Xavier Vasseur

Des opportunités à saisir… ou pas

Il voulait retourner aux beaux-arts, après un passage à l’Unil. Une fois sur le marché du travail il a saisi les opportunités qui se présentaient sur son chemin. Portrait d’un homme qui a appris à écouter sa petite voix intérieure. Xavier Vasseur, diplômé de SSP 1998.

Enfant, quel était le métier de vos rêves?

Le premier rêve dont je me souvienne était de devenir “le monsieur en orange qui fait des signes devant les avions”. J’utilisais les “rouleaux brosses à habits” de ma maman pour diriger des Boeings dans le corridor. Plus tard, je voulais être le successeur de Philippe de Dieuleveult* puis de Nicolas Hulot**, pour parcourir le monde.

Quel est votre job actuel?

Je suis aujourd’hui conseiller au sein de l’Unité santé et sécurité au travail de la Ville de Lausanne. Mon travail consiste à accompagner vers le retour à l’emploi des collaboratrices et collaborateurs ayant subi de longs arrêts maladie ou accident. Je travaille également à temps partiel comme responsable du comité d’organisation de la Nuit de la lecture, événement que j’ai fondé en 2013.

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Affiche la Nuit de la Lecture 2017

Vous avez choisi d’étudier à la Faculté des SSP par vocation, poussé par vos parents, pour faire comme vos amis?

J’ai fait des études en Sciences politiques après avoir passé l’année propédeutique aux Beaux-arts. J’ai échoué à l’examen d’entrée du département d’audiovisuel et informatique de la deuxième année. J’envisageais de passer une année en Lettres en attendant de me représenter. En fait, je n’avais pas d’autre projet. Je ne voulais pas commencer un apprentissage, j’avais songé à rejoindre le CICR ou même me lancer dans une carrière diplomatique, mais j’ai vite renoncé puisque je n’ai jamais aimé la politique.

A l’université, un conseiller aux études m’a très utilement fait remarquer que les branches pour lesquelles j’avais le plus grand intérêt – sociologie des médias, histoire des idées politiques, épistémologie – faisaient partie du cursus de sciences sociales et politiques. J’éviterais ainsi celles qui m’intéressaient moins, comme la linguistique. De plus, les études ne duraient que 3 ans alors qu’en Lettres, il fallait compter 5 à 6 ans. Puisque j’avais toujours l’intention de reprendre les beaux-arts, il n’était pas question de m’éterniser à l’université.

Ma rencontre avec la sociologie politique et François Masnata a été une révélation. Le Professeur Masnata nous enseignait cette branche avec un charisme et une présence incroyable, en nous transmettant quantité de connaissances. Il nous stimulait dans l’art du débat, un peu comme le professeur dans le film «Le cercle des poètes disparus» et nous a ouvert les yeux sur le monde.

En ce qui me concerne, il m’a amené à réaliser qu’on est qui on est parce qu’on vient d’où on vient. C’est-à-dire que le choix de nos partenaires de vie, de métier, de biens matériels est influencé par des facteurs dont on ne réalise même pas l’existence. Ses cours m’ont motivé à continuer mes études, tout comme ma rencontre avec une étudiante revenant d’échange, qui m’a donné envie de partir à l’Université de Bradford, en Angleterre.

Votre état d’esprit au moment de l’obtention de votre diplôme?

Une grande fierté, une grande libération, mais aussi un questionnement énorme. “Que vais-je faire maintenant ?” Mes notes étaient largement suffisantes pour continuer une maîtrise puis un doctorat, mais le sentiment de ras-le-bol des bancs d’études, de n’avoir “jamais congé” et le besoin de trouver mon indépendance financière ont pris le dessus. Je me suis donc tourné vers le marché du travail. À l’époque, je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire. Pour moi, ces études n’aboutissaient à rien de concret. Par contre, j’avais envie de mettre la main à la pâte et de mettre en pratique ce que j’avais appris.

Que s’est-il passé par la suite?

Juste avant de terminer mes examens, j’ai trouvé, parmi les petites annonces affichées à la Banane, un premier CDD de six mois comme sociologue chargé d’enquête pour l’Université de Bâle. Ce poste consistait à mener une étude en gérontologie et alimentation, en récoltant des données sur des personnes âgées entre 80 et 85 ans via des interviews, et à partir de données informatiques récoltées par des infirmières. Le but de l’étude étant de définir la raison pour laquelle les Suisses présentaient une plus grande longévité en comparaison avec d’autres nationalités.

J’ai ensuite exercé plein de petits jobs pendant deux ans: figurant danseur au Grand théâtre de Genève, enquêteur téléphonique, récolteur de signatures pour des initiatives populaires dans la rue et remplaçant gestionnaire de dossiers à l’Assurance Invalidité. Pour trouver ces petits boulots, je m’adressais à Manpower et je saisissais les opportunités qui s’offraient. Je venais de trouver un appartement, il fallait donc que je paie le loyer. J’ai aussi profité, pendant les périodes creuses, de faire mon brevet de parapente qui a pris pas mal de temps.

Je n’étais jamais inquiet, les opportunités se présentaient les unes après les autres et je bossais sans arrêt. Aujourd’hui je n’ai qu’un seul regret: ne pas avoir accepté de suivre un cours de gestion de projet, offert par mon conseiller ORP. J’ai toutefois comblé ces lacunes grâce à l’expérience mais il aurait été intéressant de profiter de ce cours.

Après deux ans de «butinage», j’ai décroché un poste fixe d’une manière assez surprenante, grâce à ma curiosité. En mission pour deux jours, je devais finaliser la mise en page et imprimer des exemplaires d’un document destiné à la réunion annuelle des vice-présidents au niveau international d’une grosse multinationale spécialisée dans le tabac. J’ai, par hasard, repéré une erreur dans le document que j’avais eu la curiosité de parcourir. Je l’ai signalée à mon supérieur hiérarchique. La nouvelle est remontée à travers la hiérarchie et le lendemain on m’a demandé de rester encore trois mois pour saisir des factures. Rien de très intéressant certes, mais je n’avais pas d’autre emploi en vue, et me suis dit que pour trois mois, c’était supportable et bien payé. Durant cette période, je me suis ennuyé ferme avec des collègues en costume-cravate, dépourvus d’humour. Pour me changer les idées, je me rendais souvent au service de packaging où l’ambiance était très différente et où on me confiait diverses tâches.

Un beau jour, le chef du département m’a appelé pour me montrer une annonce cherchant un ingénieur packaging avec 10 ans d’expérience. Je lui ai signalé qu’hormis mon père imprimeur, je ne connaissais personne avec ces qualifications. Il m’a regardé et m’a dit qu’il pensait à moi et de rajouter, face à l’éclat de rire que je n’ai pas pu retenir, que même si je n’avais pas l’expérience demandée, il m’en pensait capable. C’est ainsi que j’ai été engagé, avec un contrat fixe, en tant que responsable de production de produits d’emballage!

Mon poste comportait une partie administrative et un volet créatif où on faisait du re-design de certains paquets et où nous travaillions entre autres sur le lancement de nouvelles marques. Cela impliquait la création de maquettes, ce que j’adorais faire, parce que je retrouvais les beaux-arts. Puis il y a eu l’arrivée du web et un projet intranet. J’ai pris des cours de web design et j’ai pu développer des compétences à l’interne.

Au bout d’un moment, ce sont mes valeurs qui en ont pris un coup. Mon premier réflexe, quand on m’a offert ce poste, avait été de me dire «jamais chez ces tueurs». Lors de l’entretien, lorsqu’on m’a demandé ce que représentait le tabac pour moi, j’ai répondu que c’était une substance nocive qui tuait. Mais on m’a tout de même engagé. À cette époque, il était encore permis de fumer dans les bureaux à condition que tous les employés soient d’accord. Inutile de dire qu’on était implicitement obligés d’être d’accord. Pas idéal quand on est non-fumeur.

J’avais l’habitude de venir au travail à vélo. Un jour on m’a signifié qu’à mon niveau de salaire, je pouvais tout à fait me payer une voiture et que ce serait mieux pour l’image de la maison. (Je me souviens du jour de ma première paie: je ne savais pas si c’était mon salaire annuel ou mensuel!). En outre, il fallait bien entendu porter un “costard-cravate” même si je ne recevais ni ne voyais jamais personne de l’extérieur. Tout cela, ce paraître, cette image qu’il fallait donner et qui ne me correspondait pas, m’a décidé à donner ma démission.

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Xavier Vasseur adossé à une boîte à livres à Lausanne en février 2016.
Photo: Robert Fux; Graffiti: Baro Bombing.

Nouvelle étape de ma vie, j’ai trouvé une place en tant que conseiller en placement, sans doute grâce à la mention dans mon CV d’un séminaire avancé en gestion de ressources humaines que j’avais suivi auprès des HEC. Malgré le fait que j’aimais beaucoup le contact avec les demandeurs d’emploi, je n’ai pas travaillé longtemps pour cette société. Je ne supportais pas l’attitude du patron qui considérait ces gens comme de la viande qu’il fallait vendre à tout prix pour toucher une commission. Cela allait contre mes valeurs encore une fois.

J’ai ensuite trouvé un poste de webdesigner. D’un stage de trois mois, j’ai obtenu un poste fixe avant de devenir directeur artistique un an plus tard, puis membre du comité de direction. L’ambiance était géniale, je n’ai plus eu à porter de cravate et on écoutait Bob Marley en travaillant. J’ai collaboré pendant 8 ans dans cette entreprise avant de subir un licenciement économique collectif.

Dix ans après être sorti de l’Unil, il était temps de dresser un bilan de ma situation. Je savais pertinemment que je n’allais plus pouvoir devenir un sociologue, je n’avais jamais pratiqué le métier et ne m’étais jamais tenu à jour. Quant au métier de webdesigner, qui comprenait une large gamme d’activités, il s’était tellement spécialisé en quelques années que malgré mes compétences générales, je n’étais plus intéressant pour le marché.

Je suis donc retourné au chômage pendant six mois durant lesquels on m’a financé un bilan de compétences. À terme je savais que je ne voulais pas avoir un seul job mais un mélange de deux ou trois postes qui toucheraient à la fois les domaines de la communication, du monde de la création et de l’enseignement. C’était assez compliqué de trouver quelque chose qui pouvait combiner les trois.

Après plusieurs déceptions, je suis tombé sur un poste de Conseiller en réinsertion professionnelle pour la Fondation Intégration pour tous (IPT) où j’ai été engagé et formé en interne. J’y suis resté 7 ans. Le métier m’a vraiment plu. J’avais le sentiment d’être utile, de pouvoir aider les gens. Malheureusement, la fondation qui avait 40 ans d’activité, tournait sur un business modèle obsolète. Il était temps pour moi de chercher autre chose.

Durant mes recherches, j’ai profité de suivre une formation de médiateur culturel et ai lancé la «Nuit de la lecture». J’avais baissé mon taux d’activité pour y consacrer plus de temps et développer d’autres projets quand je suis tombé sur le nouveau programme de suivi d’absences longues pour les collaborateurs de la Ville de Lausanne. J’ai saisi l’opportunité de participer à sa conception et à sa mise en place, ceci depuis le 1er mars 2016.

Si je devais tirer une conclusion de mon parcours, je dirais tout d’abord que pour le sociologue, il n’y a pas de hasard. Tout ce que je viens de vous décrire est une succession d’opportunités qu’on décide de saisir ou pas. J’ai donc fait des choix et en ai refusé quelques-unes qui ne me parlaient pas sur le moment. Je pense que j’ai su démontrer certaines compétences qui ont titillé l’intérêt de mes employeurs.

Je n’avais personnellement pas de plan de carrière. Mais tout dépend de ce qu’on veut dans la vie : si on ambitionne de devenir vice-président d’une grande banque à Genève, il faut avoir les dents longues, jouer stratégiquement et bien planifier chaque étape de son parcours. Si l’important est de se sentir bien dans son poste, et qu’on n’a pas besoin du chalet, de la voiture, ni des vacances annuelles au Bahamas, on s’écoute simplement et on choisit selon son inspiration.

Si c’était à refaire, que changeriez-vous?

J’écouterais ma passion plutôt que ma raison. Certaines choses n’étaient pas concevables à mes yeux. Venant d’une famille assez classique avec un père imprimeur et une mère au foyer, je n’aurais jamais eu l’idée de devenir sage-femme ou danseur étoile, ni de vivre du théâtre. Quand je leur ai annoncé mon intention de suivre les beaux arts, ils n’étaient pas très rassurés. J’ai fait passer la pilule en précisant que j’avais décidé de me spécialiser en audiovisuel, si bien qu’une fois mes études terminées, je pourrais produire des émissions TV du style “Temps Présent” ou le télé-journal. La RTS, ça leur parlait plus.

La vie a fait que je n’ai pas achevé mes études en beaux arts. Même si j’essaie actuellement de garder un pied dans le monde de l’art et du spectacle – je continue à jouer et j’ai mis en scène ma première pièce l’an dernier – je ne serais jamais artiste professionnel. Tout comme il n’est pas possible d’être cosmonaute amateur, ni chirurgien amateur, il faut s’y consacrer à 100%. Je fais cela par pur plaisir. Mais si je pouvais remonter dans le temps, je tenterais ma chance et essayerais de rentrer dans une école de théâtre professionnelle. Je n’aurais pas forcément été sélectionné ou fait carrière dans ce métier, mais en cas de refus, je n’aurais pas eu de regrets, et en cas de succès, j’aurais pu vivre cette expérience à 100%.

J’ai bien sûr du plaisir dans mon travail. Par contre, si je n’avais pas besoin de gagner de l’argent, je me consacrerais corps et âme à la mise en scène qui me passionne. À ce jour, je n’ai pas encore trouvé un job pour lequel je «vis». Mais qui sait…

En tout cas chers et chères diplômé·e·s de l’Unil, le seul conseil que je puisse vous donner est le suivant: écoutez vos envies et respectez vos valeurs. Dans vos choix professionnels, sachez écouter la raison, la patience, les conseils de vos proches, mais aussi la petite voix de l’enfant de 7 ans qui vous dit de l’intérieur “c’est pas ça que je voulais faire!”

* Philippe de Dieuleveult (4 juillet 1951 à Versailles – disparu le 6 août 1985 aux environs d’Inga, Zaïre) était reporter et animateur français de télévision. Il anima la célèbre émission de télévision française La Chasse aux trésors. (Wikipedia)

** Nicolas Hulot, né le 30 avril 1955 à Lille, est un journaliste-reporter, animateur-producteur de télévision, écrivain et ministre de la transition écologique et solidaire. Bénéficiant de la renommée de son émission télévisée Ushuaïa, il s’engage plus avant dans la protection de l’environnement et la sensibilisation du grand public sur les questions écologiques. (Wikipedia)

Article de Jeyanthy Geymeier, Bureau des alumni, 15 septembre 2017