Certaines réalités n’ont pas d’âge. Les violences communautaires envers les personnes âgées sont peu documentées, mais existent bel et bien. La docteure Monika Rybisar Van Dyke s’est penchée sur le sujet dans le cadre d’un travail de recherche au sein de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.
Ce jour-là, un calme certain régnait dans le parc. La journée était belle, l’air doux. Les quelques bribes de conversations qui s’élevaient de l’aire de jeux, près de laquelle traînait un petit groupe de jeunes hommes, parvenaient à peine à couvrir le chant des oiseaux. En arrivant à leur hauteur, une femme âgée qui se promenait par là remarque les déchets qui les entourent. « Alors ça, c’est vraiment trop ! » les réprimande-t-elle, en faisant mine de prendre une photo avec son téléphone. En réponse, l’un d’eux s’exclame : « On ne va pas lui faire du mal. On pourrait. Mais on ne le fera pas. » Les jeunes hommes exigent en revanche que la photo soit effacée sur-le-champ. Ce que leur aînée refuse. Puis… c’est le trou noir. La pauvre femme se réveille quelques heures plus tard dans le Service de neurochirurgie du CHUV avec une plaie, un hématome et plusieurs dermabrasions au visage.
« Ce qui me touche le plus, c’est de voir des personnes âgées devenir victimes de violence parce qu’elles ont fait la morale à quelqu’un. »
Monika Rybisar Van Dyke, spécialiste de la personne âgée
Cette triste histoire a été vécue par une des patientes de la docteure Monika Rybisar Van Dyke, médecin cadre agréée à l’Unité de médecine des violences (UMV) et au Service universitaire de psychiatrie de l’âge avancé (SUPAA) du CHUV. Et malheureusement, ce n’est pas un cas isolé. Sur l’ensemble des aînés ayant consulté l’UMV du CHUV entre 2006 et 2016, 64% étaient des victimes de violences communautaires. Selon le rapport mondial sur la violence et la santé (2002), il s’agit d’un type de violence qui survient généralement à l’extérieur du foyer et qui a lieu « entre des personnes qui ne sont pas apparentées et qui peuvent ne pas se connaître ». Malheureusement, le sujet des violences communautaires envers les personnes âgées est peu documenté, surtout dans la littérature scientifique. La psychiatre spécialiste de la personne âgée a donc entrepris un travail de recherche sur le sujet, au sein de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, qui a été publié en janvier.
« La buanderie, c’est un sacré endroit »
Soixante pour cent du temps, la personne âgée victime de violence communautaire ne connaît pas son agresseur. Et comme le montre l’exemple cité précédemment, « sermonner » peut rapidement devenir un élément déclencheur (dans près d’un quart des cas). « Ce qui me touche le plus, c’est de voir des personnes âgées devenir victimes de violence parce qu’elles ont fait la morale à quelqu’un, alors que pour elles c’était une manière d’aider la société et de se sentir encore un peu utiles », confie la spécialiste, qui estime d’ailleurs que nos aînés ne sont pas suffisamment intégrés à la société actuelle. « C’est triste, mais je trouve qu’ils sont un peu mis au ban. »
L’auteur est connu de la victime dans 40% des cas. Il peut s’agir par exemple d’une connaissance, d’un ancien ami ou même, le plus souvent, d’un voisin. « La buanderie, c’est un sacré endroit, soupire tristement la médecin. Dans ma pratique courante, je rencontre régulièrement des aînés qui ont affaire à un voisin violent, alors qu’ils sont en train de faire leur lessive. »
L’importance de se faire aider
Le constat est surprenant. Alors qu’en 2016, 18,1% de la population suisse est considérée comme âgée, la médecin spécialiste remarque que sur la période étudiée, soit de 2006 à 2016, seules 2,5% des consultations réalisées par l’UMV concernent des personnes âgées. « Pourtant on sait que nos aînés ne sont pas spécialement bien protégés et qu’il y a des besoins à ce niveau-là », explique Monika Rybisar Van Dyke. Alors que se passe-t-il ? Pourquoi ne viennent-ils pas consulter ?
Certains pourraient se dire : « Tant mieux si les victimes légères restent à la maison ! » Surtout si elles ne souffrent « que » de lésions ou d’abrasions et non de fractures. Une bonne crème et le problème est réglé ? Eh bien non. La spécialiste prévient qu’il ne faut pas banaliser : « Dans près de 72% des cas, il y a des impacts psychiques avec de possibles répercussions sur le plan cognitif, par exemple au niveau de la mémoire à court terme, qui ont peu de chances de s’améliorer sans traitement. Certains impacts psychologiques sont d’ailleurs toujours présents trois mois après l’agression lorsqu’ils ne sont pas traités (27% des cas). De plus, la littérature montre clairement qu’il y a un risque d’être à nouveau victime. »
« S’ils ont peur de consulter, il y a des raisons »
Monika Rybisar Van Dyke suppose qu’une des raisons majeures vient de la peur. « En général, ce que les personnes âgées désirent par-dessus tout, c’est de pouvoir rester à domicile le plus longtemps possible et de conserver leur autonomie. Elles savent qu’en demandant de l’aide elles prennent le risque de se retrouver face à une structure très, voire trop, protectrice, qui pourrait leur imposer une mise en EMS ou d’autres mesures de protection qui pourraient restreindre leur liberté. » En évoquant ce point, la spécialiste peine à dissimuler sa frustration : « J’aimerais tellement que les personnes âgées se sentent en confiance d’aller consulter ! C’est attristant de voir que ce n’est pas le cas, avec les risques qui en découlent pour leur santé. »
« Il faut qu’on agisse sur cette crainte, encourage celle qui côtoie dans sa pratique, depuis plus de 20 ans, les personnes âgées. Car si les aînés ont peur de venir consulter, c’est qu’on leur en donne des raisons. » Pour la spécialiste, davantage de formation pour les professionnels sur les limites entre « le moment où il faut agir » et « les cas où il faut laisser couler » permettrait de clarifier ces questions. En Suisse, le réseau de soins est vaste. « On a de la chance. Mais il faut que l’ensemble de ce réseau soit formé et à l’aise sur ces questions, afin de permettre aux personnes âgées de venir consulter en étant rassurées et en sachant que dans la grande majorité des cas elles seront informées de ce qui peut être fait en termes d’aide et d’accompagnement, mais que le choix leur appartient. »
Campagne de prévention
D’après la Prévention suisse de la criminalité, plus de 300’000 personnes âgées sont victimes de violences, tous types compris, chaque année en Suisse. Outre la peur des conséquences, l’organisme met également en avant le fait que les victimes peuvent se retenir de demander de l’aide à cause de leur appartenance à une génération qui estime « que les problèmes doivent être résolus au sein de la famille ». De fin mars à fin mai, la Prévention suisse de la criminalité, le Centre national de compétence Vieillesse sans violence et l’Aide aux victimes en Suisse ont donc lancé la campagne de sensibilisation « Violence envers les personnes âgées », afin d’encourager les personnes concernées à oser solliciter de l’aide.
Une formation pour les professionnels
En partenariat avec l’Institut et haute école de la santé La Source, l’Unité de médecine des violences du CHUV proposera, entre septembre et décembre 2023, une formation sur sept jours, intitulée « Maltraitance envers les personnes âgées », qui s’adresse aux professionnels de la santé, du social et du judiciaire. Le délai d’inscription est fixé au 21 août 2023.
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