Un roi, la mort et la musique

Par Lauriane Pointet

Un roi se meurt / D’après Eugène Ionesco / mise en scène Orianne Moretti / Festival FriScènes / 20 octobre 2015  / plus d’infos

©Julien James Auzan
©Julien James Auzan

La compagnie du Théâtre de l’intérieur propose une adaptation sans complexe, intelligente et efficace de la pièce de Ionesco.

Des personnages qui se trémoussent sur scène sur une musique disco et dans un déluge de confettis, avant même que les spectateurs ne soient entrés dans la salle, cela peut surprendre. D’autant plus quand la pièce s’intitule Un roi se meurt et qu’il s’agit, comme l’indique clairement le titre, d’une adaptation de la célèbre pièce Le roi se meurt d’Eugène Ionesco. Cette entrée en matière festive n’est cependant pas inconciliable avec l’aspect comique du début de la pièce.

Un petit rappel de l’intrigue : dans un royaume qui s’effrite de toutes parts, le roi Bérenger 1er est mourant mais ne le sait pas encore. Les deux reines, Marguerite et Marie, discutent de la nécessité et de la façon de le mettre au courant. Avec l’appui du Médecin, elles finissent par le prévenir de sa fin prochaine qui interviendra, préviennent-elles, « à la fin du spectacle ». Mais, avant d’en arriver là, les personnages vont être confrontés aux différentes réactions successives qu’adopte le roi face à cette révélation, et observer la dégradation incoercible de son état, jusqu’à la scène finale.

L’originalité et la vraie trouvaille de la metteuse en scène Orianne Moretti tiennent dans le recours à deux instruments : la flûte traversière et le violoncelle. Les deux musiciennes, présentes sur le plateau, tiennent un rôle à part entière dans l’organisation de la pièce. En effet, alors que chacune des souveraines incarne un tempérament différent – Marie représentant la naïveté et l’espoir, Marguerite la raison et la force implacable du destin – la musique vient souligner leur opposition. On remarquera, aidé en cela par le jeu sur les couleurs des costumes et la position des différents protagonistes, que la flûte prolonge et renforce le point de vue de Marie, le violoncelle celui de Marguerite.

Ce choix de faire intervenir de la musique facilite le passage d’un registre relativement léger à de la pure tragédie. Car, dans l’esprit du texte de Ionesco, la pièce propose une longue descente aussi progressive qu’imperceptible dans ce qu’il y a de plus pathétique et de plus tragique. Le Théâtre de l’Intérieur a intelligemment choisi d’opérer un certain nombre de coupures dans l’œuvre originale, tout en préservant sa structure globale et sa dynamique. Cela a pour effet une concentration du texte, pour peut-être une plus grande efficacité. Et, devant ce roi affaissé dans un fauteuil roulant, le regard hagard, ce roi même qui tout à l’heure triomphait au milieu des confettis, l’on ne peut s’empêcher de se demander : comment en est-on arrivé là ?

La mort de ce roi a une portée universelle – c’est d’ailleurs la volonté qu’a exprimée Orianne Moretti dans le débat d’après-spectacle. Et, malgré la soixantaine d’années qui nous séparent du texte de Ionesco, ses cris déchirants ont encore une résonnance : « pourquoi suis-je né, si ce n’était pas pour toujours ? »