétée par Deborah Rouach, comédienne diplômée de l’IAD, présente tout autant dans le monde télévisuel que le monde théâtral, Charlotte, jeune femme énergique, au caractère bien trempé, représente cette vie de bohème que mènent généralement les artistes du XXe siècle et que l’auteur américain a côtoyé lui-même durant ses séjours de jeunesse à la Nouvelle-Orléans. Harry, incarné par Laurent Papot, comédien actif, issu des cours Florent, est un jeune médecin qui abandonne ses études pour sa bien-aimée, quitte à devenir, avec elle, un forban.

La mise en scène de Séverine Chavrier, directrice de sa propre compagnie « La Sérénade interrompue », met en avant le côté sensualiste de l’œuvre de William Faulkner. Musique, sons, voix, corps, gestes, montages vidéo, décors, éclairages… rien n’est laissé au hasard. Tous les sens sont appelés à s’éveiller. Montagnes de chaises empilées, abat-jour à éclairage tamisé, grande armoire en bois entièrement chargée de pots en aluminium, mais, surtout, maints lits habitent la scène. Un écran, installé au fond, à hauteur des yeux des spectateurs, permet le « dédoublement » des personnages, symbole de leur quête d’identité. Il exprime également la multiplicité de points de vue possibles sur l’action, et montre le voyage des amants vers Chicago, suivant l’itinéraire et les paysages décrits par Faulkner. Sur cet écran, véritable lien à la littérature faulknérienne, défilent un train, des eaux tumultueuses évoquant les inondations du Mississippi, Charlotte vêtue d’une robe de mariée, Harry, et un bon nombre d’autres éléments présents dans la nouvelle Les Palmiers sauvages. Le « trajet vers l’avant », si précieux pour le romancier, se présente dans la pièce comme une descente aux enfers, qui a pour destination l’enfermement pour Harry, et la mort pour Charlotte. A l’importance du visuel s’ajoute celle des sons : chuchotements, cris, musiques variées, monologues superposés. Le rapport parfois difficile aux mots est manifeste. Les dialogues étant délicats, les personnages crient pour exprimer ce que la parole ne pourrait dire, pour exprimer leur état d’âme.

Harry et Charlotte laissent également parler leurs corps, nus, entremêlés, entièrement dévoués à l’autre. Ces corps, souffrants, rappellent qu’ils sont soumis aux besoins premiers : respirer, manger, « pisser », dormir. La mise en scène met l’accent sur la passion, charnelle, qui passe par les relations sexuelles du jeune couple. Les nombreux lits et matelas l’attestent. Le lit est le lieu autour duquel tout se joue : passion, sexe, mais aussi avortement. Charlotte finit par y mourir. Harry, lui, est emprisonné, comme l’annonce de façon prémonitoire le cadre du lit, dressé à la verticale, formant un grillage devant le comédien, au milieu de la représentation.

A la fin de la pièce, le côté sensualiste, cher à Faulkner et Séverine Chavrier, se ravive pour atteindre son apogée: éclairage fort et extrêmement froid, sons et bruitages assourdissants. Dans cette ambiance intense, le théâtre tremble ; les comédiens s’enflamment ; les spectateurs, partagés durant tout la représentation entre rires et sentiment d’oppression, frissonnent…« Le palmier sauvage fait toujours le même bruit sec » et le fera encore jusqu’au 12 octobre, au théâtre de Vidy.

25 septembre 2014


25 septembre 2014

Des palmiers sauvages, puis un peu moins

Copyright : Samuel Rubio

Une polyphonie visuelle et sonore, c’est le choix que fait Séverine Chavrier pour parler d’un amour prison. Pari réussi quand cette multiplicité tranche avec l’amour indivisible et puissant des deux protagonistes. Mais paradoxalement, c’est lorsque leurs sentiments se fragmentent que cette mise en scène perd de sa force.

Quatre matelas sur le sol, allongement de deux corps presque nus. Les ressorts d’un sommier métallique sont les barreaux qui séparent cette vision du public. Car dans cette adaptation de l’œuvre de Faulkner, amour rime avec enfermement. Les deux nouvelles de l’auteur américain rassemblées sous le titre Les Palmiers sauvages ont servi à la metteure en scène de matériau pour construire les tableaux de ce spectacle, créé sur les bords du lac Léman.

« Combien de fois on fait l’amour dans une vie ? » Un orage de flashs lumineux et de roulements de basses ouvre le spectacle. Charlotte et Harry apparaissent parfois, en sous-vêtements. Puis leurs chuchotements. Les parties de jambes en l’air esquissées plus ou moins franchement par les deux comédiens convaincants (Laurent Papot et Deborah Rouache) investissent l’espace. Beaucoup de meubles (chaises, lattes, lampes) sont refoulés à l’arrière de la scène. Au début, il n’y a de la place que pour les matelas, innombrables supports pour l’amour avec un A majuscule. L’amour sensuel, maladif. L’histoire de ces deux êtres cloîtrés dans leur idéal est racontée par des voix, des bruits, de la musique, des caméras dont les différentes captations sont projetées sur le fond de la salle. Harry et Charlotte s’aiment et ça se voit. De manière tendre ou passionnée, légère ou marrante. Nombreux moyens pour le dire, nombreuses atmosphères pour le faire sentir. Cet amour qu’on croit indestructible se cristallise dans la scène où Charlotte lance à plusieurs reprises, de manière désespérée et touchante, « Combien de fois on fait l’amour dans une vie ? ». Des cloches se font entendre : un enterrement ? Une femme vêtue d’une robe de mariée apparaît à l’écran.

Et puis l’histoire prend une tournure différente. Les questions d’argent et de perspectives d’avenir se posent pour les personnages. Les limites de leur île sont atteintes. Derrière les palmiers, la plage, projetée d’ailleurs à de nombreuses reprises sur le mur du fond. Il faut se confronter à l’eau. Car peut-on vivre un amour éternel enfermé dans une maison à la campagne ? Les failles qui se creusent sont retranscrites physiquement sur le plateau : Charlotte sort de l’espace scénique pour se rendre à une fête ; Harry ouvre le panneau coulissant du fond, découvrant les feuilles d’un arbre aux allures de mosaïque verte. C’est à partir de ce déclin que la proposition de la metteure en scène semble perdre de sa consistance. On se lasse de cette multiplication des bruits et des images qui ne sont plus en tension avec le propos de la scène. Un effritement des moyens pour accompagner un effritement de l’amour : il y a quelque chose de redondant. L’attention se perd. On aurait apprécié de temps à autre une plus grande stabilité scénographique pour se concentrer sur l’instabilité des deux êtres.

Dommage, cet ennui qui s’installe. Car Séverine Chavrier, spécialiste d’un théâtre lié de près à la littérature, semble avoir su explorer les sentiments des personnages avec intelligence. L’univers scénique est également abouti : le mobilier quelque peu vieillot conjugué avec des néons forment un ensemble très esthétique. Les comédiens savent investir plusieurs registres : ils jouent avec le public ou établissent une intimité qui leur est propre. Les lumières sont utilisées pour instaurer des espaces de jeu différents. Le décor prend parfois vie pour donner des résonances particulières à la pièce. Le son est varié, on passe d’une musique agressive à des bruitages plus abstraits. De bons arguments en somme, mais qui finissent noyés dans leur pluralité exacerbée.

25 septembre 2014


25 septembre 2014

« Combien de fois on a fait l’amour, en tout ? »

Copyright : Samuel Rubio

Un couple expérimente la passion amoureuse : dans cette adaptation d’une nouvelle de l’Américain William Faulkner, publiée en 1938, la Française Séverine Chavrier fait le choix d’une mise en scène contemporaine. Sa puissante composition d’images prend toutefois le risque d’emprisonner le texte. 

Corps nus, matelas envahissant le plateau comme pour former un monochrome sur lequel s’aimer, cris, sauts, refus de routine : la flamme est là. Charlotte (la Belge Deborah Rouach, fraîche et spontanée) a quitté enfants et mari pour Harry (Laurent Papot, qui rythme la pièce avec talent), un interne en médecine de trente-trois ans. Ce dernier est encore vierge lorsqu’il la rencontre et il s’agit de rattraper le temps perdu. Charlotte avance que s’ils s’aiment suffisamment fort, elle ne tombera pas enceinte, « car la passion brûle tout ».

C’est néanmoins un avortement qui viendra achever leur chemin de croix amoureux. Peu à peu, ils se perdent, ne se comprennent plus et semblent étouffer dans un espace scénique pourtant entièrement exploité. Tout s’effrite, plus rien ne va de soi. « Combien de fois on a fait l’amour, en tout ? Combien de fois on fait l’amour dans toute une vie ? » demande inlassablement Charlotte. Les élans de leurs chairs nues semblent ne plus suffire à l’expression de leur amour. Corps et âme s’épuisent de trop de passion.

Les deux comédiens portent des micros : si cela permet un jeu particulièrement fin, en contraste avec leurs explosions, cette médiation crée pour le spectateur une distance presque cinématographique, encore amplifiée par de très nombreuses projections : en noir et blanc, une jetée, un orage, Harry, fou, qui marche sur la plage et plus tard, son corps ballotté par les flots. Parfois, l’écran offre un autre point de vue sur le plateau, capturé en direct depuis le côté, ou une vision en infra-rouge, lorsque le noir se fait. L’image sera encore celle que renvoie le caméscope de Charlotte, qui joue à se filmer en gros plan. Les ambiances sonores créées par Philippe Perrin, auxquelles se joint la musique d’un vieux tourne-disque, achèvent quant à elles de donner un relief cohérent à cet univers très travaillé.

L’esthétique que parviennent à créer Séverine Chavrier et son scénographe Benjamin Hautin est intense. La régie lumière rend justice à un décor foisonnant (boîtes de conserves, chaises, matelas, couvertures et bouteilles : tout s’entasse) et les panneaux arrières de la salle René Gonzales à Vidy finissent par s’ouvrir sur l’imposant feuillage du platane de l’allée du théâtre. Cette nouvelle fenêtre sur le monde nous permet de quitter un instant ce huis-clos, cette prison amoureuse. La salle peut respirer. La nature, jusqu’ici suggérée, se fait bien réelle.

La nouvelle du Prix Nobel Faulkner est double et les chapitres de deux histoires s’entrecoupent sans jamais se rejoindre. Si c’est l’intrigue des Palmiers Sauvages qui a été choisie, l’ambiance tumultueuse du Vieux Père a été conservée : un détenu y lutte contre les eaux du Mississipi pour sauver une femme enceinte. Le pouvoir de la nature nous est sans cesse rappelé.

« Comment rendre sur scène ces traces ou signes d’une histoire naturelle en décomposition à l’image des paysages dont la multiplication des angles de vue ne donnera jamais qu’un aperçu tronqué ? » se demande Séverine Chavrier dans sa note d’intention. Le défi était en effet de taille. En voulant illustrer sous tant d’angles, par tant de dispositifs, la prose faulknerienne, l’adaptation néglige de nous transmettre son texte et ôte à ce théâtre son lien tangible au public.

Pas toujours assez audacieuse dans son aspect contemporain, cette mise en scène aurait sans doute gagné à assumer ses timides adresses aux spectateurs – en abattant plus violemment le quatrième mur – et à salir et encombrer d’avantage encore son plateau, à la manière d’un Macaigne ou d’un Ostermeier, bref : à aller jusqu’au bout de ses choix, ou alors, au contraire, à insister sur cette sensation d’enfermement des personnages, sur ces corps minuscules pris dans une nature qui les dépasse. Si Séverine Chavrier est une habituée du travail littéraire, il est ici difficile de déterminer exactement sous quel(s) vent(s) ses Palmiers sauvages souhaitaient nous emmener.

Reste l’image, sublime, de cette passion dont on finit par mourir ne pouvoir la vivre.

25 septembre 2014


25 septembre 2014

Amour toujours ?

Copyright : Samuel Rubio

Pour quelques jours, Séverine Chavrier fait pousser les germes d’un amour faulknérien au théâtre de Vidy : sombre et intense. 

Une fenêtre, découpée directement sur les arbres du parking en contre-bas. Ce sont des platanes, habillés de lumière émeraude pour l’occasion. Le plateau est ouvert sur l’extérieur, prolongement de l’espace scénique autant que du récit. Travaillant en création de plateau, Séverine Chavrier a toutefois tiré son suc des Palmiers sauvages de l’écrivain américain William Faulkner. Dans ce texte, Harry Wilbourne et Charlotte Rittenmeyer quittent études, mari et enfants pour cultiver leur amour. Destin médiocre, romanesque et tristement cliché, ils finiront par s’abimer dans l’expression radicale de leur passion. Une histoire d’amour impossible car absolue ou peut-être absolue car impossible.

Les débuts furent pourtant bourgeonnants. Pleins de désir, les amants découvrent rieurs le corps de l’autre. Les comédiens Laurent Papot?et Deborah Rouach, spontanés, rendent la fraîcheur et la sensualité des aurores. Ils gardent une candeur presque enfantine, annonciatrice d’une chute plus terrible encore. Le jeu assumé (adresses au public, remarques du comédien) permet de ne jamais verser dans un pathos gratuit et même d’y piquer quelques pointes d’humour. Humour utile aussi pour alléger les nombreuses scènes sensuelles, fondatrices de l’amour mais aussi de la dramaturgie. La sensualité est omniprésente, qu’elle soit physique ou dans les éléments naturels.

Véritable bouffée d’air frais, la fenêtre en arrière plan s’ouvre cependant rarement. Fermée, elle enserre l’espace de vie clos et confiné des amoureux, espace en décomposition. Lits de camps, tas de chaises abandonnées, boîtes de conserves au mur, le nid douillet ressemble bien plus à un abri anti-atomique. La relation et la narration sont construites en retranchement, loin de l’extérieur, loin d’un contexte que le spectateur devra parfois deviner. L’amour devient alors vain.

Le travail de Séverine Chavrier est fait du bois des mots. Grande lectrice de littérature autant que de philosophie, elle garde toutefois une grande liberté dans l’adaptation dramaturgique du roman de Faulkner. L’histoire s’élabore par bribes, agencées de telle manière à former une atmosphère plutôt que de suivre une narration stricte. Les différents temps du récit ainsi que les déplacements sont décomposés en une vue kaléidoscopique. Sortie d’un temps linéaire, l’histoire acquiert une dimension presque mythique qui, même si elle dilue parfois les enjeux, se maintient toujours autour de l’essentiel.

Si le récit se déroule originellement aux Etats-Unis, la metteuse en scène en transplante l’essence dans le cadre du théâtre et de ses alentours. Les palmiers se changent en platanes et l’esprit du lac bouillonne auprès des comédiens. Grâce à la projection de vidéos tournées aux abords de Vidy, la pièce trouve ses racines dans l’espace lausannois, utilisant ses éléments naturels. Les prises de vues de Harry et Charlotte devant le lac, très esthétiques, donnent puissance et poésie à la pièce. Outre les vidéos, un grand travail est fait sur les enregistrements, entre textes lus, dialogues, musique, … L’expression de Séverine Chavrier et de sa compagnie, « La Sérénade Interrompue », a, on l’a dit, de multiples embranchements : le corps de ses comédiens, la parole, les vidéos qu’elle tourne elle-même, la musique et la littérature, bien sûr.

Ce n’est pas exactement à une gentille promenade au-dessus des platanes que convie Les Palmiers sauvages. La pièce aborde avec force la déraison amoureuse et son désespoir. Le résultat se dresse, noir, effeuillé de toutes illusions.

25 septembre 2014


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