Et soudain, c’est le drame

Par Lauriane Pointet

On ne badine pas avec l’amour / d’Alfred de Musset / mise en scène Anne Schwaller / TKM / du 1er au 23 décembre 2015 / plus d’infos

©Mario del Curto
©Mario del Curto

Camille et Perdican étaient destinés à s’aimer… mais lorsqu’ils se retrouvent après des années de séparation, l’orgueil s’invite à la fête et l’amour devient un jeu dangereux. Le grand classique de Musset est à savourer jusqu’à fin décembre sur les planches du théâtre Kléber-Méleau.

Et soudain, pop ! pop ! pop !, les trois ballons de baudruche qui occupaient l’avant-scène explosent sous les coups de Perdican (Frank Michaux) qui croit comprendre que Camille (Marie Ruchat) ne l’aime décidément pas. La fête est finie, et la comédie glisse vers le drame. C’est Rosette (Charlotte Dumartheray), la sœur de lait de Camille, devenue pour Perdican un simple moyen de vengeance, qui en fera les frais.

Anne Schwaller a choisi d’opérer quelques coupures dans ce petit proverbe dramatique écrit en 1834, peu après un rebondissement désagréable dans la tumultueuse relation qu’entretenait Musset avec George Sand – on notera notamment la disparition du chœur que l’on trouve dans l’œuvre originale. Pour mieux resserrer l’intrigue, elle commence sa pièce in medias res : « Ce mariage, se fera-t-il ici ou à Paris ? ». Le spectacle s’ouvre donc dans une folle énergie, soutenue par une musique joyeuse annonçant les entrées des personnages. Mais au fil des scènes, comme les deux jeunes gens s’obstinent dans leur orgueil, la joie et l’énergie cèdent à la tension et à la violence.

La mise en scène d’Anne Schwaller et la scénographie de Valère Girardin s’ancrent sur un motif récurrent de la pièce, qui présente sans cesse des personnages en train d’en espionner d’autres. Chacun d’eux peut ici, à sa guise, se cacher pour voir sans être vu derrière quatre portiques sur lesquels, formant un rideau, sont suspendues de longues chaînes de métal au tintement incessant. Rosette joue ainsi en silence entre ces portiques durant les premières scènes, révélant au spectateur à la fois son innocence d’enfant et son importance capitale dans l’intrigue. Dans un même temps, les portiques forment un mur de fond mobile, ce qui permet de rétrécir l’espace scénique, jusqu’à n’en laisser plus qu’un ou deux mètres de profondeur pour la scène finale. La fontaine, centrale dans le deuxième acte, illuminée de l’intérieur, s’élève ensuite pour devenir un lustre qui éclairera toute la fin de la pièce.

Les costumes fonctionnent comme une clé de lecture. A l’image du glissement général vers le drame, le Baron (Yves Jenny) perd de sa superbe : de noble satisfait, en habit de velours et perruque poudrée, il sombre progressivement dans un état qui le rapproche des deux ivrognes que sont le curé Maître Bridaine (Jean-Luc Borgeat) et le gouverneur de Perdican Maître Blazius (Frank Arnaudon), pour terminer la pièce, cheveux épars, chemise sale, et caleçon mal couvert par son peignoir. Les costumes tissent également des liens entre les personnages. Camille, lorsqu’elle finit par accepter son amour, abandonne sa robe de religieuse pour revêtir une tenue similaire à celle de Perdican : une chemise blanche, une veste grise à col vert foncé, des jeans gris et des souliers noirs surmontés de guêtres.

Autour de ces deux figures romantiques gravitent des personnages de farce. Le Baron, ressemblant ici à un personnage moliéresque faisant des mimiques et des bruits de bouche dignes de Louis de Funès, contribue à ancrer le début de la pièce dans le registre comique. L’effet est renforcé par l’accoutrement grotesque de Maître Bazius et Maître Bridaine qui évoque l’univers des clowns. Quant à Dame Pluche (Emmanuelle Ricci), la gouvernante de Camille, elle se veut femme austère et de vertu… mais sa robe à crinoline transparente vient contredire cette posture. La pièce mêle donc différents registres et genres dramatiques pour le plus grand plaisir des spectateurs.